Tu seras un homme, mon fils (De la virilité en littérature… et ailleurs)

« On dit que je suis misogyne. Mais tous les hommes le sont. Sauf les tapettes ! » David Douillet, L’Ame du conquérant (Robert Laffont, 1998)

« Je lui donnai quelques gifles bien senties – senties par moi, je veux dire: j’ai toujours eu la plus grande difficulté à battre les femmes, dans ma vie. Je dois manquer de virilité. » Romain Gary, La promesse de l’aube (Folio, 1980)

J’ai honte de l’avouer, mais je n’ai pas lu la première oeuvre citée; le Canard enchaîné s’en est chargé pour moi, et ce morceau d’anthologie s’est retrouvé à peu près partout après l’annonce de la nomination de David Douillet comme ministre des Sports. J’ai lu la seconde, en revanche, mais jusqu’à la moitié seulement; je me suis en fait arrêtée quelques lignes après l’aveu de ce « manque de virilité ». Le lien entre les deux s’est fait par pure coïncidence, la citation de Douillet m’étant arrivée en pleine face un jour ou deux après avoir arrêté de lire le roman de Gary.

La Promesse de l’aube est un roman autobiographique, ce qui confère évidemment à cet aveu une dimension encore plus dérangeante. Quelques passages m’avaient déjà titillée, comme celui où il explique que l’inceste est pour lui très tolérable, ou la remarque, faite en passant, qu’il n’a rien contre les homosexuels, « mais rien pour non plus ». J’ai commencé à ressentir un vrai malaise quand, quelques lignes avant la phrase citée plus haut, j’ai lu: « Une immense pitié de moi-même m’envahit. Non seulement je venais de subir les plus cruel des affronts [sa copine l’a trompé, ndlr], mais il ne se trouvait dans le monde entier qu’une tantouse pour offrir de me consoler et me tenir la main. »

Que les choses soient claires: j’ai évidemment conscience que cette « pitié de moi-même » est vue d’un oeil ironique par le narrateur autobiographique, et que celui-ci pose un regard plein d’humour sur lui-même tout au long du roman. Mais je ne vois pas en quoi cela pourrait justifier l’emploi du mot si violent de « tantouse ».

Mais j’ai continué à lire. La copine du pauvre jeune homme trompé rentre à la maison et se prend une raclée. Oui, mais attention, pas très fort: il a du mal à taper sur les femmes, parce que sa maman était tellement envahissante qu’il souffre certainement (nous dit encore ce narrateur plein d’humour) d’un « manque de virilité ». Je n’ai pas pu aller plus loin.

Rétrospectivement, je me dis que j’aurais dû arrêter de lire dès la première remarque homophobe; mais j’ai eu la faiblesse de me / le justifier en me disant qu’il fallait replacer l’oeuvre dans son contexte, que l’homophobie était beaucoup plus répandue à l’époque. Non, ce n’est pas une excuse: on ne peut pas accuser un homme ou une femme du XVIème siècle d’être homophobe, ce serait totalement anachronique; je ne saurais pas dire à partir de quelle époque je considère que cela devient intolérable, mais ici, ça l’est.

Le lien entre l’homophobie du personnage (autobiographique) et sa réaction automatique de violence envers la femme qui l’a trompé est tout à fait évident dans le passage: l’articulation se fait grâce au thème de la « virilité ». La définition qu’on trouve dans le « Trésor de la Langue Française Informatisé«  est la suivante:

A. [Par opposition à féminité] Ensemble des attributs, des caractères physiques de l’homme adulte. Vigueur sexuelle. Ensemble des attributs virils, sexe masculin.
B. Ensemble des qualités (fermeté, courage, force, vigueur, etc.) culturellement attribuées à l’homme adulte.

Le dégoût du personnage pour l’homosexuel qui lui offre son soutien et lui fait, en tout cas le pense-t-il, des avances, ainsi que l’emploi du mot « tantouse », sont évidemment liés à son mépris du « manque de virilité »; mépris qui fait de lui un personnage ô combien complexe, puisque lui-même ne serait pas suffisamment viril pour battre les femmes correctement.

La réaction du personnage (sa violence physique) est présentée de manière tellement naturelle par le narrateur que je ne peux pas croire qu’il s’agisse, là non plus, d’un trait d’humour. Nous sommes plutôt censés voir de l’humour dans le pseudo-aveu qui suit. David Douillet, lui, est un homme très sérieux (et pour cause: il est ministre de la Vème République), et c’est tout à fait sérieusement qu’il justifie sa « mysogynie rationnelle ». De même que la nature assigne à l’Homme et à la Femme des rôles bien définis (petit jeu: devinez qui va à la chasse et qui s’occupe des enfants dans la grotte familiale), elle a apparemment doté tous les Hommes de cette « mysogynie rationnelle ». Tous? Non! Il existe malheureusement quelques aberrations, des erreurs de la nature, des « tantouses », des « tapettes », qui ne sont pas mysogynes. Par manque de virilité, sans doute.

Etes-vous une femmelette?


Pour le plaisir, voici le texte du poème de Kipling auquel je fais allusion dans le titre (c’est encore mieux « en anglais », bien sûr).

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre d’un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leur bouche folle,
Sans mentir toi-même d’un seul mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,

Tu seras un Homme, mon fils.

2 réflexions sur “Tu seras un homme, mon fils (De la virilité en littérature… et ailleurs)

  1. Pour ma part j’ai pu lire ce livre en entier, plusieurs fois même – comme un certain nombre de romans de Gary. Cet auteur admirable, qui se présente comme un « bâtard juif russe, mâtiné de Tartare », ne cache en effet pas les difficultés de construire sa personnalité pendant son adolescence, avec sur les épaules tout le poids des espérances maternelles. En effet, sa mère était une femme fière qui a été profondément blessé par l’abandon de l’homme qu’elle aimait et que Gary n’aura jamais connu. Dans sa douleur, aux confins de la folie parfois, elle s’est battue pour éduquer son fils dans des conditions proches de la misère, tout en projetant sur lui un avenir de succès, glorieux, romantique. Gary relate dans son autobiographie un parcours de jeunesse hors du commun, avec un humour qui est chez lui « une déclaration de dignité, une affirmation de la suprématie de l’homme sur ce qui lui arrive ». Il note comment sa mère exige très tôt de lui – il est encore enfant – qu’il prenne sa défense et se batte pour elle, quoi qu’il en coûte. Le désir qu’elle a de voir son enfant correspondre à un idéal de virilité semble déranger l’auteur de ce blog, mais je crois qu’il faut respecter la démarche autobiographique d’un homme qui rend publique un itinéraire de vie compliqué, étonnant, magnifique par bien des aspects. Le petit enfant qu’il était a dés lors tenu une promesse qu’il avait faite à sa mère, fût elle déraisonnable, celle de répondre par sa vie aux rêves de grandeur qu’elle avait fait pour lui. Il me semble assez injuste de taxer Romain Gary d’homophobie, pour quelques propos sur la consolation intéressée que propose un autre homme à qui il n’a rien demandé. Personnellement, je goûte l’humour de cette narration et je ne peux que vous conseiller de lire davantage d’œuvres de Gary: prenez « La vie devant soi » et je vous promets que vous allez revenir sur vos idées, peut-être un peu trop rapide, sur cet homme plein de talents à qui la littérature française doit tant.
    Bien amicalement,
    Javierch

    Aimé par 1 personne

  2. Ce que vous dites est vrai ; il n’empêche que toute l’oeuvre de Romain Gary suinte la misogynie. Comme le début des Racines du ciel sur l’Allemande qui se fait violer par les Russes et limite aime ça, vu qu’elle s’amourache par la suite d’un Russe qui a lui même violé des Allemandes, et qui pourrait même l’avoir violée elle.

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