L’article de cette semaine a été écrit par Cyril, qui a déjà publié sur ce blog « Christine and the Queens: une pop queer » et « ‘AdopteUnMec’: inversion ne rime pas avec subversion ». Il revient sur une accusation récurrente à l’égard de la philosophe Judith Butler, tête de turc favorite des polémistes anti-études de genre, et fournit des éléments pour comprendre une pensée pour le moins complexe.
Si vous voulez contribuer à ce blog, vous pouvez m’envoyer une proposition d’article à l’adresse cafaitgenre[at]gmail.com.
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Le débat suscité par la loi sur « le mariage pour tous » ne se réduit pas, du côté des opposants, aux propos effarants d’un cardinal Barbarin ou d’un Serge Dassault. Ces derniers ne font que décliner l’imagerie hélas bien connue de l’homosexualité considérée comme perversion, maladie, détraquement physique et/ou psychologique.
D’autres pourfendeurs du mariage pour tous, plus subtils, s’attaquent plus spécifiquement à la pensée du genre, la considérant avec quelque raison comme l’une des assises intellectuelles et philosophiques des revendications LGBT. Leur argument peut se résumer ainsi : la « théorie du genre » propose une idéologie du choix individuel et de la consommation qui participe du néo-libéralisme triomphant. L’accusation de néo-libéralisme vise à faire du concept de genre le complice objectif d’une idéologie caractérisée par la limitation du rôle de l’Etat en matière économique et sociale, l’extension indéfinie du domaine du marché, le primat de l’individu producteur de lui-même, d’un consommateur d’identités capable de se réinventer et d’innover sans cesse pour améliorer ses performances dans la grande compétition qu’est la vie en société. Judith Butler, dont le nom est très souvent évoqué, se trouverait être la meilleure alliée du néo-libéralisme le plus abouti. Intrigant paradoxe ou piège rhétorique tendu aux militants de gauche ?
Les termes du débat
Quelques citations glanées sur Internet donnent un aperçu des termes utilisés sur le front de ceux qui tirent à boulets rouges sur ce qu’ils nomment avec complaisance « la théorie du genre ». Pour Patrice de Plunkett, l’un des fondateurs du Figaro Magazine, Judith Butler est la « prêtresse des désappartenances, des instabilités radicalités et du nominalisme extrême ». En d’autres termes, la pensée du genre, reniant le déterminisme le plus fondamental de l’homme dans une course folle vers l’émancipation de tout donné biologique, propagerait une vision de l’individu extrait de tout contexte, sans attache et sans corps, individu infiniment malléable et transformable, disponible pour le marché.
Le magazine Causeur, très en pointe sur cette question, nous offre plusieurs exemples de cette rhétorique considérant la pensée du genre comme émanation ultime de la société de consommation. Le chroniqueur Laurent Cantamessi écrit : « Judith Butler a déclaré, dans son ouvrage Trouble dans le genre, que l’on était désormais libre de choisir son identité sexuelle comme on sélectionne un vêtement dans sa penderie ». Aucune citation ne vient évidemment étayer cette affirmation pour le moins hâtive, surtout lorsqu’on sait que Judith Butler s’est précisément moquée d’une conception du genre qui l’assimilerait à une simple auto-(re)création de soi : « on s’éveillerait le matin, on puiserait dans son placard, ou dans quelque espace plus ouvert, le genre de son choix, on l’enfilerait pour la journée, et le soir, on le remettrait à sa place » (cité par Eric Fassin, préface à Trouble dans le genre, La Découverte, 2005). Non, les thèses de Butler ne transforment pas les individus en consommateurs de genres. Feindre de le croire relève au mieux d’une méconnaissance, au pire d’un travestissement (c’est le cas de le dire) malhonnête des écrits de la philosophe américaine. Les formules accrocheuses d’Elisabeth Lévy ou de Christian Flavigny qui, toujours dans Causeur, résument le processus complexe de production du genre à un simple choix individuel, alimentent cette lecture très peu rigoureuse de Judith Butler.
Ces corps qui comptent : genre et vulnérabilité
D’où part l’analyse du genre butlérienne si ce n’est d’une attention aux corps, notamment aux corps qu’elle appelle « invivables » ou « illisibles » en ce sens qu’ils ne sont pas interprétables au sein du cadre de l’hétérosexualité reproductive. Autrement dit, les corps qui ne sont pas conformes aux normes de genre, les corps qui manifestent un écart, une incohérence entre un sexe, un genre, une sexualité (par exemple, un garçon qui se comporterait « comme une fille » et/ou serait homosexuel) sont rejetés, symboliquement, socialement, physiquement. Parce que Butler part des violences subies concrètement et quotidiennement par ceux qui dérogent à la loi du genre, on ne peut pas sérieusement l’accuser de faire comme si tout cela n’était qu’affaire de mots et de création de soi. Penser le genre et les injonctions normatives qui l’instituent c’est, comme le rappelle Elsa Dorlin, rester attentif à « la force punitive que la domination déploie à l’encontre de tous les styles corporels qui ne sont pas cohérents avec le rapport hétéronormé qui préside à l’articulation des catégories régulatrices que sont le sexe, le genre et la sexualité, force punitive qui attente à la vie même de ces corps » (Sexe, genre, sexualités, p. 127).
La prise en compte de cette vulnérabilité fondamentale est peut-être l’argument qui sépare définitivement Butler du néo-libéralisme. Alors que celui-ci se déploie dans un discours d’autant plus violent qu’il nie la vulnérabilité en la culpabilisant et en relativisant les déterminismes sociaux (pour le dire vite, les chômeurs et les précaires sont responsables de leur situation), la pensée de Butler se fonde sur une véritable analyse politique et philosophique de la vulnérabilité (qu’elle concerne le genre, la guerre, le racisme…). Ce geste premier en direction des formes de vie précaires est fondamentalement en contradiction avec l’idéologie néo-libérale. La pensée du genre n’est pas le déni aveugle des déterminations mais une nouvelle proposition pour penser ces déterminations.
Performance et performativité : contre la caricature du « c’est mon genre, c’est mon choix »
Trouble dans le genre place en son cœur la figure du « drag queen » que Judith Butler analyse pour penser les possibles subversions des normes de genre. Elle voit dans la performance théâtrale du « drag » une parodie de l’incorporation du genre, une mise en scène volontairement décalée de la façon dont chacun de nous performe, accomplit son genre. Toutefois, Butler revient sur ces pages et précise sa pensée en indiquant que le « drag » est une figure-limite, figure de la marge qui permet de troubler et d’interroger le centre de la norme mais qui ne fournit pas pour autant le « modèle de vérité du genre », le modèle banal, quotidien de la façon dont chacun effectue son genre : « il serait erroné, écrit Butler, de voir le drag comme le paradigme de l’action subversive ou encore comme un modèle pour la capacité d’agir en politique » (Introduction de 1999 à Trouble dans le genre). Le « drag » propose une performance, c’est-à-dire une mise en scène consciente et explicite d’une incohérence (caricaturale et déréalisante) entre une identité intérieure et une apparence extérieure. Cependant, la performance est un acte théâtral singulier et limité dans le temps, produite par un acteur décidant de son jeu.
Pour Butler, la structure banale, quotidienne du genre, est la performativité (terme qu’elle emprunte au linguiste Austin dans Quand dire c’est faire). Un énoncé performatif est un énoncé qui fait ce qu’il dit au moment où il le dit. Par exemple, « je vous déclare unis par les liens du mariage ». Butler pense l’incorporation des normes de genre sur le mode de la performativité, c’est-à-dire une construction des corps ni tout à fait intentionnelle ni tout à fait contrainte, à la fois permise et limitée par la contrainte. Pour être efficace, cette incorporation des normes doit sans cesse être répétée et réitérée. Les modèles de genre assignés (masculin et féminin) doivent sans cesse être récités, reproduits, imités par les corps. On le voit, Butler ne conçoit pas le genre comme l’expression corporelle d’un « moi », d’un sujet autonome achevé et déjà constitué : le sujet, le « moi » est constitué par les normes et les discours qui façonnent les corps, leur donnent forme et intelligibilité au sein de la matrice obligatoire de l’hétérosexualité reproductive. Considérer les textes de Butler comme une exaltation à l’invention libre de soi, à un consumérisme des identités n’est donc pas possible sans les trahir.
Distinguer performance et performativité (ce que Butler fera elle-même après la parution de Trouble dans le genre) permet de ne pas sur-interpréter la figure du « drag » et de ne pas considérer le genre comme une simple invention de soi soluble dans la logique de marché, une simple esthétique de soi, un jeu libre ou une théâtralisation de soi : ainsi, précise Butler dans Ces corps qui comptent, « le genre n’est pas un artifice qu’on endosse ou qu’on dépouille à son gré, et donc, ce n’est pas l’effet d’un choix ». Bien plus qu’un constructivisme simpliste offert aux prédations d’un marché en quête d’individus déliés de toute attache, le genre défini par Butler est une compréhension nouvelle et complexe du réel, des corps et des individus qui mérite qu’on la lise avec bonne volonté, et en bonne intelligence.
Cyril Barde
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Ouvrages cités:
Austin, John L. ([1962] 1970), Quand dire c’est faire, traduit de l’anglais par Gilles Lane, Paris: Éditions du Seuil.
Butler, Judith ([1990] 2005), Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, traduit de l’anglais par Cynthia Kraus, préface d’Eric Fassin, Paris: La Découverte/Poche.
Butler, Judith ([1993] 2009), Ces corps qui comptent. De la matérialité et des limites discursives du « sexe », traduit de l’anglais par Charlotte Nordmann, Paris : Amsterdam.
Dorlin, Elsa (2008), Sexe, genre et sexualités. Introduction à la théorie féministe, Paris: PuF, Philosophies.
Je suis d’accord : la position de Butler est souvent caricaturée (et la position queer en général , meme Delphy a été accusée de faire des raccourcis pas très honnêtes lors du congres international desrecherches féministes francophones). Par contre je crois qu’il y a vraiment 1) une connexion théorique et non accidentelle entre certains points de l’ideologie néolibérale et la critique notamment de l’Etat normalisateur des queers (reprenant Foucault) 2) une récupération de certaines idées féministes par le néolibéralisme (comme la récupération de l’esprit artiste de 1968) qui se transforme et assimile les critiques pour « survivre ». Les textes de Fraser à ce sujet sont vraiment stimulants (Le féminisme, le capitalisme et la ruse de l’histoire ; Entre marchandisation et protection sociale. Les ambivalences du féminisme dans la crise du capitalisme). Mais la critique la plus punchy que j’ai pu lire sur ce rapprochement c’est celle de Nina Power, Lafemme unidimensionnelle.
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Merci Janine,
Je suis d’accord avec votre premier point Janine, c’est une analyse d’autant plus complexe qu’il existe une multiplicité de pensées du genre (voir article d’AC), c’est pour ça que je me suis prudemment cantonné à Butler (et encore, il y a à faire). D’autant plus complexe que Butler ne s’est jamais revendiquée comme une théoricienne queer.
Quant au second point, là encore je suis d’accord. Mais on parle bien de récupération, de dévoiement d’une pensée par le néolibéralisme. On pourrait faire le même type de remarques concernant l’écologie. La grande force du marché, c’est qu’il peut domestiquer et récupérer les pensées qui s’opposent à lui. Butler, lorsqu’elle parle des parodies de genre, explique bien qu’elles ne sont pas toutes subversives mais qu’elles peuvent être domestiquées (le site « Adopte un mec » en est à mon avis un exemple).
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Bonjour, et merci Cyril pour cet article clair et stimulant.
Il reste néanmoins qu’une partie du mouvement queer, tout en se revendiquant de la pensée de Butler, est clairement dans des logiques néolibérales, ou libérales-libertaires . A côté du soin qu’il nous faudrait prendre pour les minorisé-e-s et les dominé-e-s (ce qui nous engage à rompre avec une tradition universaliste républicaine qui au mieux nous empêche de le faire avec autant de vigilance), j’ai clairement vu dans le mouvement queer français non-anarchiste, en tant qu’avant-garde militante et éclairée des LGBT, un mépris pour les pas comme nous : les pas classe moyenne, les pas cultivé-e-s, les gros-se-s, les malades mentaux/ales, les qui ne baisent pas et même les bi, pour ne rien dire des personnes racisées.
Alors on peut soi-même lire Judith Butler pour lever la confusion (mais je ne m’y risquerais pas, j’ai arrêté après Trouble dans le genre, c’est une auteure que je trouve trop difficile), mais cette compréhension (ici venue de la presse bourgeoise, ailleurs des féministes) de Butler comme meilleure alliée du néolibéralisme ne vient pas de n’importe où… elle vient de la lecture et des pratiques de beaucoup de personnes et de groupes qui se réclament du queer et de cette auteure. Si comme vous dites bien Butler n’est pas (toute) la théorie queer, il faudrait aussi s’attacher à décrire plus précisément le queer. Les écolos parlent de la (agriculture) bio et du (marché) bio, on pourrait peut-être aussi faire la part des choses entre théorie (avec quel corpus d’auteur-e-s ?) et pratiques queer : la queer et le queer ? Parce que les malentendus sont nombreux. Pour ma part, Butler ou pas Butler, je fais déjà des hommes qui se servent de cette auteure pour redéfinir ce que serait une bonne féministe des ennemis de classe. Et je suis désolée de voir mon propos incompris.
Une citation de Nina Power pour rebondir :
Quand le « queer » en vient à représenter le droit de chacun à posséder son propre baisodrome, quand la famille n’en finit plus de se replier sur elle-même, quand les magazines gay se mettent à remplir leurs pages de conseils sur l’adoption et le mariage, quand tout ça se produit alors oui, la Restauration est là, et bien là. De nos jours, l’expression « vie alternative » a plus de chances de renvoyer au fait que vous avez installé des panneaux solaires sur le toit de votre maison qu’entrepris une critique en acte de la famille nucléaire.
Nina Power, La Femme unidimensionnelle (2009), Les Prairies ordinaires, 2010.
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« D’où part l’analyse du genre butlérienne si ce n’est d’une attention aux corps, notamment aux corps qu’elle appelle « invivables » ou « illisibles » en ce sens qu’ils ne sont pas interprétables au sein du cadre de l’hétérosexualité reproductive. »
Il un mot dans cette phrase 😉
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Je n’ai pas l’impression, non…
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Au temps pour moi, j’ai mal lu.
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Avez-vous vu cet article ? http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2013/jan/13/julie-burchill-suzanne-moore-transsexuals L’auteur fait preuve d’une violence inouïe dans ses mots envers les transsexuels. Absolument écoeurant. Et totalement à côté de la plaque.
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Intéressant billet, même si superficiel – logique, nous sommes sur un blog. Désolé d’être aussi maniaque, mais je me demande pourquoi avoir introduit le terme de néolibéralisme dans le titre, étant donné qu’il en est finalement assez peu question dans votre exposition.
J’ai une question, pour continuer la discussion : selon vous la théorie de Butler n’est pas une théorie néolibérale (dont je ne suis pas certain d’avoir compris les finesses dans votre exposé, mais passons), mais est-elle une théorie libérale tout court ? Voire une théorie libératrice ?
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Pour une analyse moins superficielle de la pensée de Butler, effectivement subtile (http://cmdr.ens-lyon.fr/IMG/pdf/A_corps_perdu.pdf). Il y a 25 pages…
Les opposants à la « théorie » du genre de Butler (terme que vous reprenez mais que je mets entre guillemets) lui reprochent d’accompagner un discours où l’individu, sa liberté de réinvention, de recréation autonome repousse toute limite, toute détermination, jusqu’aux plus fondamentales (en l’occurrence, le « sexe naturel »). Cet individu à remodeler sans cesse est un consommateur que va investir le marché: il devient un consommateur d’identités, identités qu’il peut choisir et dont il peut changer à sa guise. C’est bien l’idéologie néo-libérale qui est ici décrite et associée à Butler.
La théorie de Butler est sans doute émancipatrice,plus que libératrice. Parce que Butler est une grande lectrice de Foucault et qu’elle reste sceptique face aux grands discours de la libération. D’ailleurs pour elle, la subversion du genre n’est possible qu’à l’intérieur de la contrainte, à l’intérieur de la norme qu’on fait se retourner contre elle-même.
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Je me suis mal exprimé : je ne remettais pas en cause votre usage des théories de Butler (je ne crois pas avoir mentionné « genre » à côté de « Butler »). RIen de ce que vous soutenez ne semble entrer en contradiction avec ce que j’ai compris de Gender Trouble, et je suis loin d’être spécialiste. Aussi, ok pour le terme d’émancipation, mauvais choix de terminologie de ma part.
Je comprends votre propos sur le néolibéralisme, je ne le partage pas, non pas du côté Butler, mais plutôt du côté néolibéralisme : j’ai l’impression que le néolibéralisme ce n’est pas ce que vous écrivez, ou en tout cas ce n’est pas que ça. Ce n’est pas central ici.
Ensuite, je ne comptais pas revenir dessus mais puisque vous en parlez, j’ai l’impression que vous allez un peu vite lorsque vous faîtes tenir à ces messieurs de Causeur ou du Figaro Magasine l’idée qu’ils assimilent Butler au néo-libéralisme: ils ne font que mentionner l’idée que, selon Butler, les identités sexuelles seraient interchangeables. Ce qui est bien loin de leur marchandisation. Peut-être que pour des raisons d’espaces vous avez tranché dans le vif, et loin de moi l’idée que la rhétorique anti-néolibérale voire anti-libérale ne soit pas mobilisée dans ces milieux. J’ai l’impression qu’on la retrouve plutôt sur d’autres sujets, comme la PMA etc. Mais pas du côté du « genre » ni du côté de l’identité sexuelle.
Du coup, si j’essaie de reconstituer ce que vous présentez comme les arguments adverses, je fais les connexions logiques suivantes : l’instabilité voulue de l’identité sexuelle permettrait de penser un marché pour cette même identité, existence motivée par les gains – symboliques j’imagine – que les acteurs pourraient en tirer ? Cette logique de marchandisation d’un élément qui ne l’était pas, et donc de l’extension du domaine du marché serait ce qu’il y aurait de néolibéral, et donc de remis en cause ? Vous excluez cet argument par 1) Butler n’a jamais dit qu’on pouvait changer d’identité comme de chemise, et même 2) sa théorie s’intéresse à des formes de vies précaires largement ignorées voire cibles du néolibéralisme.
Est-ce que c’est ça ? C’est pas simple, reprenez-moi je vous prie.
Si c’était le cas, ne pensez-vous pas que vous allez un peu vite en besogne quant à l’extrapolation que vous faîtes des deux phrases citées par vos « adversaires », ou la logique que vous présentez est basée sur d’autres faits/observations/opinions que vous avez vues ailleurs ? Enfin, mais c’est parce que c’est une marotte, ne pensez-vous pas que l’idée de néolibéralisme que vous utilisez est un peu grossière ?
En vous remerciant de votre temps,
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Il me semble que, dans cette confusion entre théorie du genre et néo-libéralisme (plus généralement, la croyance dans le fait que chaque individu est totalement responsable de tout ce qui n’est pas inné en lui), il y a une focalisation sur quelques exemples non représentatifs.
Certes, certaines personnes peuvent tout à coup devenir riches suite à un coup de chance et/ou de génie, et le néo-libéralisme s’appuie sur de tels exemples pour justifier le fait que chacun-e doit se démerder.
De même, il peut exister une tentation de détourner la théorie du genre en expliquant que, si le genre (et l’orientation sexuelle) est une construction, alors le sexisme n’existe plus, chacun-e est responsable de ce qu’il signifie aux autres et des exclusions dont ille est victime, et tout va bien dans le monde des licornes arc-en-ciel.
Merci de démontrer que ce n’est pas le propos de Butler, et qu’il y a une grande part de déterminisme social dans ces constructions. Le fait qu’il soit possible d’assouplir les liens entre sexe et genre (tout ce qui est construit peut être déconstruit) ne signifie pas que chacun-e dispose d’une liberté absolue.
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De Aude : « Il reste néanmoins qu’une partie du mouvement queer, tout en se revendiquant de la pensée de Butler, est clairement dans des logiques néolibérales, ou libérales-libertaires . »
Ma conclusion est similaire : la « queer theory » présente sur internet est néolibérale et souvent « nombriliste », tournée vers l’individu. La pensée féministe actuelle est bien plus influencée par ce courant que par l’avis de quelques écriveurs et causeurs modernes.
Beaucoup d’idées se retrouvent transformée lorsqu’elles passent par internet, particulièrement les idées complexes. Judith Butler n’est pas un cas isolé, et est plus souvent brandie comme un argument massue que pour étayer ses idées.
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Ce post est de toute évidence censé éclairer les lecteurs sur la véritable pensée de Butler, mais j’en ressort en fait tout à fait perplexe. D’après l’article, Judith Butler n’était donc pas une théoricienne queer, mais ses travaux ont été réappropriés par le néolibéralisme (queer).
Pourtant, dans un précédent post sur ce même blog, le même auteur disait: « Judith Butler a écrit dans Gender Trouble (un des socles de la pensés Queer ) ». Donc Judith Butler était-elle, ou n’était-elle pas le socle de la pensée Queer?
Et j’ai du mal à comprendre la portée de son analyse; qu’elle écrive pour démontrer qu’il y a un aspect performatif dans le genre, appuyant la thèse que c’est une construction sociale et non le résultat d’un déterminisme biologique, d’accord, jusque là je suis. Mais à quel moment produit-elle une analyse de la société et du genre à grande échelle? Car lorsque qu’elle écrit: « le genre n’est pas un artifice qu’on endosse ou qu’on dépouille à son gré, et donc, ce n’est pas l’effet d’un choix », elle ne fait pas mention d’un système de hiérarchie sociale, ni ne parle de construction sociale; l’interprétation de cette phrase est donc grande ouverte: parle-t-elle du fait que « le genre n’est pas l’effet d’un choix » en signifiant qu’il est issu de constructions sociales auxquelles les individus ne peuvent se soustraire, ou signifie-t-elle que n’étant pas un choix, il est par conséquent inné? On est facilement poussé à l’interpréter de la deuxième façon, de la même façon que la déduction appliquée à des affirmations comme « l’homosexualité n’est pas un choix » est « l’homosexualité est innée ».
On pourrait alors rétorquer que puisqu’elle a souligné l’aspect performatif du genre, elle fait clairement référence à une construction sociale lorsque qu’elle dit que le genre n’est pas un choix (soit qu’il est profondément implanté par la société dans les individus). Le problème est qu’elle fait à la fois référence au caractère performatif du genre, mais dit après que ce n’est « pas un artifice qu’on endosse ou qu’on dépouille à son gré », donc qu’il n’est pas uniquement performatif mais comporte des aspects faisant plus profondément de la personnalité. Or ou indique-t-elle spécifiquement que ces aspects plus profonds sont socialement construits?
Elle semble donc dire, au final, que le genre est inné, mais que la société attend des individus qu’ils délivrent une performance continue (la performativité, donc) du genre, et ce bien évidemment en fonction du sexe auquel on appartient. Et donc, que les individus des deux sexes seraient opprimés par la société car on attend d’eux qu’ils performent un certain genre quand, au fond d’eux, ils en sont d’un autre. Ou figure la domination masculine et l’oppression féminine dans ce schéma?
Peut-être que j’ai manqué un élément en analysant les paroles de Judith Butler, mais pour le moment il me semble bien que c’est ce qu’il ressort de son analyse, auquel cas il s’agit bien de théorie queer. Si j’ai manqué quelque chose, alors quoi?
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