Je suis une (toute récente) accro de Twitter. A plusieurs reprises, j’ai été amusée de constater que des comptes de sites gays et lesbiens, comme zelink, le dernier en date, s’étaient abonnés à mes twits (pour les profanes, cela veut dire que ces comptes peuvent suivre tout ce que je twitte, pensées profondes ou articles). Cela doit être dû au fait que je twitte relativement souvent des informations liées aux droits des personnes LGBT (lesbiennes – gays – bi – trans), et que je suis moi-même abonnée à des comptes de gens intéressés par ces questions. Mais je pense que c’est aussi dû à ma « bio », où je me décris comme féministe.
Ce n’est pas mon orientation sexuelle qui compte ici; ce qui m’intéresse, c’est surtout cette assimilation, fréquente, entre féminisme et lesbianisme. Il s’agit d’un des (nooombreux) clichés liés au féminisme: féministes = mal-baisées = lesbiennes (bah oui, sinon elles seraient hétéro, logique). Cette assimilation a un fondement historique sur lequel je ne m’attarderai pas. La question est par exemple abordée par Diane Lamoureux dans un article intitulé « Reno(r/m)mer « la » lesbienne ou quand les lesbiennes étaient féministes ». Le lesbianisme et le féminisme sont étroitement liés (sans mauvais jeu de mots) surtout dans ce qu’on appelle la « deuxième vague » féministe, où les questions liées au corps et à la sexualité se trouvent au coeur des réflexions et des débats. Certaines théoriciennes féministes célèbres réfléchissent sur la sexualité dans une optique lesbienne; c’est le cas notamment de Monique Wittig (La pensée straight). Ce lien a donné lieu à une plaisanterie attribuée à Ti-Grace Atkinson selon laquelle « le féminisme c’est la théorie, le lesbianisme c’est la pratique ».
Rappelons cependant une évidence: le féminisme n’est pas soluble dans le lesbianisme, et vice versa. Il ne suffit pas d’être une femme pour être féministe (loin s’en faut!), et il ne suffit pas non plus pour cela d’être lesbienne. Un article de Têtue en ligne interroge ainsi: « Lesbiennes et féministes: une identité qui ne va plus de soi? ». Ce « plus » est sûrement superflu, je ne suis pas sûre que cela ait jamais été le cas. Les arguments anti-féministes des lesbiennes interrogées sont strictement les mêmes que ceux de n’importe quelle femme ou n’importe quel homme hétéro: le féminisme serait « agressif » ou « extrémiste », un combat « dépassé », l’égalité serait déjà obtenue et il n’y aurait donc plus de raison de se battre aujourd’hui. Une lesbienne interrogée rappelle cependant: « En tant que lesbienne, il ne faut pas non plus oublier que le sexisme et la lesbophobie sont intrinsèquement liés ».
Les lesbiennes ne sont pas toutes féministes, les féministes ne sont pas toutes lesbiennes: nous voilà bien avancés, me direz-vous. Sauf que rappeler de telles évidences me semble nécessaire dès qu’on touche à la question du genre et du combat militant pour l’égalité entre les genres. Dans les discours anti-« théorie du genre » ou plutôt « théorie du Gender », le genre et l’homosexualité se trouvent assimilés rapidement et de manière apparemment déconcertante. Ainsi, dans l’article paru dans La Croix dont je parlais il y a quelques semaines, la défense des théories du genre passe par la condamnation d’un « usage idéologique » et politique de ces théories par certains « lobbies », entendez les lobbies féministes et homosexuels dont l’objectif final serait, comme dans certaines « écoles scandinaves », de « niveler totalement l’éducation des petits garçons et des petites filles afin qu’ils soient libres de choisir leur genre, masculin ou féminin »:
C’est là un usage idéologique des études du genre, dont on reconnaîtra la philosophie bien discutable, à la fois volontariste et individualiste, sans doute inspirée par la pensée Queer de Judith Butler.
Rappel important: queer est un adjectif désignant une personne homosexuelle. On trouve une assimilation similaire chez Christine Boutin, qui s’est voulue la figure de proue politique du mouvement s’opposant à l’enseignement du genre dans les lycées. Rappelons que Mme Boutin est la présidente du parti chrétien-démocrate français (oui oui ça existe) et candidate aux élections de 2012. Or voici un échantillon de ses affiches de campagne:
L’enseignement du genre est considéré comme une espèce de propagande homosexuelle déstabilisante pour les esprits fragiles des adolescents et visant à brouiller le repère essentiel de la différence des sexes. Or vous remarquerez l’assimilation entre genre (pardon, gender: c’est américain, c’est mal), homosexualité et féminisme, à travers le détournement de la citation de Simone de Beauvoir. L’affirmation, fondamentale pour le féminisme, de la non-essentialité des identités féminine et masculine conduirait tout droit à ce brouillage criminel qui se manifeste dans l’homosexualité ou, encore pire, à travers les personnes transgenres.
Je ne suis pas en train de dire que les théories féministes et les théories du genre n’ont rien à voir avec l’homosexualité. Au contraire, en affranchissant les individus des définitions de la masculinité et de la féminité en termes strictement biologiques et héréditaires, elles mettent en lumière la complexité des individus ainsi que la relativité de l’hétérosexualité, érigée en norme. Mais ces théories ne se réduisent pas à la question de l’homosexualité, et elles ne sont pas non plus la face émergée de l’iceberg monstrueux que serait l’homosexualité et son corollaire, l’aplanissement des différences.
Pour aller plus loin sur la question spécifique des rapports entre lesbianisme et féminisme:
Natacha Chetcuti et Claire Michard (dir.) Lesbianisme et féminisme. Histoires politiques. Paris, Bibliothèque du féminisme, L’Harmattan, 2003 (voir le compte-rendu sur le site erudit.org).
Line Chamberland, « La place des lesbiennes dans le mouvement des femmes » (article originellement publié en 2002).
Diane Lamoureux, « Reno(r/m)mer « la » lesbienne ou quand les lesbiennes étaient féministes » sur le site de la revue Genre sexualité et société (article paru dans le numéro du printemps 2009).
Monique Wittig, La pensée straight, Les guérillières.
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Bel article, non seulement toutes les lesbiennes ne sont pas féministes et toutes les féministes ne sont pas lesbiennes mais elles se sont fait bien des misères…
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Le problème ne vient effectivement pas de la différence mais de la manière avec laquelle elle est traitée.. http://affairesfamiliales.wordpress.com/2012/01/17/reponse-dun-homme-au-feminisme-lache/
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HHnnngg, ces tracts sont ecoeurants d’ironie satisfaite et rétrograde.
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