Pour un vrai droit à l’IVG (2/2)

Tout l’esprit de la législation française concernant l’IVG se trouve résumé dans la formule de Simone Veil que je rappelais la semaine dernière: « c’est toujours un drame, cela restera toujours un drame ». Rien d’étonnant, dès lors, si cette idée imprègne les mentalités et soit rappelée en permanence aux femmes, comme une ritournelle leur affirmant que leur destin est d’enfanter et qu’elles doivent être punies, ou s’auto-punir, d’une façon ou d’une autre, si elles y contreviennent.

Cette idée fait évidemment le jeu des anti-IVG, qui exploitent à fond le « drame » obligé de l’avortement et mettent l’accent sur ses conséquences, forcément désastreuses pour les femmes qui y ont recours. Un article paru dans le Monde Diplomatique en 2010 résume très bien la situation qui en résulte et l’intériorisation, par les femmes, de cette culpabilité obligatoire:

comment s’étonner qu’il puisse être pénible, dans un tel climat, de décider d’avorter ? Comment, dès lors, parvenir à vivre un avortement autrement que comme le « drame obligatoire » que nous décrivent tous les experts sur papier glacé, une vilaine et indélébile cicatrice sur la nature féminine, l’échec d’une vie de femme ? Comment s’étonner que cet acte qui ne peut être que douloureux le devienne réellement ? Pour constater les effets de ces prophéties autoréalisatrices, il faut écumer les forums Internet pour y lire la longue complainte des femmes ayant avorté. Celles qui ont osé s’aventurer à contre-sens de ce que leur dictaient la nature et leur « instinct de femme » semblent avoir parfaitement intériorisé leur punition. Cela se traduit par des cauchemars, par la présence d’un bébé imaginaire qui grandit, qui a un anniversaire ; cela s’exprime par un lourd sentiment de culpabilité, d’angoisse, de solitude, de honte. Quant à celles qui ne ressentent pas cette douleur ou ces regrets, elles sont alors réduites au silence si elles ne veulent pas passer pour des anormales, des sans-cœur, des malades.

Il existe une disposition législative qui contribue à entretenir l’idée que l’IVG est et doit rester une exception législative et morale. Il s’agit de la « clause de conscience » que peuvent faire valoir les médecins ainsi que l’ensemble du personnel médical devant certains cas, dont l’IVG fait partie. C’est d’ailleurs la loi Veil qui fait entrer cette disposition pour la première fois dans la loi. Vous pourrez trouver ici tous les détails concernant cette clause de conscience et la manière dont elle s’exerce dans le cas de l’IVG. Elle est parfois alléguée comme l’une des causes de l’accès de plus en plus difficile à l’IVG, parallèlement aux fermetures en série des centres dits d’orthogénie (où l’IVG peut être pratiquée). Rappelons en outre que selon l’article L. 2212-8 du code de la santé publique, « Un établissement de santé privé peut refuser que des interruptions volontaires de grossesse soient pratiquées dans ses locaux ». Peu rentable, l’IVG… On estime qu’aujourd’hui, 5000 femmes françaises seraient contraintes de se rendre à l’étranger pour mettre terme à une grossesse. Comme au bon vieux temps d’avant 1975, quand les femmes qui le pouvaient se rendaient par charters en Angleterre ou en Belgique pour pouvoir avorter.

En ce qui concerne la clause de conscience, il s’agit d’une question très délicate. Il est important que le personnel médical ne se trouve pas contraint d’exercer un acte qui lui paraît objectable, sans quoi ce sont les patientes qui risqueraient d’en souffrir. Mais on ne peut savoir quel usage est réellement fait de la clause de conscience qui est, par nature, secrète. Il semble cependant, selon un rapport gouvernemental, que « l’allongement des délais légaux puisse être utilisé par certains professionnels comme un prétexte pour faire valoir leur clause de conscience ».

Sur le site de campagne d’Eva Joly, tout un article est consacré au « droit à l’IVG », bien que celui-ci ne soit pas abordé dans le programme d’EELV proprement dit. L’article évoque en conclusion la possibilité d’un débat public national « autour de la pertinence de maintenir la clause de conscience pour les médecins et personnels du système de santé ». Dans une interview à Elle, Eva Joly évoque à nouveau cette question en liant cette fois directement clause de conscience et difficulté d’accès à l’IVG (à partir de 2’50). Bien qu’il semble difficile, comme je l’ai déjà dit, de prouver l’existence d’un tel lien, la question est importante et mérite d’être posée. La possibilité d’invoquer une clause de conscience en ce qui concerne l’IVG dit clairement qu’elle est et devrait rester un acte médical à part, ressortissant au moins autant de la médecine que de la morale. La morale relève du champ strictement individuel, le législateur n’a donc pas à statuer dessus, ce qui explique ce champ de latitude laissé par la clause de conscience. Mais en affirmant le principe d’une telle clause, la loi semble reconnaître que l’IVG devrait rester, malgré tout, une question de morale.

C’est l’une des ambiguïtés de cette loi Veil. En affirmant que l’accès à l’IVG dépend, in fine, de la « conscience » de tel ou tel médecin; en définissant l’IVG comme l’exception et l’ultime recours en situation de détresse, au lieu de dire ce qu’elle est vraiment: la possibilité de choisir de mener à terme une grossesse ou de l’interrompre; en dépénalisant l’IVG sans affirmer pleinement le principe du droit à l’avortement (expression qui n’apparaît dans aucun texte de loi), cette loi n’est pas en mesure de garantir pleinement aux femmes l’accès à l’IVG et de prévenir les multiples attaques dont elle fait l’objet.

***

Pour vous informer sur la législation et l’accès à l’IVG, vous pouvez consulter le site de l’ANCIC, association qui a récemment été frappée par un attentat non revendiqué, dans un climat de recrudescence de l’activisme anti-IVG.

Image (cliquable) du site "IVG je vais bien, merci"

Rappelons, encore et toujours, que l’IVG n’a pas à être un drame et que les femmes qui y ont recours ne sauraient en aucun cas être tenues coupables de décider ce qu’elles doivent faire de leur vie et de leur corps: vous pouvez consulter le blog IVG, je vais bien, merci et signer l’appel des filles des 343 salopes.

2 réflexions sur “Pour un vrai droit à l’IVG (2/2)

  1. La clause de conscience ne me dérange pas, parce qu’elle ne concerne pas que l’IVG. Elle concerne aussi le changement de sexe, et d’une manière générale, tout ce qui revient à altérer un corps en bon état. Si quelqu’un venait demander qu’on lui retire un organe fonctionnel, les médecins auraient le droit de refuser, bien entendu. Et c’est ce qui se passe dans le cas d’un avortement, ou d’une ablation des testicules, ou même simplement d’une ligature des trompes. Les médecins se sont engagés à soigner, pas à détruire le corps. Le faire constituera toujours une exception, pour eux.

    En revanche, d’un point de vu politique, ça ne doit pas l’être. Si l’intégrité du serment des médecins doit être respecté, alors il faut trouver d’autres solutions. Il n’y a pas besoin d’une grande formation pour pratiquer une IVG avec les moyens actuels. Avec un peu de budget, on pourrait faire ce qu’il faut pour qu’on puisse avorter en ville comme à la campagne…

    En ce qui me concerne, je suis contre l’avortement, mais entièrement pour que le droit d’avorter sans justification soit reconnu, et surtout effectif.

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  2. Pingback: Slogans (4) Mon corps est à moi | Genre !

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