Dans ma bibliothèque – Mona Chollet, Beauté fatale

Je commence une nouvelle rubrique, « Dans ma bibliothèque ». J’entends « bibliothèque » au sens large: il s’agit de l’ensemble des livres, textes, vidéos, etc. qui m’ont marquée et nourrissent ce blog. J’y parlerai de genre bien sûr, ainsi que de féminisme, et plus largement de tous les sujets qui informent et motivent mon militantisme.

Vous pouvez contribuer à cette section, comme au reste du blog, en m’envoyant une proposition d’article à l’adresse cafaitgenre[at]gmail.com.

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Mona Chollet, Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine. (Zones, 2012, 18€)

BeauteFatale

Sommaire:

1. Et les vaches seront bien gardées. L’injonction à la féminité
2. Un héritage embarrassant. Interlude sur l’ambivalence
3. Le triomphe des otaries. Les prétentions culturelles du complexe mode-beauté
4. Une femme disparaît. L’obsession de la minceur, un « désordre culturel »
5. La fiancée de Frankenstein. Culte du corps ou haine du corps ?
6. Comment peut-on ne pas être blanche ? Derrière les odes à la « diversité »
7. Le soliloque du dominant. La féminité comme subordination

Résumé de l’éditeur:

« Soutiens-gorge rembourrés pour fillettes, obsession de la minceur, banalisation de la chirurgie esthétique, prescription insistante du port de la jupe comme symbole de libération : la « tyrannie du look » affirme aujourd’hui son emprise pour imposer la féminité la plus stéréotypée. Décortiquant presse féminine, discours publicitaires, blogs, séries télévisées, témoignages de mannequins et enquêtes sociologiques, Mona Chollet montre dans ce livre comment les industries du « complexe mode-beauté » travaillent à maintenir, sur un mode insidieux et séduisant, la logique sexiste au cœur de la sphère culturelle.

Sous le prétendu culte de la beauté prospère une haine de soi et de son corps, entretenue par le matraquage de normes inatteignables. Un processus d’autodévalorisation qui alimente une anxiété constante au sujet du physique en même temps qu’il condamne les femmes à ne pas savoir exister autrement que par la séduction, les enfermant dans un état de subordination permanente. En ce sens, la question du corps pourrait bien constituer la clé d’une avancée des droits des femmes sur tous les autres plans, de la lutte contre les violences à celle contre les inégalités au travail. »

Beauté fatale est un travail de compilation et d’analyse absolument remarquable et rigoureux, qui, s’il n’est bien sûr pas exhaustif, offre un panorama très vaste de ce que Mona Chollet appelle (à la suite de la féministe britannique Angela McRobbie) le « complexe mode-beauté » et de ses implications en termes de définition de la féminité. Je me souviens avoir été frappée (et ravie) de l’importance qu’elle accorde à toutes les formes de la culture dite « populaire » (elle parle de « culture de masse »); elle explique très bien en quoi cette culture est largement dédaignée par l’Université française, alors que « les films, les feuilletons, les émissions de télévision, les jeux, les magazines, parce qu’ils impliquent une relation affective, ludique, aux représentations qu’ils proposent, parce qu’ils mettent en branle les pouvoirs de la fiction et de l’imaginaire, informent en profondeur la mentalité de leur public, jeune et moins jeune » (Introduction, p.7).

Son analyse de la série Mad Men, par exemple, est particulièrement percutante. Dans le premier chapitre, elle analyse la façon dont cette série a été largement perçue, à savoir comme une célébration nostalgique d’une époque où « les hommes étaient des hommes et les femmes portaient des jupes ». La presse dite « féminine » s’extasie devant les robes de Betty Draper ou Joan Holloway, Mattel lance une ligne de Barbie à l’effigie des personnages principaux et tout le monde est ho-rri-fié par le machisme d’un Don Draper ou d’un Pete Campbell, ces dinosaures des années 60. Mona Chollet écrit:

    D’une fiction explorant les ravages causés par l’obsession des apparences, la stratégie commerciale et la réception médiatique ne retiennent donc que… les apparences. D’une critique féministe au vitriol, elles font une célébration de la femme-objet, cantonnée aux tenues aguicheuses et aux rôles subalternes (« On s’aime en secrétaire fifties », titre d’un guide shopping dans Elle). (p.16)

Le magazine Elle, justement, revient régulièrement dans l’essai… et c’est assez jouissif. Mona Chollet dénonce le fait qu’«un magazine comme Elle [puisse] se procalmer féministe sans (toujours) susciter l’hilarité » et montre en quoi le magazine, comme une bonne partie de la presse « féminine », est au contraire l’incarnation d’un ordre traditionnel qui, entre injonctions multiples et affichage féministe, est extrêmement nocif pour les femmes qu’il prétend représenter.

Pour autant, et c’est là l’une des spécificités de cet essai, Mona Chollet ne rejette pas en bloc tous les aspects de ce qu’on peut appeler la « culture féminine » (chap. 2). Au contraire, elle montre comment « de génération en génération, les femmes se sont […] constitué bien malgré elles une culture partagée, officieuse, illégitime » intimement liée à leur condition de dominées (p.43). Difficile de décider ce qu’il faut aujourd’hui faire de cette « culture »: la rejeter, elle et tous les stéréotypes aliénants qu’elle véhicule, ou au contraire « revendiquer ces centres d’intérêt que la culture officielle méprise et dont elle s’est débarrassée sur le féminin » (p.44)? L’auteure propose des explications d’ordre historique, sociologique et philosophique à la constitution de cette culture à part, avant de conclure qu’«assumer sa propre sensibilité, sa propre manière de voir et de faire, qui peuvent être héritées d’un passé de domination, mais qui, lorsqu’on a le courage de les imposer sur la place publique, au lieu de les ruminer frileusement dans l’entre-soi féminin, se révèle d’une grande valeur pour l’ensemble de la société » (p.68).

J’insiste là-dessus, car Beauté fatale a beau condamner sans ambiguïté les multiples formes d’aliénation liées aux stéréotypes de la féminité, l’essai propose aussi aux femmes de s’approprier et de revendiquer ce qui est méprisé par la culture dominante, qu’on devrait appeler masculine. Alors que je m’énervais récemment sur Twitter à propos des magazines dits « féminins » et que je conseillais à leurs adeptes la lecture de son essai, Mona Chollet m’a répondu ceci:

J’ai également été frappée, à la lecture de l’essai, par le nombre et la diversité des références convoquées par son auteure, de la culture « de masse » à la philosophie et à la littérature, en passant par des essayistes féministes (anglophones surtout) et des blogs. Je regrette d’ailleurs qu’il n’y ait pas de bibliographie les rassemblant. Pour autant, l’essai est non seulement facile mais agréable à lire, sans érudition malvenue et porté par une écriture souvent drôle, toujours acide et percutante. Je me suis même surprise à ralentir ma lecture pour la faire durer plus longtemps.

Si vous voulez vous en faire une idée plus précise, Beauté fatale est disponible en intégralité sur le site des éditions Zones. Je vous conseille cependant vivement de l’acheter; le livre est assez cher (18€) mais il en vaut mille fois la peine.

AC Husson

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Mona Chollet développe sur un compte SeenThis, alimenté régulièrement, les thèmes liés à Beauté fatale. Elle est journaliste au Monde Diplomatique et co-anime le site Périphéries.net.

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14 réflexions sur “Dans ma bibliothèque – Mona Chollet, Beauté fatale

  1. Je crois que j’ai lu cette comparaison dans son livre d’ailleurs, la presse « généraliste » va faire des gros titres ou des articles sur le viagra (même le figaro et le monde) et jamais sur la contraception féminine en dehors des problèmes. Où donc peut-on trouver l’information en dehors des médias « féminisés »?

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  2. Un excellent bouquin, facile à lire, et qui donne réellement envie d’arrêter de se prendre la tête sur les critères de beauté arbitraires et absurdes qu’on nous impose, car il permet de se rendre compte, justement, que ces critères sont arbitraires et absurdes. Personnellement, ce bouquin m’a bien aidé dans ce cheminement-là. Le récit de la Marocaine qui découvre, lors d’un voyage professionnel aux Etats-Unis, qu’en Occident ce sont aux femmes de s’adapter aux vêtements des magasins et non l’inverse, comme elle en a l’habitude, fait beaucoup réfléchir…

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  5. Je trouve justement que ce n’est pas par amour de son corps qu’on veut le changer. C’est plutôt qu’on le déteste qu’on veut l’échanger contre le corps d’une autre. Et c’est ce qui est au centre des problèmes de genre également. Les femmes ont trop de complexe d’infériorité que dès qu’elles sont recalées pour un poste par exemple, elles pensent que l’employeur est sexiste. Au fond le problème c’est que les femmes ne s’aiment pas, contrairement aux hommes qui aiment leurs corps et leurs personnalité. Mais voyant cela, les femmes disent souvent que les hommes sont machos.

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  6. C’est une bonne idée de faire une collection de livres et de sujets en tous genres. Mais j’aimerais savoir pourquoi vous militez pour le féminisme? Je pense que chaque sexe, chaque individu a sa place dans la société. C’est donc absurde pour moi que les femmes veuillent prendre la place des hommes et vice versa. Il en est de même pour les homosexuels. Il est dans l’ordre naturel des choses qu’un couple soit formé d’un homme et d’une femme. Si les hommes pensent différemment des femmes ce n’est pas du machisme, cela fait partie de leur nature.

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    • Je n’ai pas l’intention de refaire ici l’argumentaire du féminisme ni de « défendre » l’homosexualité (comme si elle en avait besoin) face à votre ignorance. Si vous voulez VRAIMENT savoir pourquoi je suis féministe, lisez mon blog. Sinon, surtout, ne réfléchissez pas, ne lisez rien, continuez ainsi, vous avez raison. L’ignorance c’est la vie.

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