Jouer son genre, jouer avec le genre

Dans le quatrième billet de ma série « Malaise dans la pub », j’évoquais ce que la publicité nous présente comme des « vraies femmes », notamment à propos de cette vidéo:

J’aimerais revenir sur le premier commentaire à ce billet, celui d’Against, qui réagit sur les stéréotypes liés à la féminité et à la masculinité et la manière dont ils sont utilisés par les personnes transgenres:

Je pense que les transsexuel-les reprennent beaucoup les stéréotypes féminins/ masculins véhiculés par la société afin de se définir en tant qu’homme ou en tant que femme.

Ce qui ressort de la suite de son commentaire, c’est que l’utilisation de ces stéréotypes serait nuisible aux hommes et aux femmes, dans la mesure où les personnes transgenres conforteraient ainsi la vision stéréotypée de la société sur le genre féminin et le genre masculin. J’ai essayé d’expliquer, dans ma réponse, que si l’on peut effectivement, dans un premier temps, parler de stéréotypes (par exemple à propos de la définition d’une femme par son apparence: maquillage, etc.), j’y vois surtout des codes qui ont un fonctionnement plus complexe que cela. En effet, la drag queen, par exemple, renvoie à la femme (au sens biologique et social du terme) une image d’elle-même qui apparaît souvent comme outrancière, voire caricaturale. C’est ce qu’on voit dans la publicité ci-dessous, qui met l’accent sur l’outrance et surtout sur l’imitation qui motivent le comportement de la personne transgenre et son être social, l’image qu’elle renvoie aux autres. Par ce jeu de réflexion, cependant, la personne transgenre exhibe la vraie nature d’éléments comme les cheveux longs, les vêtements, le maquillage ou le fait de prendre soin de son apparence: il s’agit en effet de codes sociaux destinés à identifier les genres, et à distinguer le féminin du masculin.

En même temps, évidemment, par l’utilisation qu’elle fait de ces codes, la personne transgenre brouille les frontières qui jouent un rôle tellement central dans le fonctionnement de la société. Elle exhibe en effet le processus par lequel la société établit et maintient la différence de genre, c’est-à-dire par tout un ensemble de codes dont la fonction est de dire « Cette personne est une femme » (regardez, elle est maquillée, elle porte une jupe) ou « Cette personne est un homme » (regardez comme il est velu).

On reproche souvent aux théoricien.ne.s du genre de se fonder sur des cas-limites, extrêmes, pour appuyer leur démonstration du caractère construit de la différence de genre. Ces cas-limites sont ceux des androgynes, des personnes inter-sexuées (indétermination biologique), mais aussi ceux des transgenres. Pourtant, l’exemple des transgenres permet de mettre en évidence le fonctionnement du genre en général. C’est ainsi que Judith Butler, par exemple, l’utilise dans Trouble dans le genre, livre dont on a beaucoup dit (notamment ses détracteurs) qu’il était à l’origine de la théorie queer.

Judith Butler reprend un passage de Mother Camp, d’Esther Newton, qui cite elle-même l’essai « The Garbo Image », de Parker Tyler:

[Greta] Garbo « se mettait en drag » chaque fois qu’elle campait un personnage sombre et glamour, chaque fois qu’elle tombait dans les bras d’un homme ou s’en arrachait, chaque fois qu’elle laissait simplement son cou gracieusement incliné… porter le poids de sa tête jetée en arrière… Jouer la comédie, quel art éblouissant! Tout est jeu de rôle, que le sexe derrière les personnages soit vrai ou non.

Que nous dit cette citation? Que Greta Garbo incarnant un personnage au cinéma incarne en même temps une image de la féminité, une féminité mythique et fantasmée par les hommes auxquels cette image est destinée, et qui fait à son tour fantasmer les femmes qui la voient et rêvent d’y ressembler. Où est donc le modèle? Quel rôle joue-t-elle? Existe-t-il même un modèle, ou celui-ci ne relève-t-il que du mythe, de l’imagination?

Judith Butler montre que cette imitation régit notre manière d’être homme ou femme. Nous nous conformons à un modèle de masculinité ou de féminité qui n’existe pas comme réalité tangible, mais seulement comme idée. Il n’y a donc pas de « vrai sexe », qui s’opposerait à un « faux » (celui des personnes transgenres, notamment). Il y a seulement différents degrés d’imitation: des femmes (biologiquement parlant), par exemple, jouant leur rôle de femme en utilisant les codes liés à ce rôle; des personnes transgenres, biologiquement mâles, utilisant les mêmes codes pour faire coïncider leur être social et leur être profond, en dépit de la biologie. C’est ce que Judith Butler appelle le caractère performatif du genre (de l’anglais to perform, c’est-à-dire à la fois « représenter », « jouer », « mettre en scène »).

4 réflexions sur “Jouer son genre, jouer avec le genre

  1. Je me faisais jusqu’ici la même réflexion qu’Against, mais ta réponse et celle de Butler est extrêmement pertinente, je saurais m’en souvenir !

    Même si j’ai déjà entendu dans les médias des trans déclarer « J’ai toujours su au fond de moi que j’étais une fille, d’ailleurs j’ai toujours adoré le rose », ce qui me fait littéralement bondir… mais j’ai l’impression que ces personnes-là ne constituent pas la majorité des personnes transsexuelles.

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  2. Pingback: Christine and the Queens: une pop Queer « Genre!

  3. Article parfaitement ignorant, méprisant, paternaliste.
    Commencons par le commencent : comment peut on laisser passer un commentaire hautement transophobe, et pire le réutilisé comme base pour un article ?
    Deuxièmement vous ne savez pas ce que c’est que d’être une femme trans. VOus ne le serez jamais, et vous n’avez même pas été fichu de vous renseigner visiblement. Savez vous au moins ce qu’est le « passing » ? J’en doute. Comment pouvez vous faire l’avocat de «  » »Je pense que les transsexuel-les reprennent beaucoup les stéréotypes féminins/ masculins véhiculés par la société afin de se définir en tant qu’homme ou en tant que femme. » » » sachant que nous sommes harcelés, violée, tuée si nous ne respectons pas les stéréotypes féminins ?
    J’ajoute que les femmes trans ne sont pas là pour servir vos argumentaire universitaire. Nous existons en dehors de vos théorie fumeuse. Et cessez de nous appeler « biologiquement mâle », de vous référer constament à nos corps, comme si nous étions des sujets d’étude.
    http://radtransfem.wordpress.com/ ceci peut être un point de départ

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