Le Magazine Littéraire « enquête » sur les études de genre

Je continue sur la série « Le Genre C’est Le Mal ». Le Magazine Littéraire a publié dans son numéro de janvier 2013 une « Enquête sur les ‘gender studies' ». Les études de genre semblent susciter un intérêt certain dans les médias, dû non pas au fait qu’il « envahisse » l’Université française, comme on a pu le prétendre, mais à la polémique issue des milieux catholiques conservateurs en 2011 et relancée par le mariage pour tou·te·s.

Un article récent de Sciences Humaines (magazine de vulgarisation de référence), intitulé « Masculin – féminin: le genre explique-t-il tout? (question rhétorique s’il en est), est très bien analysé sur le blog Une heure de peine dans « Du genre face à la paresse intellectuelle ». Denis Colombi montre en quoi il constitue un condensé des idées reçues que l’on retrouve de manière systématique chez les polémistes « anti-genre ». Le même problème se pose avec Le Magazine Littéraire, même si le dossier est globalement de meilleur niveau.

Un mot d’abord sur son titre: « Enquête sur les ‘gender studies' ». Alors que le concept de genre avait déjà été utilisé à plusieurs reprises dans ce magazine, par exemple dans un dossier sur Jean Genet intitulé « De tous les genres » (2010), se présente soudain la nécessité de mener une « enquête » sur les études de genre. Le terme d’« enquête » évoque, outre les enquêtes criminelles (!), un genre journalistique chéri d’émissions comme « Envoyé Spécial » ou « Enquête exclusive ». On imagine presque Bernard de la Villardière marchant vers nous, le sourcil sérieux et le visage préoccupé, nous présentant un sujet sur « cette théorie du genre qui inquiète les Français ».

Qu’y trouve-t-on?

Dans ces neuf pages coordonnées par Patrice Bollon (présenté comme un « journaliste spécialisé dans la critique musicale et écrivain »), on trouve un long article de ce dernier, formant le coeur du dossier et intitulé « La guerre des genres ». On lui doit aussi quatre encadrés: « Histoire – Généalogie du genre », « Deux pôles opposés ou un continuum? », « Malaise dans la psychanalyse » et « L’éthique est-elle sexuée? ». Le dossier comporte en outre:

  • « La biologie et le sexe des anges », par Thomas Tanase, agrégé d’histoire;
  • un entretien avec l’anthropologue Françoise Héritier;
  • « Une inquiétante utopie du neutre », par le sociologue Shmuel Trigano;
  • une bibliographie.

Un dossier assez fourni, donc, avec un élément frappant: pas un·e des auteur·e·s n’est spécialiste d’études de genre. L’entretien avec Françoise Héritier fait figure d’exception, mais il est mené lui aussi par un non-spécialiste. En outre, Françoise Héritier, qui a notamment publié Masculin, Féminin. La pensée de la différence (1996), préfère souvent employer d’autres concepts que « genre »: quand elle ne parle pas de masculin et de féminin, elle emploie l’expression qu’elle a conceptualisée de « valence différentielle des sexes ».

Des éléments intéressants…

L’ensemble du dossier fait explicitement écho au débat sur le mariage pour tou·te·s, qui « avive une nouvelle fois les polémiques sur les théories du genre, non sans caricatures ». Le but (on ne peut plus louable) est donc de présenter ces études de genre toujours si méconnues en France afin d’apporter des éléments de compréhension de ce débat. Patrice Bollon a tout à fait raison de souligner que la « lignée intellectuelle » des études de genre « n’est […] pas si unifiée » et que le concept de genre a une généalogie complexe (cf. « Généalogie du genre »). « La guerre des genres » s’attache notamment à montrer la complexité de la question de l’origine naturelle ou sociale de la division des genres et pose la question de la domination à laquelle celle-ci aboutit. Dans « La biologie et le sexe des anges », Thomas Tanase expose de manière intéressante la façon dont la biologie a pu et est toujours instrumentalisée pour justifier une domination sociale.

… noyés dans un amas d’idées reçues et d’erreurs

Il est cependant très inquiétant de constater qu’un magazine comme Le Magazine Littéraire puisse se satisfaire d’une présentation traduisant une connaissance extrêmement superficielle et une mécompréhension des études de genre. En outre, on y retrouve régulièrement des éléments du discours anti-genre. J’en donnerai seulement quelques exemples.

Le genre susciterait forcément peur et inquiétude

A vrai dire, je pense qu’il suscite surtout l’indifférence. Mais la polémique née en 2011 a réussi à diaboliser les études de genre auprès d’une partie de la population française et à y accoler les termes de « bouleversement », d’« inquiétude », de « peur ». Cette vision anxiogène, qui a poussé des député·e·s UMP à demander une enquête parlementaire sur le sujet, se retrouve ici.

L’article « La guerre des genres » commence par l’expression (distanciée, certes) de la vision catastrophiste véhiculée par les opposant·e·s au mariage pour tou·te·s: on serait en présence d’une « situation […] dramatique », à l’aube d’une « vaste catastrophe morale, sociale et humaine annoncée, d’une effroyable mutation anthropologique » qui « dissoudrai[t] les racines » de la Civilisation (etc., etc.). L’article n’est pas sans reprendre ce champ lexical abondamment utilisé par les anti-genre: on nous explique que « la France a longtemps résisté » à cette théorie « venue des Etats-Unis » et qui « s’est néanmoins implantée peu à peu dans nos mentalités » (ah?). La conclusion débute ainsi:

    Alors, la théorie du genre? Une ouverture fantastique pour nos sociétés, car l’occasion de forger un nouvel ordre sexuel, moral et civilisationnel peut-être encore jamais vu? Ou bien une utopie funeste, suicidaire, qu’il nous faudrait combattre de la façon la plus ferme?

Cette alternative, bien que taxée de «paranoïaque » et malgré l’appel final à la dépasser pour s’interroger sur « ses effets heuristiques » (oui, c’est Le Magazine Littéraire, ça jargonne), est en fait légitimée et renforcée par le dossier.

« La théorie du genre », encore et toujours

Patrice Bollon écrit que les études de genre ne sont pas unifiées; pourtant, il ne semble avoir aucun problème à reprendre l’expression « théorie du genre », forgée par des polémistes catholiques et sans validité conceptuelle, qui occulte la pluralité de ce champ disciplinaire. On la retrouve pas moins de 12 fois dans l’ensemble du dossier (15 si l’on compte les occurrences de « cette théorie »). Avec des variantes: « doctrine » (4 fois), « idéologie » (3 fois). Shmuel Trigano, quant à lui, a inventé l’expression « doctrine des genres », qu’il est le seul à utiliser.

L’antienne du genre comme libre choix

La « théorie du genre » est définie comme suit:

    On la présente ordinairement fondée sur une dissociation radicale entre le sexe et le genre: le sexe serait « objectif », puisque physique, biologique; le genre, masculin ou féminin, serait, lui « subjectif », parce que relevant, au niveau de l’individu, d’un choix et, à celui de la collectivité, d’une ‘construction sociale’, relative historiquement et culturellement.

Je n’ai jamais lu nulle part que le sexe était « objectif » et le genre « subjectif », mais peut-être cette vision a-t-elle été exprimée ailleurs. Elle pose plusieurs problèmes. D’abord, elle reconduit une opposition nature / culture, le sexe étant du côté de la première et le genre de la seconde. Ce partage nature / culture est loin de faire consensus parmi les chercheurs·euses étudiant les rapports de genre.

De plus, l’opposition entre « objectif » et « subjectif » sert à entériner l’idée du genre comme choix individuel. On retrouve cette idée plus loin, attribuée – ô surprise! – à Judith Butler:

    on serait en présence d’un pouvoir au fond vide ne se perpétuant que par les habitudes qu’il impose. […] on ne serait femme/homme ou homo/hétéro que par les gestes et les attitudes qu’on en donne; et on pourrait de ce fait changer à se guise d’identité sexuelle et de genre. […] Cette perspective vertigineuse, que chacun puisse définir son sexe/genre comme il l’entend, est séduisante sur le plan des libertés individuelles, mais est-elle tenable socialement?

Cette idée serait due aux « versions les plus extrêmes » de « la théorie du genre », dont Judith Butler est promue « incontestable chef de file » (il faudrait la prévenir, ça a l’air dangereux). Je ne sais pas pourquoi elle est devenue la bête noire des polémistes anti-genre ni pourquoi elle en est venue à incarner les études de genre (ou, à l’occasion, « ses versions les plus extrêmes »); en revanche, je sais que cette présentation de ces idées est à la fois fausse et largement répandue. Je vous renvoie à ce propos à l’article de Cyril Barde publié sur ce blog: « Judith Butler, meilleure alliée du néo-libéralisme? ».

Quand l’« enquête » vire au pamphlet anti-genre

Image cliquable (avec mes "!" et "?!" en prime)

Image cliquable (avec mes « ! » et « ?! » en prime)

Mon principal problème est avec le texte intitulé « Une inquiétante utopie du neutre », que l’on doit à Shmuel Trigano, sociologue qui n’avait jusque-là publié que sur le judaïsme. Devant la virulence du pamphlet et l’inanité de ses arguments, j’ai fait une rapide recherche sur le monsieur. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi Le Magazine Littéraire publiait ce… truc écrit par quelqu’un dont les études de genre sont loin d’être le champ d’expertise. Naïve que je suis – la réponse était à la page suivante, dans la bibliographie. Elle présente, parmi trois livres venant de paraître, deux ouvrages anti-genre, dont celui de Trigano, La Nouvelle Idéologie dominante: le Postmodernisme, présenté ainsi:

    Par un sociologue, professeur à l’université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, une dénonciation polémique mais informée de la théorie du genre en tant que pièce d’une idéologie plus vaste, le postmodernisme.

Professeur de sociologie, « dénonciation polémique mais informée », nous voilà rassuré·e·s. Pour ce monsieur informé, donc, « la théorie du genre est la figure de proue d’une idéologie d’envergure, qu’on peut définir comme le « postmodernisme » […]. » Pour prouver que cette « idéologie » est « dominante », Trigano évoque

    la controverse autour du livre de sciences naturelles [il y en avait plusieurs, nda] pour les lycées qui intégrait cette théorie: présente dans les universités – quoique encore très faiblement en France -, ses idées sont promues comme des vérités autant scientifiques que progressistes.

Heureusement que M. Trigano, professeur à Paris X, est bien informé, sinon on aurait peut-être eu du mal à comprendre comment une idéologie peut être à la fois « dominante » et « très faiblement » présente en France.

J’ai essayé de résumer méthodiquement le contenu de ce pamphlet. Honnêtement, je ne vois pas comment le faire, tant il accumule aberrations et fantasmes: il faudrait s’arrêter sur chaque phrase, ce serait bien laborieux et je risquerais de sauter par la fenêtre avant de finir ce (déjà long) article. Disons simplement que la « théorie du genre » serait un nouveau marxisme, « une utopie aussi inquiétante que celles qui l’ont précédée » dont l’ambition serait de « créer un Homme Nouveau/une Femme Nouvelle, au nom d’une nouvelle métaphysique aspirant à imposer ses dogmes à l’ensemble de la société au nom d’une vérité supérieure prétendument ‘scientifique' ». Rien que cela.

Shmuel Trigano n’est pas seulement un sociologue fort surprenant, il milite aussi activement contre le mariage pour tou·te·s. On retrouve sa prose (copiée-collée) sur plusieurs blogs s’opposant à l’égalité des droits (des exemples et ).

Conclusion: des questions en suspens et d’autres « inquiétudes »

Pourquoi Le Magazine Littéraire ne fait-il appel à aucun·e spécialiste des études de genre et offre-t-il à la place une tribune à un pamphlétaire anti-genre et anti-mariage pour tou·te·s? Est-ce là leur vision du débat? Si le reste du dossier permettait de contrebalancer l’effet produit par ce pamphlet, à la limite, pourquoi pas; mais l’ensemble n’est guère à même de donner une vision juste et équilibrée de la question. Il est très inquiétant de constater que des magazines comme celui-ci ou Sciences Humaines ne prennent pas la peine de faire appel à des personnes connaissant vraiment le sujet et présentent une telle vision des études de genre au grand public. Comment s’étonner ensuite que l’on retrouve, encore et encore, les propos caricaturaux que Le Magazine Littéraire pointe justement du doigt?

Et où sont les spécialistes, justement? Alors que les tribunes anti-genre, anti-mariage pour tou·te·s se multiplient dans la presse, on les entend bien peu. Il leur semble difficile d’avoir accès aux grands médias, contrairement au camp opposé.

AC Husson

12 réflexions sur “Le Magazine Littéraire « enquête » sur les études de genre

  1. J’ai découvert cet article aujourd’hui dans le magazine… et pas mal de trucs me sont restés en travers de la gorge. A commencer par le titre. Merci d’expliquer clairement ce qui m’a tant dérangée dans cet article!

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  2. Tout cela n’est qu’un caca mou qui n’a rien à envier aux délires du Point sur la franc-maçonnerie ou l’immigration en France. Peut-être que Le Monde serait preneur d’un dossier réalisé avec des initiés à la « question » du genre et aux théories queer (pour bien faire la différence).

    Peut-être faudrait-il aussi plus systématiquement pointer l’aspect libérateur de ces théories, et c’est probablement plus facile dans le cas de la théorie queer.

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  5. Bonjour!

    Tout d’abord, je me dois de reconnaître que je n’ai pas lu le « dossier » de Magazine Littéraire en question: habitant depuis un an et demi au Kenya, je suis de plus en plus déconnectée de la vie (politique, sociale, médiatique, culturelle) française.
    Mes observations jetées en vrac manqueront donc peut-être de pertinence.

    Je suis votre blog depuis sa création avec beaucoup d’intérêt et de satisfaction intellectuelle, admirant le sérieux de la démarche, lequel me repose de nombre d’autres blogs dits ou revendiqués féministes, dont le manque de nuance m’asticote souvent au niveau intellectuel (malgré le fait de me reconnaître le plus souvent dans leurs écrits).
    Je ne peux sérieusement me targuer d’être une « spécialiste du genre », mais mon parcours personnel, tant universitaire que professionnel (quand mon karma et le monde du travail m’autorise à sortir du statut de chômeuse à durée indéterminée) m’autorise, je pense, à dire deux ou trois trucs en vrac.

    D’abord, un commentaire sur Nanterre (où j’ai mené une bonne partie de mes études d’anthropologie sociale, d’ailleurs appelées là bas « ethnologie », ce qui est un indice en soi mais bon), à défaut de parler de Shmuel Trigano. Ce n’est pas que Nanterre soit une mauvaise fac, mais…. qu’il s’agisse d’ethnologie, de sciences politiques, de socio, ce campus est, comment dire….. figé dans une posture théorique, et beaucoup de ses enseignants-chercheurs ont tendance à fonctionner en vase clos, un peu comme si ils détenaient LA vérité.

    Ensuite, par rapport au fait de considérer comme erroné l’opposition nature/culture sexe/genre. D’abord, si effectivement la chose fait débat, et si la définition donnée dans le Magazine Littéraire fait tiquer, il s’avère tout de même que oui, le fond du truc est bien d’opposé « l’anatomique » (qui, justement, est loin d’être aussi simple et opposable que les représentations sociales veulent bien le laisser croire) au construit socialement, donc au culturel. Et si le Magazine Littéraire fait la grossière erreur de souligner le « choix personnel », il ne faut pas oublier que cette approche est largement entretenue par les mouvements même qui cherchent à émanciper les individus de la contrainte sociale (le mouvement queer et transgenre, par exemple).
    Les études de genre, largement implantés dans le monde anglo-saxon depuis des décennies, ont ceci de différent par rapport à la France qu’en anglais, le mot « gender » a plusieurs sens, dont le premier est bien de désigner le sexe anatomique d’un individu (male ou female), les « gender studies » étant le fait d’étudier les conséquences sociales d’être l’un ou l’autre (ou pas, ou les deux), ce du point de vue de l’ensemble des différentes sciences humaines, le tout infirmé ou confirmé par des études biologiques (principalement endocrinologiques mais pas seulement)
    Si la France utilise depuis fort peu de temps le vocable « genre », avec le flou et le foutage de gueule qui la caractérise comme vous le prouvez brillamment, ce n’est pas pour autant que les études attenant à cette problématique en sont absentes!!! Vous parlez par exemple de Françoise Héritier, dont l’approche structuraliste (la théorie anthropologue fétiche de Nanterre, justement) entraîne forcément une terminologie différente: ses deux ouvrages « masculin/féminin » (vous ne parlez que du second tome) sont justement, pour moi en tous cas, des ouvrages de référence pour qui veut s’intéresser au genre! Je pense également à « la domination masculine » de Bourdieu, qui prouve avec brio comment la différence hiérarchique homme/femme n’est justement pas « naturelle » mais constamment construite, et comment cette construction finit par sembler ontologique (ou « naturelle », « essentielle »). Le Deuxième Sexe de de Beauvoir, aussi, est bien un ouvrage de genre, et figure d’ailleurs dans la plupart des programmes de gender studies dans le monde….

    Le discours, semble-t-il, des « anti-genre » tel que Trigano, me semble toujours sous-tendu par la crainte structurelle de l’effacement voire la disparition pure et simple de la différence, (nécessaire à la pensée humaine). Encore une fois, cette crainte est alimentée par certains mouvements sociaux très actifs médiatiquement, et qui se focalisent essentiellement là-dessus. En tant qu’anthropologue cependant, il me semble qu’aucun chercheur un tant soit peu sérieux ne peut considérer le « genre » comme une « théorie ». Un journée à peine de recherches, à commencer par les études de sciences cognitives ou celles menées sur les rares « enfants sauvages », suffit à prouver la validité de l’idée de construction sociale de l’identité sexuelle (tout comme celle, d’ailleurs, de l’identité et de l’individu tout court!!).

    Enfin, et ce pour alimenter votre réflexion de linguiste: vous serez d’accord avec moi pour dire que le langage n’est jamais neutre et que le sens même d’un mot, ou plutôt la valeur qui est attachée, est toujours changeante et conjoncturelle socialement et politiquement (pensons, par exemple, à « nègre » ou « race »!). Le « genre » a ainsi connu un glissement sémantique hallucinant dans le monde l’aide humanitaire internationale, au sein duquel j’ai occupé plusieurs fois des postes de « gender expert ». Ainsi, pour les responsables humanitaires (tout comme les bailleurs), le « genre » désigne désormais le plus souvent le fait de protéger et soutenir les Femmes, elles et seulement elles ( ce qui a souvent des conséquences ubuesques pas vraiment positives pour les dites femmes, mais passons….)

    Voilà voilà….. C’était juste quelques pensées suscitées par votre article….

    En tous les cas, merci pour votre blog 🙂

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    • Merci pour ce passionnant commentaire.

      En ce qui concerne l’opposition sexe/genre reconduisant l’opposition nature/culture, j’ai préféré me contenter d’une allusion à cette question très complexe et sur laquelle je suis loin de n’avoir que des certitudes. D’abord, cette opposition fonctionne effectivement dans une certaine limite, et pour moi, elle a une valeur pédagogique importante. Difficile en effet d’introduire à la question du genre sans évoquer l’opposition nature/culture, mais il est important de dépasser cette opposition pour montrer que la catégorie de « sexe » ne va pas non plus de soi, comme le montrent par exemple les travaux de Thomas Laqueur (La fabrique du sexe. Essais sur le corps en Occident).
      Ensuite, l’opposition anatomie/construit social a également une fonction subversive et militante importante, comme vous le soulignez en évoquant le mouvement queer, et il faudrait ici distinguer dimensions militante et universitaire: ce sont notamment les études queer qui ont montré que le « naturel », « l’anatomique », « le corps » étaient des catégories beaucoup plus complexes qu’elles n’en ont l’air.

      Le discours de la différence, qui serait menacée par le concept de genre, est effectivement central dans les discours anti-genre et particulièrement dans les arguments qu’on entend actuellement contre le mariage pour tou·te·s. Vous avez raison de souligner que ce discours n’est pas sans fondement, puisque la différence est effectivement, elle aussi, interrogée par les études de genre et la pensée queer. En revanche, ce qui pose problème, c’est la façon dont est utilisé ce discours de la différence. La sociologue Irène Théry ou Françoise Héritier, que vous citez, l’employaient par exemple à la fin des années 1990 pour justifier leur opposition à la « normalisation » des familles homoparentales (elles ont l’air d’avoir changé d’avis là-dessus…). Je lisais justement hier un essai d’Eric Fassin intitulé « PaCS socialista: la gauche et le juste milieu » (publié dans L’inversion de la question homosexuelle). Il analyse notamment les arguments d’Irène Théry, qui définissait à l’époque le mariage comme « l’institution qui articule la différence des sexes et la différence des générations » – ce qui pose des problèmes anthropologiques évidents. En outre, je cite Fassin, elle définit « la différence des sexes par l’hétérosexualité, après avoir justifié l’hétérosexualité de la famille par la différence des sexes »: belle tautologie qui lui permet d’argumenter pour une union civile pour les couples homosexuels, mais contre la reconnaissance de leurs familles.

      Je ne connaissais pas l’emploi que vous citez du mot « gender » dans le domaine humanitaire, merci de me l’avoir signalé. Il est très intéressant que « genre » puisse en venir à signifier « genre féminin », ce qui est sans doute une trace de l’origine féministe des études de genre mais pose cependant des problèmes certains (et pas seulement linguistiques).

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      • Merci 🙂
        J’ignorais que Françoise Héritier ait eu un jour ce type de discours, et en suis, comment dire, fort marrie… D’autant plus que ses études sur la parenté ont bien montré l’inanité de vouloir dessiner le modèle… euh, je vais dire issu de la réforme grégorienne au XIème (aka l’instauration du mariage, tel qu’il est visiblement entendu par tous les « anti-changement » qui en tant que tel n’existait pas en Europe!) comme universel, car il ne l’est tout simplement pas. La filiation, notamment, prend des tours surprenants à côté desquels les revendications des non hétérosexuels paraissent immédiatement évidentes car très naturelles (contrairement, en tous cas pour un occidental moyen, par exemple, au fait d’exiger de son épouse qu’elle enfante 2 enfants avec un autre avant que le mariage soit officialisé, sachant que les 2 enfants en question seront ceux du mari, et non du père génétique. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres)
        La réaction d’Eric Fassin n’est pas surprenante, dans la suite logique de son travail (d’ailleurs, vous qui vous intéressez aux mots et à leur pouvoir politique, je vous conseille si vous ne l’avez pas déjà fait de vous pencher sur les recherches de son frère, Didier!)
        Autre anthropologue, et non des moindres, qui rappelle ce que j’appellerai le B.A.BA de l’anthropologie à propos des évolutions sociétales, et donc, actualité franco-française oblige, du « mariage pour tous »: Maurice Godelier (dans le Monde je crois, il y a à peu près un mois).

        Oui, bien sûr, c’est bien l’utilisation du discours sur la différence qui pose problème, hier, aujourd’hui et le fera encore demain. On touche là je pense à l’un des concepts les plus essentiels à l’humain, qu’il s’agisse de sexe, d’identité (et donc de « race », de religion, de langue, de classe sociale…) ou d’à peu près n’importe quoi.
        Et oui, bien sûr, vous avez encore raison quand vous dîtes que la « nature » a bon dos: comme tout le reste, la définition du « normal » en matière de corps, et plus particulièrement de corps sexué, est au moins en partie socialement construite. Mais ceci est beaucoup plus difficile à intégrer, même pour les chercheurs. Il est intéressant de voir par exemple que ce sont précisément des études biologiques, hormonales notamment, voulant peu ou prou prouver la différence de nature intrinsèque entre hommes et femmes qui ont amené à prouver, scientifiquement,n le contraire. C’est peut-être l’un des éléments qui m’a le plus frappée à la lecture d’un autre ouvrage, qui s’éloigne de vos sujets de réflexion (mais pas des miens 😉 !) mais dont au moins certains chapitres devraient vous intéresser: « war and gender, how gender shapes the war system » de Joshua Goldstein, un travail proprement fantastique!

        Enfin: comme vous le dîtes oui, le fait de considérer le « gender » comme « genre féminin » pose problème largement au-delà de la linguistique dans l’humanitaire (par exemple, ne plus construire que des toilettes « pour femmes » dans un camp de réfugiés pour « protéger les femmes et répondre à leurs besoins »). Et oui, cela a sans doute à voir avec l’origine féministe des études de genre, mais aussi vraisemblablement à l’histoire des idées et pratiques dans l’humanitaire et le développement, qui ont mis des décennies avant de découvrir l’importance des femmes, et presque’ autant avant d’en tirer des conséquences sur le terrain.

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  6. Passionnant article précis, fouillé et argumenté. Bravo.

    Je ne m’étonne aucunement d’un tellement traitement de la question du genre par ce magazine.
    J’ai moi-même dénoncé deux fois sur mon blog « le Magazine Littéraire » en raison de son irritant phallocentrisme.

    http://lesaventuresdeuterpe.blogspot.de/2011/10/les-femmes-ne-sont-pas-le-point-fort.html
    http://lesaventuresdeuterpe.blogspot.de/2010/09/le-magazine-litteraire-transpire.html

    J’aimerais bien pouvoir lire un magazine francais consacré à la littérature qui ne soit pas aussi discrimant envers les femmes mais apparemment il n’y en a aucun !

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