Cet article est une contribution de Thomas, merci à lui. Pour contribuer à ce blog, vous pouvez envoyer une proposition d’article à l’adresse cafaitgenre[at]gmail.com.
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[Les réactions violentes subies par une amie proche qui aurait eu une attitude « malsaine » et « dévergondée » à l’égard des hommes (c’est-à-dire une attitude séductrice et entreprenante tout à fait banale pour un homme, mais qui ne peut être que « malsaine » et « dévergondée » pour une femme…) m’ont inspiré cet article sur la question du « slut shaming ». Cet article ne prétend ni à l’exhaustivité ni à l’objectivité : j’ai simplement essayé de faire un compte-rendu critique de quelque chose que je ne vis pas, mais qui m’a beaucoup énervé de l’extérieur.]
« Slut shaming » est une expression anglaise, formée à partir de « slut » (« salope ») et « shame » (« honte »). Une traduction approximative pourrait être « stigmatisation des salopes ». Elle désigne le fait de critiquer et de déconsidérer une femme en lui reprochant d‘être une « salope », à cause de son comportement sexuel.
Un certain nombre de faits sont convoqués de façon récurrente : la multitude des partenaires amoureux et/ou sexuel-le-s pour une femme (dans un très court laps de temps ou pire, simultanément), une manière jugée peu discrète de parler de sa vie intime, de ses désirs et de ses fantasmes, des vêtements perçus comme « provocants », un maquillage jugé « excessif », une trop grande attention portée à la séduction etc.
Le terme de « salope » peut n’être pas employé de façon aussi directe. D’autres qualificatifs peuvent servir à proférer les mêmes accusations que celles contenues dans le mot « salope », d’une façon en apparence plus édulcorée : « provocante », « allumeuse », « prostituée / pute », « dévergondée », « fille facile » etc.
L’on voit donc que le « comportement sexuel » qui vaut à une femme l’accusation plus ou moins implicite de « salope » est à entendre en un sens très large : une personne peut être critiquée comme étant une « salope » non seulement à cause de ses pratiques sexuelles, mais aussi à cause d’une multitude de signes dans son comportement quotidien qui ne relèvent pas directement de ce qu’elle fait dans son lit, mais témoigneraient d’une attitude générale, qu’il faudrait lui reprocher.
Une courte vidéo de Sarah Sloan McLeod intitulée « Slut shaming and why it’ wrong » résume de façon claire ce qu’il importe de penser de ce type de reproches particulièrement répandus, et ce qu’elle illustre en termes d’oppression des femmes dans notre société. La vidéo étant en anglais, voici la retranscription intégrale en français, ci-dessous [cette retranscription est globalement fidèle, exception faite de quelques petits arrangements sur deux ou trois tournures de phrase] :
« Salut !
(…)
Le sujet d’aujourd’hui est : « Le Slut shaming : pourquoi c’est mauvais ».
Alors, tout d’abord, qu’est-ce que c’est que ce truc, le « slut shaming » ?
Le « slut shaming » est le phénomène malheureux qui consiste dans le fait que les gens déconsidèrent ou mettent à l’index une femme parce qu’elle porte des jupes moulantes ou des vêtements qui laissent entrevoir son corps, parce qu’elle aime le sexe, a beaucoup de rapports sexuels, ou même seulement parce qu’il court des rumeurs sur ses pratiques et son activité sexuelle.
Le message que le « slut shaming » envoie aux femmes est le suivant : le sexe, c’est mauvais, avoir des rapports sexuels avec plus d’une personne est horrible, et tout le monde te haïra parce que tu auras eu des relations sexuelles tout court.
Ce message est une connerie pure. (Oui, j’ai 13 ans et je dis le mot « conneries », oui j’ai 13 ans et je parle de « slut shaming »… Faites avec !)
Quoiqu’il en soit, si vous donnez votre consentement, si vous êtes émotionnellement et physiquement prête pour ça, si vous utilisez les moyens appropriés pour vous protéger, et si vous êtes en sécurité et relax avec votre partenaire… eh ben, le sexe, c’est bien ! Ce n’est le boulot de personne de contrôler le nombre de personnes tu as des relations sexuelles, ou la quantité de sexe tu as dans ta vie. Et tu ne mérites pas d’être déconsidérée parce que tu es sexuellement active avec plus d’une seule personne !
Le « Slut shaming » contribue aussi à la « culture du viol » ou à la « culture de soutien et d’encouragement du viol ». La « culture du viol » [dans laquelle nous vivons] est une culture dans laquelle la violence sexuelle à l’égard des femmes est monnaie courante et dans laquelle prévalent les attitudes qui tolèrent largement cette violence sexuelle. Le « slut-shaming » contribue à cela en répandant le message suivant : il n’y a pas de problème à violer des « salopes » parce qu’elles ont beaucoup trop de relations sexuelles ou qu’elles portent des vêtements moulants ou des vêtements qui laissent voir des choses, car d’une manière ou d’une autre, « elles l’ont bien cherché ».
Les viols sont causés par les violeurs, par la misogynie, par la violence structurelle de notre société à tous les niveaux, et par la tolérance des institutions vis-à-vis de ce phénomène. Pas par les vêtements ou le maquillage des femmes. Pas par la manière dont elles parlent ou elles marchent. Pas parce qu’elles boivent. Pas parce qu’elles « ne font pas assez attention ». Et sûrement pas parce qu’elles sont des « salopes ».
Sonya Barnett et Heather Jarvis [militantes féministes, co-fondatrices de la 1ère « Marche des salopes » ou « Slut Walks » en 2011 à Toronto] disaient : « Être responsables de notre vie sexuelle ne signifie pas qu’il soit normal pour nous de nous attendre à des attaques violentes, quand bien même nous aurions des pratiques sexuelles pour le travail ou pour le plaisir. » Le « slut-shaming » foule aux pieds les droits des femmes de s’exprimer sexuellement elles-mêmes sans peur d’être examinées sous toutes les coutures par les hommes et d’autres femmes, et il réduit aussi le corps des femmes à des objets.
Ce à quoi je veux arriver ici, c’est que le « slut-shaming » est mauvais à tout âge. Je connais beaucoup d’autres filles de mon âge qui commencent à traiter les autres filles de « salopes » à cause de ce qu’elles disent ou font, et cela me choque juste tout le temps ! Comment peuvent-elles utiliser un langage si agressif d’une manière si banale? C’est comme si elles ne savaient pas la signification des mots qu’elles emploient –et c’est bien ça, en fait : elles n’en savent rien. »
La démonstration de Sarah Sloan McLeod est suffisamment transparente pour qu’il soit inutile d’insister outre mesure sur ses arguments.
L’on peut simplement préciser deux ou trois petites choses.
Ce phénomène de « slut shaming » est particulièrement généralisé dans notre société, et le fait que le mot « salope » ne soit pas prononcé tel quel n’enlève rien à la violence qui s’exerce à l’égard des femmes, jeunes ou moins jeunes.
Un exemple particulièrement répandu et toléré de « slut shaming » en France est l’attitude consistant à considérer que l’habillement des jeunes filles encourage (et serait même en grande partie responsable) des viols perpétrés à leur égard.
L’on peut citer, parmi de nombreux autres exemples, Xavier Darcos, le ministre des écoles lors du mandat de Nicolas Sarkozy, répondant le 12 octobre 2003 à une question sur le port du string à l’école qu’il est « normal que l’on demande aux jeunes filles, lorsqu’elles commencent à être désirables, de faire en sorte qu’elles ne provoquent personne ». Ou encore l’exemple du député UMP Eric Raoult, affirmant ceci le 15 juin 2006 : « Les viols et les tournantes ne se passent pas par moins 30° mais surtout quand il fait chaud et quand un certain nombre de petites jeunes filles ont pu laisser croire des choses ». Un des exemples les plus clairs est aussi celui de la baronne Nadine de Rotschild, affirmant en mai 2009 dans l’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier que « quand on voit aux sorties d’école les jupes portées par les filles, après on s’étonne de voir des viols… Mais c’est la vérité ! Lorsqu’on vous voit aujourd’hui, on n’a qu’une envie c’est de mettre la main aux fesses », approuvé comme il se doit par le merveilleux Eric Zemmour.
Une telle attitude est bien entendu abjecte. En effet, elle considère comme évidente et naturelle la violence physique des hommes envers les femmes et plutôt que d’essayer de la combattre, fait des victimes de cette violence généralisée dans notre société les vraies coupables. C’est bien ce que montre le propos d’Eric Raoult : il y a des personnes qui agressent sexuellement des jeunes filles (mais ça c’est normal, et puis c’est aussi de la faute de la température…) et ce sont les « salopes » de jeunes filles qui sont coupables de se faire agresser parce qu’elles n’ont pas fait attention. C’est une inversion complète : les victimes de violences deviennent coupables de ne pas avoir fait assez attention à provoquer les hommes qui, naturellement, sont dans leur bon droit s’ils ont eu envie de commettre des viols (après tout c’est dans leur nature, tout homme qui voit un morceau de chair a envie de la pénétrer et de traiter de « salopes » celles qui s’y refusent).
Un tel raisonnement est utilisé par certains pédophiles ou par des personnes qui veulent banaliser des actes pédophiles, celles-ci affirmant que les enfants « font croire des choses ». En ce qui concerne la pédophilie, personne n’accepte un tel argument car tout le monde sait bien qu’une agression sexuelle envers un mineur n’est autorisée par rien et que lui arracher des relations sexuelles est condamnable quelles que soient les circonstances. Mais en ce qui concerne les femmes, il n’est visiblement pas gênant d’utiliser ce type d’arguments consistant à accuser les victimes d’agressions sexuelles de s’être comportées comme çi ou comme ça, et à pardonner les coupables d’avoir exercé leur violence à l’égard de personnes qui n’avaient rien demandé, quelle que soit leur attitude, leurs vêtements ou leur façon de parler.
Il faut aussi remarquer sur ce point qu’une telle attitude empêche de combattre le sexisme réel et général dans notre société. En effet, en se focalisant sur les jeunes victimes qui seraient coupables des violences qu’elles subissent parce qu’elles ont le tort de croire qu’elles peuvent se balader à tout endroit et à toute heure habillée de la façon qu’elles souhaitent, l’on considère de ce fait comme normal que les hommes, eux, puissent réellement se déplacer sans crainte, à toute heure, et avec les habits qu’ils souhaitent porter, ce qui contribue évidemment à la perpétuation de la domination masculine générale dans notre société. En somme, il y a des libertés qui sont perçues dans notre société comme normales ou tolérables lorsqu’il s’agit des hommes, et provocatrices voire obscènes lorsqu’il s’agit des femmes (Exemples : le fait de boire beaucoup lors d’une soirée, le fait d’avoir plusieurs partenaires dans un laps de temps court ou simultanément, le fait de se mettre torse nu…).
Pourtant, le « slut shaming » peut quelquefois prendre le masque étonnant de la dénonciation anti-sexiste. En gros, le propos est le suivant : la mode, la télé-réalité, les médias en général inciteraient les femmes à penser qu’elles doivent être habillées de façon sexy, et être toujours sensuelles et séductrices jusque dans le moindre de leur geste. Du coup, traiter certaines femmes de « salope » serait quasiment un acte de bravoure féministe, dans la mesure où l’on mettrait ces femmes aliénées en face de leur connerie, elles qui sont incapables de se forger une identité « féminine » réelle et préfèrent reprendre à leur compte toutes les images stéréotypées et sexistes des femmes à la télévision et dans la publicité1.
Une telle bizarrerie appelle quelques brèves remarques2.
Tout d’abord, traiter des femmes de « salope » au prétexte qu’elles seraient « aliénées » par la télévision, les magazines dits « féminins » ou n’importe quoi d’autre, est ouvertement contradictoire. En effet, l’on considère par là d’un côté qu’elles sont des personnes opprimées et manipulées par la société qui leur fait ingurgiter n’importe quoi (bref : des victimes inconscientes), et de l’autre qu’elles sont quand même suffisamment perverses pour reprendre à leur compte ces injonctions à être perpétuellement sexys (bref : des coupables méprisables). Cet illogisme montre qu’un tel propos n’est rien d’autre qu’une violence stigmatisante qui s’exerce toujours de la même manière contre les femmes. Pour ma part, j’ai surtout entendu ce type d’attaques de la part d’amis hommes, ce qui ne me semble pas très étonnant : exercer une violence à l’égard de certaines personnes de son entourage, en leur ôtant tout moyen de se défendre (parce qu’on ne veut que leur bien, on est de leur côté !), et tout en se donnant bonne conscience, est beaucoup plus appréciable que de passer d’emblée pour un réac’ misogyne.
Par ailleurs, il est certes indéniable que la « sexualisation » systématique des femmes dès le plus jeune âge3, qui présente ces dernières comme des objets sexuels à la disposition des hommes est un aspect flagrant parmi tant d’autres du fait que nous vivons dans une société écrasée par la domination masculine : les femmes sont effectivement sommées, dès l’enfance, de se conformer à un modèle esthétique unique qui leur est présenté, et qui semble n’avoir été construit que pour le plaisir et le bénéfice des hommes. Le caractère envahissant de ces représentations dans notre société a ainsi indéniablement des effets sur la manière dont les femmes peuvent se percevoir elles-mêmes, et la manière dont les hommes ont généralement tendance à les considérer.
Mais il est tout aussi certain que dénigrer et punir les personnes qui ont un rapport à leur corps, à leurs vêtements, à leurs paroles, à leurs désirs, façonné par les modèles sociaux dominants de leur époque, de l’endroit où elles vivent, ou par leur histoire personnelle et familiale est une aberration stupide et incompréhensible car nous sommes tou-te-s déterminé-e-s par la société.
En résumé, s’attaquer à des personnes qui semblent avoir intériorisé un certain nombre d’injonctions sociales vis-à-vis de leur corps ou de leur comportement :
1- est contradictoire, car l’on dénigre et humilie une personne dont l’on estime en même temps qu’elle est une victime inconsciente,
2- est idiot, car une telle accusation repose sur l’idée implicite que certain-e-s sont libres comme l’air et ont le monopole de la lucidité et de l’indépendance d’esprit alors que d’autres sont bêtement déterminées par la société dans ce qu’elles ou ils font… Or comme toutes nos actions, pensées, et manières de percevoir sont construites socialement, il est incompréhensible d’accuser certaines personnes en particulier de ce qui est le lot commun de toute personne qui vit en société, y compris de ceux (ou celles) qui se croient naïvement en-dehors de toute domination sociale4.
3- est destructeur, car l’on rajoute aux oppressions diverses produites par notre société une violence supplémentaire, celle de la moquerie, de l’humiliation, et des attaques stigmatisantes qu’elles sont contraintes de subir.
Ce n’est donc pas en tapant sur certaines femmes que l’oppression que les bienveillants punisseurs et autres « slut-shamers » croient discerner disparaîtra. La meilleure manière de procéder consiste très probablement, en particulier si l’on est un homme5, à arrêter de casser les pieds aux femmes que l’on juge opprimées parce qu’elles se comporteraient de telle ou telle façon et à balayer devant sa porte6.
Je tiens aussi à attirer l’attention sur ce qui me semble être une erreur à ne pas commettre : le fait de supposer spontanément que la « salope » stigmatisée est forcément une jeune femme. En somme, quand l’on cherche à dire qu’une femme ne mérite pas le qualificatif de « salope », il me semble que l’on pense tout de suite à une jeune femme dans la rue qui porterait des vêtements moulants, un string, ou des talons aiguilles et qui serait dénigrée pour cela. J’ai en effet l’impression que c’est l’acception principale du terme « salope », et que, comme je l’ai indiqué, les jeunes femmes subissent particulièrement le « slut shaming ». Cependant, je crois que la stigmatisation des femmes plus âgées comme étant des « salopes » est aussi très importante. En effet, elles cumulent à la « putasserie » qui caractériserait toute femme qui souhaite s’habiller, désirer ou avoir des relations sexuelles comme elle l’entend, « l’indécence » de la personne âgée qui refuserait « d’assumer son âge » (d’après ce que j’ai cru comprendre, assumer son âge = après la ménopause, fini le plaisir, il ne reste plus à la femme inapte à procréer qu’à attendre la mort). Je pense ainsi que le terme de « cougar », terme dont l’équivalent masculin n’existe pas, n’est qu’un synonyme implicite de « salope » ; en effet, je ne vois vraiment pas pourquoi un terme spécial existe pour désigner les femmes plus âgées qui ont des relations affectives et/ou sexuelles avec de jeunes hommes. Cela n’est à mon sens qu’une manière de désigner et de dénigrer les femmes qui ne correspondent pas à ce que leur condition de femme devrait « normalement » leur imposer : rester dociles et silencieuses en attendant le prince charmant, et ne rien faire qui puisse laisser penser qu’elles ont l’intention d’avoir une vie relationnelle et sexuelle passé la date limite d’utilisation de leur utérus. En somme, il est « normal » qu’un homme âgé soit en couple avec une jeune femme –mieux, on remarque par là qu’il « a du succès » ou qu’il « est bien conservé » – alors que la séduction d’un jeune homme par une femme plus âgée est au mieux présentée comme une fantaisie de riche héritière ou de star hollywoodienne. Qui plus est, il y a là aussi quelque paradoxe à stigmatiser certaines personnes sous prétexte qu’elles chercheraient de façon « immature » à rester perpétuellement jeunes. En effet, il n’est un secret pour personne que les femmes âgées ne correspondent pas au modèle esthétique dominant censé s’imposer aux femmes en général : l’on peut donc légitimement supposer que c’est la société dans son ensemble qui n’a pas compris que la vieillesse n’était pas une maladie7. De ce fait, stigmatiser certaines personnes âgées parce qu’elles chercheraient à « rester jeunes » relève du même procédé absurde et destructeur dénoncé dans le paragraphe précédent.
En dernier lieu, il va de soi que la stigmatisation de toutes ces « salopes » qui franchiraient les limites de la décence, se manqueraient de respect à elles-mêmes, ou pousseraient au viol les pauvres hommes pulsionnels ne sert qu’à un but : contraindre les femmes à ne pas faire ce qu’elles veulent faire et à rester bien subordonnées à ce qu’on attend d’elle. C’est ce qu’il est facile de remarquer par le caractère contradictoire des injonctions qui leur sont imposées : de toute façon, elles seront toujours perdantes quoiqu’il arrive. Si elles portent un string ou une mini-jupe, elles sont des « salopes » pousse-au-crime et il faut leur interdire de se découvrir ainsi, c’est honteux. Si elles portent un bandeau dans les cheveux ou un voile, elles sont « dominées » par les hommes, prisonnières de leur « culture » et il faut leur interdire de se couvrir ainsi, c’est honteux.
Il est totalement illusoire de penser qu’un « juste milieu » existe pour une femme qui ne serait ni trop « salope », ni trop « coincée », mais « juste ce qu’elle est », « naturelle ». Ce juste milieu changera selon les contextes, selon les personnes avec qui elle sera en contact, selon les tâches qu’elle effectuera, et il n’est pas une personne « décente » et « pudique » pour sa famille qui ne peut être jugée « renfermée » ou « frustrée » par ses ami-e-s ou à son travail, de même qu’il n’est pas une personne « féminine » et « charmante » pour ses ami-e-s qui ne peut être considérée comme « tape à l’œil » ou « indécente » par son amant-e ou son milieu professionnel.
L’accusation perpétrée envers les femmes dont on juge qu’elles ne trouveraient pas le « juste milieu » dans leur manière de parler, de s’habiller ou de séduire, ne sert qu’à culpabiliser celles qui ne parviennent pas à comprendre et à concilier ce que leurs entourages semblent réclamer d’elles et ce qu’elles devraient faire concrètement pour leur plaire en toutes circonstances. Or, il est tout à fait compréhensible qu’elles n’y arrivent pas car c’est impossible8.
Le problème, ce n’est donc pas que les femmes ne sont pas assez « flexibles » pour s’adapter à ce à quoi elles devraient ressembler en toutes circonstances, ni trop ceci ni trop cela mais attention, au moment où il le faut et avec les personnes qu’il faut…
Le seul problème réel, c’est que la société (et plus spécifiquement la gent masculine) se sent autorisée à dicter aux femmes ce à quoi elles devraient ressembler pour être présentables, et refuse de leur foutre la paix.
Exiger des femmes qu’elles soient « elles-mêmes » au lieu de ressembler à des « salopes » ou à des «filles coincées », ce n’est qu’une manière pudique de les enjoindre à être telles que notre société dominée par les hommes souhaite qu’elles soient, point barre. Et comme les hommes ne sont pas des robots interchangeables mais peuvent vouloir que les femmes aient du maquillage (ça fait sexy) ou n’en aient pas (ça fait naturel), aient les cheveux longs (ça fait princesse) ou les cheveux courts (ça fait rebelle), cette gymnastique qui consiste à exiger des femmes qu’elles soient dans un « juste milieu » par rapport à ce qui sera apprécié est vouée à l’échec et ne fait que les opprimer avec un bonus « c’est-de-ta-faute-si-tu-n’y-arrives-pas ». C’est bien ce qu’indiquent les propos prononcés par la baronne Nadine de Rotschild à la fin de la vidéo mentionnée ci-dessus : « vous savez mesdemoiselles, vous êtes de très jolis paquets cadeaux. Vous avez autour de vous un ravissant ruban qui vous entoure. Alors ne défaites pas ce ruban qui est magnifique trop tôt ». On voit bien ici, premièrement, que l’on peut toujours ramer pour savoir quel est le critère du « bon moment » (auxquels peuvent s’ajouter d’autres critères : la bonne manière, la ou les bonne-s personne-s…), et l’on peut soupçonner qu’il y a de grandes chances que cela soit toujours trop tôt ou trop tard… Et deuxièmement, bien sûr, les femmes sont des « paquets cadeaux » destinés aux hommes, et c’est donc en vertu de ce statut formidable qu’elles devraient essayer d’être « elles-mêmes », « naturelles » et pas des « salopes » : au service des hommes.
L’on voit ici, exprimé très clairement, l’arrière-fond patriarcal de ce type d’injonction.
Et l’on comprend donc bien que le réel problème dans toute cette histoire de « slut-shaming », c’est que les femmes sont stigmatisées dès lors qu’elles emmerdent les hommes, n’ont pas envie d’être des paquets cadeaux, s’habillent, parlent, désirent et couchent comme bon leur semble, avec les personnes qui leur importent, de quelque genre qu’elles ou ils soient.
La solution est donc encore une fois très simple. Lorsque l’on voit une femme qui a l’air de se comporter comme une « salope » ou qui semble être trop « dévergondée », ou à l’inverse « pas assez libérée », ou trop « négligée », et que l’on a très envie d’aller le lui dire afin qu’elle s’améliore, pour qu’elle arrête de « jouer un rôle » ou d’être « excessive », ou afin qu’elle se « mette plus/moins en valeur » et qu’elle soit vraiment « elle-même » au lieu de « se manquer de respect », « belle » sans être « tapageuse », « séduisante » sans être « racoleuse », « pudique » sans être « frigide », voici la démarche à adopter : prendre son courage à deux mains, une bonne inspiration pour se donner du courage, et fermer sa grande bouche.
Un petit rappel nécessaire, pour finir.
Une déformation raciste particulièrement poussée dans la société française pourrait inviter à ne considérer le « slut-shaming » , voire les manifestations de sexisme en général, que comme le fait de petits « caïds de banlieue », probablement parce que l’on suppose qu’ils sont enfants d’immigrés maghrébins, probablement parce que l’on suppose qu’ils sont musulmans, et probablement parce que l’on suppose que leur « culture » va à l’encontre des « valeurs » (typiquement françaises, paraît-il) de l’émancipation des femmes et de la liberté9. Ce sont eux qui seraient exclusivement responsables des phénomènes de « slut shaming » et qui mériteraient donc d’être, eux seuls, condamnés pour cela10. Il va cependant de soi qu’une telle perception est un leurre total. En effet, l’on fait par là même l’impasse sur le fait que les personnes dont on parle (les jeunes « beurs » parce qu’il s’agit toujours d’eux…) sont nées en France, y ont été éduquées, et que le sexisme de certains de ces individus quand il se manifeste, est très certainement le produit de la société française elle-même, bien plus que le résultat d’une influence de la « culture d’origine » d’un pays où ils n’ont pas grandi. Se focaliser sur les exemples de domination masculine dans les « banlieues » effectués par d’effrayants « jeunes à capuche » a ainsi pour effet de faire croire que le sexisme ne se concentre que dans certaines parties du territoire français, et ne concerne que certaines parties de la population. Une telle focalisation permet donc à la fois d’éviter à la société française dans son ensemble de reconnaître et de combattre son propre sexisme, et en même temps de perpétuer la domination raciste envers les personnes immigrées et leurs descendant-e-s.
Pour parvenir à un tel résultat, il est donc nécessaire
-de faire de certaines personnes des étranger-e-s à l’intérieur du territoire français, en utilisant un procédé raciste consistant à faire de leurs réactions des produits de « leur culture »
-de considérer les autres comme de purs individus totalement exonérés de toute influence sociale, et qui eux, nagent onctueusement dans le règne de la Raison, de la Liberté et de l’Universalité.
La focalisation sur le « slut shaming » et les violences sexistes perpétrées par quelques individus issus d’une catégorie bien particulière de la population (les descendants d’immigrés ou présumés tels simplement parce qu’ils vivent en « banlieue ») semble bien être un écran de fumée, qui a pour effet de rendre inattentifs à l’ampleur des violences sexistes dans la totalité de la société.
Ce petit rappel va sans dire mais il va tout de même mieux en le disant.
La chercheuse et militante Christine Delphy effectue sur ce point toutes les clarifications nécessaires dans un article intitulé « La fabrication de l’Autre par le pouvoir ».
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La vérité n’a pas pu être dite. Pourtant elle est simple : l’ensemble des cultures qu’on peut identifier aujourd’hui sur le sol européen sont des cultures qui reposent sur des structures sociales et des idéologies patriarcales et qui engendrent des comportements individuels sexistes. [Note de l’auteure : Par « cultures » j’entends les pratiques et les discours des personnes, regroupées objectivement ou subjectivement en fonction de leur appartenance de genre, de classe, de race, de sexualité, d’âge ou d’autres critères.]
Certains pensent que les Arabes et les Noirs sont plus sexistes que les Blancs ; mais mesurer le sexisme d’un pays pour le comparer à celui d’un autre, a fortiori comparer deux provinces ou encore deux types de population exigerait la mise au point de définitions du sexisme : parle-t-on par exemple du degré de liberté des femmes, de leur degré d’indépendance économique, ou du « machisme » perçu des hommes, ou encore de tout cela à la fois ? Or il n’existe pas d’accord sur la définition du sexisme, , donc encore moins sur les méthodes qui permettraient de le mesurer. Tant que nous sommes dans l’incapacité de mesurer le sexisme d’un groupe ou d’une nation, il faut assumer qu’à l’intérieur d’un même pays, où les grandes structures patriarcales, économiques et légales sont par définition les mêmes, les variations idéologiques et de comportements individuels ne peuvent être grandes ; il faut assumer que les Noirs et les Arabes ne sont pas moins sexistes que les autres, mais aussi, par voie de conséquence, qu’ils ne le sont pas plus.
Je sais que cette assertion va à l’encontre de la perception ordinaire au sein de la population, y compris chez les sociologues. Cette perception est que les Africains en général sont plus sexistes que les « Occidentaux ». C’est cet a priori qui s’exerce à l’endroit des personnes d’origine africaine, quand bien même elles sont nées et ont été élevées en France ou dans un autre pays occidental. Mais nous portons sur ces personnes un regard qui, au lieu de chercher les ressemblances entre elles et les autres Français, cherche les différences : suppose, cherche et trouve des différences, et les met en valeur au détriment des ressemblances.
Ces différences peuvent exister ou être fantasmatiques, ou les deux à la fois. C’est une chose connue, mise en évidence par Letti Volpp [dans son article intitulé « Quand on rend la culture responsable de la mauvaise conduite », paru en 2006 dans Nouvelles Questions Féministes Vol. 25, No. 3, « Sexisme, racisme, et postcolonialisme »] que le même comportement est attribué dans le cas d’un homme blanc à sa psychologie individuelle et dans le cas d’un homme « de couleur » à sa « culture étrangère », ou plutôt présumée étrangère en raison de la nationalité de ses parents ou grands-parents. Dès lors que le sexisme est attribué, via une origine nationale ou ethnique « étrangère », à une culture également étrangère, le sexisme de l’individu est vu comme appartenant à cette culture étrangère, et il est plus mis en relief, plus remarqué que le sexisme ordinaire de notre propre culture, car la culture propre d’une personne, fût-elle sociologue, tend à être naturalisée, à n’être pas vue comme une culture ; le sexisme ordinaire qui fait partie de cette culture tend par conséquence à être minimisé, voire ignoré, comme élément culturel.
Un exemple de cela est que l’assassinat de femmes arabes ou musulmanes, à coups de pierres ou par le feu, par des hommes arabes ou musulmans, nous semble plus horrible que l’assassinat d’une femme blanche par un homme blanc à coups de poing. Nous n’approuvons jamais le meurtre, mais certaines méthodes — le feu, les pierres — nous semblent plus horribles que tuer à mains nues, parce que cette dernière méthode est courante en Occident. Le résultat — la mort — est le même, mais les jurys appliquent des peines beaucoup plus lourdes aux meurtres commis avec des méthodes exotiques qu’aux meurtres commis à mains nues. Cette dernière technique de mise à mort est implicitement vue comme une réaction « humaine », « spontanée », due à un état émotionnel lui aussi « humain » et « spontané » : battre à mort — qu’il s’agisse des gestes ou de l’état émotionnel où doit se mettre le meurtrier pour les accomplir — est vu comme « ordinaire », « pouvant arriver à tout le monde », faisant partie des extrêmes auxquels tout individu peut être conduit dans sa vie, auxquels il peut être conduit par la vie. Ainsi les meurtriers de femmes, tant qu’ils sont « de souche », sont-ils vus comme les protagonistes d’un « drame passionnel » si ce sont des amants ou des maris ou comme des « monstres » (des fous) si ce sont des inconnus, et toujours comme des individus. Les meurtriers non « de souche » sont vus comme des marionnettes — interchangeables — agies par les superstitions archaïques de leur culture. On n’a pas besoin de psychologie avec eux : il suffit de dire : « Ils sont turcs ».
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Pour aller plus loin :
–Transcription en anglais de la vidéo de Sarah Sloan McLeod « Slut shaming and why it’s wrong »
–Un article de Lady Dylan dans Madmoizelle, contenant la vidéo de Sarah Sloan McLeod « Slut shaming and why it’s wrong »
–Vidéo de Laci Green dans Sex + sur le « slut shaming » [sous-titres français disponibles]
– Article de Sophie Heine dans la revue Politique intitulé « Apparence physique, les femmes sont toujours perdantes »
-Article de l’auteure du blog Les questions composent, sur le viol, intitulé « Les victimes coupables. Yaka et Yakapa au dur pays de la réalité »
– Article de l’auteure du blog Les questions composent intitulé « Pourquoi porte-t-elle un petit short au ras du bonbon pour faire son jogging ? »
-Article de l’auteure du blog Crêpe Georgette intitulé « Comprendre la culture du viol «
-Article de l’auteure du blog Crêpe Georgette intitulé « Psst » [sur l’inégalité entre les hommes et les femmes dans la perception de la manière dont elles et ils s’habillent]
-Article de AC Husson sur Genre intitulé « Parler du viol : la parole des victimes » [dernier d’une série de 3 articles sur le viol, celui-ci s’intéresse à la difficulté pour les victimes d’être entendues lorsqu’elles parlent de leur agression]
-Article de Pierre Tévanian dans Les mots sont importants effectuant la critique des propos de Xavier Darcos mentionnés dans cet article
-Documentaire de Sophie Bissonnette sur l’ « hypersexualisation » des femmes, en particulier dans la publicité, et son impact sur les enfants
-Article de Christelle Hamel intitulé « De la racialisation du sexisme au sexisme identitaire » (portant notamment sur l’attribution exclusive du sexisme aux descendant-e-s d’immigré-e-s maghrébin-e-s en France)
-Article de Christine Delphy sur l’intersection du féminisme et de l’antiracisme
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Sur les Slutwalks :
Les « slutwalks », ou « marche des salopes » sont des défilés de femmes revendiquant leur liberté de s’habiller et de vivre comme elles le désirent, en particulier en ce qui concerne ce qu’elles font de leur sexualité. La première marche de ce type visant à lutter contre le « slut shaming » a eu lieu pour la première fois en 2011 à Toronto.
La question à 1000 euros (que je n’ai pas abordé et ne résoudrai pas) concerne la réappropriation positive du terme « salopes » qui est effectué dans les « slutwalks » par les femmes qui manifestent, et ainsi, la pertinence ou non, en termes de stratégie militante, de défiler éventuellement en petite tenue et en affirmant que l’on est fière d’être une « salope ».
Etant un homme cis11, et étant donc à l’abri de tout « slut shaming » me concernant, je pense n’avoir aucun avis pertinent sur cette question-là. En effet, je n’ai jamais eu à me la poser, et je ne peux de toute façon pas me la poser avec autant d’acuité qu’une personne qui se fait traiter (ou pourrait un jour se faire traiter) de « salope ».
La seule lapalissade que je me sens fondé à dire là-dessus est la suivante.
Les contorsions stratégiques auxquelles sont en proie les groupes féministes pour savoir si l’écho rencontré par une « marche des salopes » sera préférable à d’autres actions qui attireraient moins l’attention des médias dominants ou bien sera préjudiciable à leur dénonciation du « slut shaming », ou encore s’il est judicieux de retourner un stigmate patriarcal contre la société qui l’a produite, ne font que témoigner de la puissance dramatique de la domination masculine dans notre société : pour chercher à être entendues, les féministes sont contraintes de faire preuve d’une hyper-vigilance extraordinaire dans leurs moindres faits et gestes, alors que le premier huluberlu masculiniste qui grimpe sur une grue est reçu par le gouvernement dans les trois jours12…
Quelques liens sur les « slutwalks »:
–Site officiel de la « Slutwalk » de Toronto
–Site officiel du « mouvement Slutwalk » en France
–Une présentation et une description des « slutwalks » par Marie Desnos dans un article de Paris Match [l’article présente le contexte de la manifestation de 2011 à Toronto et présente de façon élogieuse les mouvements « Slutwalk »]
– Une lettre ouverte des Black Women’s Blueprint aux organisatrices de la Slutwalk de Toronto [elles saluent l’initiative mais affirment ne pas vraiment s’y reconnaître, et doutent de la pertinence de la réappropriation du terme « slut » – en particulier parce qu’elles luttent pour que l’on cesse de considérer les femmes noires comme des femmes « chaudes » avec quiconque]
-Un article de l’auteure du blog Journal en noir et blanc intitulé « Femen, Slutwalk, le féminisme ‘nouvelle génération’ ? » [L’article présente les revendications portées par ces mouvements, les questions ou réserves qu’ils suscitent, et affirme que de toute façon, les féministes auraient toujours tort quoi qu’elles fassent]
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Notes
1 En voici un exemple, dans un article du blog « Les sales gosses » où l’auteure défend l’idée qu’elle se fait du féminisme (^)
2 Cet article de Sylvie Tissot me paraît très éclairant sur le sujet. Il ne porte pas exactement sur le « slut-shaming » mais sur le sexisme de militants qui luttent contre les publicités sexistes, et mon argumentation ici s’inspire directement de ce qu’elle dénonce dans cet article. (^)
3 Une petite vidéo présentant une accumulation de publicités sexistes; photos du catalogue de « Jours après Lunes », été 2011. (^)
4 Par exemple, un homme qui pourfend l’influence néfaste de la télévision, de la publicité, des magazines féminins, des clips (etc…) et qui s’en sert pour traiter de « salopes » ou de « connes sans cervelles » celles qui se réfèrent aux modèles féminins proposés par tous ces médias ne se demande jamais en quoi est-ce qu’il contribue lui-même à perpétuer cette situation qu’il dénonce en apparence : en faisant des remarques à sa copine sur le fait qu’elle devrait « se faire belle » pour lui, en faisant (ou en riant) des blagues sur les gros-se-s ou sur les personnes considérées comme « moches » , en trouvant bizarre qu’une femme sorte avec un homme plus âgé, en consommant des films pornographiques… Par ailleurs, l’idée qu’il soit lui-même « aliéné » par un modèle dominant de ce que devrait être « un homme », modèle qui lui procure tout un tas d’avantages sociaux, et auquel il est sommé de se conformer le plus possible (comme l’indique cet article de l’auteure du blog Crêpe Georgette) lui passe bien sûr totalement au-dessus de la tête. (^)
5 Dans cet article, je me focalise sur les hommes pour deux raisons principales.
1- J’ai vu cette stigmatisation presque systématiquement effectuée par des hommes, ce qui ne me semble pas très étonnant… En effet, comme je cherche à le montrer dans cet article, ce type d’attaques entérine l’idée que ces derniers ont le droit de vivre et de se déplacer comme ils l’entendent alors que le corps des femmes n’existerait qu’en tant qu’objet de désir destiné à leur regard, objet qu’il faudrait pour cette raison surveiller et contrôler. Ainsi, critiquer également les hommes et les femmes revient à mon avis à faire comme si ces dernières tiraient le même bénéfice que les hommes de cette stigmatisation, ce qui relève de la mystification la plus grossière.
2- Je pense discerner plus exactement la manière dont les hommes peuvent stigmatiser des femmes sans aucun scrupule, voire sans s’en rendre compte : en effet, en tant qu’homme, j’ai vu tous ces travers très régulièrement chez beaucoup de mes amis, et j’ai moi-même longtemps cru et adhéré aux discours vomitifs que je dénonce dans cet article (en tout cas, suffisamment pour ne pas être choqué en les entendant, durant des années)… Mais en ce qui concerne les femmes, je préfère ne pas risquer d’hypothèses car je ne comprends pas bien comment certaines femmes peuvent par moments reprendre à leur compte ce type d’insultes patriarcales, et je ne veux pas dire de bêtises à ce sujet. En tout cas, je suis convaincu que l’on ne peut pas considérer comme identiques les mécanismes qui amènent la plupart des hommes et certaines femmes à tenir ce genre de propos stigmatisants, tout simplement parce que les hommes et les femmes ne subissent pas les mêmes contraintes, ne sont ni perçu-e-s ni élevé-e-s de la même façon, et que contrairement aux hommes, les femmes, elles, sont des victimes –au moins potentielles– de cette stigmatisation. De ce fait, je pense que mon point de vue masculin m’empêche de comprendre clairement ce phénomène là, et c’est aussi pour cette raison que je préfère ne pas m’y attarder.
Voilà pourquoi je concentre ici mes critiques sur les hommes, et ne me sers de propos de femmes (la baronne de Rotschild) qu’à titre d’illustration. (^)
6 L’auteure du blog Les questions composent explique ce dernier point d’une façon beaucoup plus précise et convaincante que moi, dans ce superbe article intitulé « Mépris et misogynie ordinaire » (^)
7 Parmi de nombreux autres exemples, on peut se référer à cette tribune rédigée par Pascale Senk parue dans le Monde, et disponible ici sur le site de l’Observatoire de l’Âgisme. P. Senk explique comment la quasi-totalité des journaux féminins français qu’elle a contacté a refusé de publier un article intitulé « L’art de vieillir », contenant des interviews de nouveaux retraités partageant leur expérience, car « on ne peut pas parler comme ça de la vieillesse à nos lectrices ». On peut lire aussi avec intérêt cette interview de Geneviève Sellier qui pointe les inégalités flagrantes (en termes d’âge) pour les rôles au cinéma entre les hommes et les femmes. (^)
8 Un exemple caricatural de cela est fourni par le port de la jupe au collège. Interdite parce qu’elle est trop courte et manifestement provocatrice, et aboutissant à l’exclusion d’une élève parce qu’elle est trop longue et manifestement oppressive. Ces distinctions entre jupe sexy, jupe islamique, jupe qui libère trop et jupe qui enferme, jupe de « salope » et jupe de musulmane qui constitue « un danger », sont pathétiques. On attend toujours la circulaire du ministère de l’éducation définissant la longueur, le tissu et la couleur de la jupe républicaine, décente et laïque. (^)
9 Les « jeunes de banlieue » sont en effet des entités mystérieuses dont on suppose de façon fantasmatique qu’ils sont tous musulmans et d’origine maghrébine et par conséquent (?!), sexistes, violents, bref très dangereux à la différence des autres « vrais » français… Ce délire consistant à assigner arbitrairement de telles caractéristiques à la catégorie floue des « jeunes de banlieue » peut aller très loin dans l’absurde et le ridicule, un exemple rocambolesque étant fourni ici par le sublime Robert Ménard, affirmant dans cette émission-débat de février 2013 (à partir de 23’25) qu’ « 1 enfant sur 2 qui naît en Seine St-Denis est musulman, d’après les statistiques »… (^)
10 Les conditions de vie des femmes sont en effet censées être catastrophiques « dans les cités » (c’est-à-dire seulement là, et nulle part ailleurs), et il y a fort à parier qu’une femme se faisant traiter de « salope » à la télévision ne l’est pas par un ministre ou un député mais généralement par un « jeune de banlieue » dans un reportage… Un petit exemple de dénonciation du « slut shaming » attribué exclusivement à des « jeunes de banlieue » ici, dans un journal télévisé de France 2. Un exemple plus flagrant est constitué par le reportage « La cité du mâle » dont l’unique angle d’approche est la dénonciation des violences dans « les cités » et en particulier en Seine-Saint-Denis où une jeune femme, Sohane Benziane, a été brûlée vive par son compagnon. Le sexisme des hommes que l’on voit dans le reportage est réel et évidemment condamnable, mais le reportage fait explicitement de ce sexisme l’apanage de « la barbarie machiste qui sévit dans les cités », alors que la quasi-totalité des propos nauséabonds et des idées sexistes défendues par la plupart des intervenants de ce reportage auraient certainement pu être constatés n’importe où ailleurs dans notre société (voir la critique de ce reportage effectuée ici par Mona Chollet) . (^)
11 Une personne « cis » ou « cisgenre » (du préfixe latin signifiant « du même côté ») est une personne pour qui il n’existe pas de conflit apparent entre le genre qui lui est assigné dès la naissance par la société en fonction de ses organes génitaux, et celui par lequel elle se définit elle-même. Exemple : je suis né de sexe masculin, je suis perçu et considéré socialement comme étant « un homme », et je me vis et me définis moi-même comme étant un «homme ». (^)
12 Voici un article d’Aurélie Fillod-Chabaud sur ce sujet, décrivant la complaisance avec laquelle cette initiative masculiniste a été médiatisée. (^)
à ce sujet, permettez moi de vous signaler ce livre de 1997 « the ethical slut », livre très connu et peut-être à l’origine de cette réappropriation du terme
http://en.wikipedia.org/wiki/The_Ethical_Slut
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En effet, vu que ça date de 1997, il n’est pas impossible que ce livre ait servi de référence pour les Slutwalks, il faudrait se renseigner là-dessus…
Merci pour la référence, je ne la connaissais pas !
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Le résumé exact de tout ce que je pense et répète depuis longtemps… Comment peut on encore en être là…!
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Bonjour ! merci pour cet article et votre révolte solidaire c’est rafraichissant et très instructif. Je suis très épatée aussi par la petite fille de 13 ans et par la maturité de ses propos, et ok je vais essayer de « get over » le fait qu’elle a un discours aussi adulte sur le sexe .
IL y a un point qui est important pour moi dans ce qui ce rapporte au « slutshaming » : je voudrais souligner que la pluspart du temps , si l’insulte correspond à une attaque de type sexuel , elle est en fait assez rarement suite à un » comportement sexuel « de la femme qui en est victime , c’est ce que vous indiquez dans le texte en parlant de maquillage , de vêtement, de boire, d’avoir des partenaires sexuels .
De ma propre reflexion , le slut shaming est utilisé contre toute femme faisant preuve d’un comportement (pas nécessairement sexuel) trop indépendant , ou libre aux gouts de la personne qui l’insulte . Il est utilisé pour réduire au silence une femme qui prend la parole publiquement, contre les filles qui étudient dans des filières traditionnellement masculine ( j’ai eu vent aujourd’hui d’une campagne organisée contre une étudiante de DUT technique , qui est la seule fille de sa classe , et qui se fait traiter de sale pute à longueur de journée, juste parce-qu’elle est là ) , contre les filles jolies, bien dans leur peau , qui ont de l’ambition, confiance en elles… ( ce qui ne signifie pas maquillées ou apprêtées) , pour réduire au silence, pour intimider, pour remettre à sa place / le vêtement occidental court est un symbole de libération plus qu’un symbole sexuel , et je pense que c’est l’absence de soumission qui est visé lorsqu’une femme en jupe ou maquillée en fait les frais( refuser d’appartenir à un homme imposé , donc être une pute, ne pas avoir de valeur) .
Les arguments du maquillage, du haut moulant , du fait qu’elle a eu un petit ami , de la jupe , ne viennent qu’après en justificatif de l’insulte. on peut toujours trouver quelque chose , même à une femme couverte intégralement et vierge ( regard d’allumeuse, démarche d’allumeuse,façon de rire …)
Je ne suis pas très fan de la slutwalk parce-que je pense qu’elle passe à côté du vrai sens du slutshaming : ça n’a jamais rien eu à voir avec les comportements , les vêtements . C’est juste que depuis la nuit des temps, traiter une femme de pute, c’est le plus court chemin pour lui signifier qu’elle est moins qu’humaine et qu’elle n’a pas de valeur , et donc qu’elle doit rester à sa place de dominée , et pour ce faire on la renvoie à sa génitalité, à sa fonction sexuelle, à son sexe.
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Bonjour.
Merci pour les compliments !
Merci aussi pour votre commentaire très enrichissant.
Vous faites bien de préciser le fait que le « slut shaming » ne vise pas forcément un comportement sexuel. Il n’y a en effet, comme j’ai aussi essayé de le montrer, pas de comportement-type de la personne perçue comme « salope », avec un mode d’emploi pour éviter d’être qualifiée ainsi, mais bien plutôt un ensemble d’injonctions contradictoires qui permettent de « piéger » une femme quoi qu’elle dise ou fasse. Ca me rappelle une phrase d’un petit article (par ailleurs superbe) de Denis Colombi évoquant le fait que les hommes ne sont pas oppressés comme le sont les femmes : « c’est ça l’oppression, ce jeu dans lequel même si tu respectes les règles, tu ne pourras pas gagner ».(http://uneheuredepeine.tumblr.com/post/53693897240/moi-ca-va). A mon avis, c’est tout à fait ça, le « slut shaming ».
Merci vraiment pour votre réflexion, vous êtes plus dense et plus claire que moi dans votre commentaire, c’est super ! 🙂
La difficulté que vous soulignez bien, c’est que ce n’est pas un « comportement sexuel » qui vaut à une femme d’être stigmatisée ainsi. C’est plutôt généralement (de ce que j’ai vu) un comportement que les hommes interprètent comme correspondant à une invitation sexuelle implicite, ce qui est différent. Et comme l’on sait que dans notre société, une femme qui sourit à des hommes peut être perçue par ces derniers comme une nymphomane rêvant de coucher avec eux, le « slut shaming » peut concerner dans les faits à peu près n’importe quelle attitude de n’importe quelle femme…
Bref, pour corroborer ce que vous dites, ce qui vaut à une femme d’être traitée de « salope » (ou terme équivalent) en général, c’est, je crois,
–> souvent le fait qu’elle entend disposer de son corps comme elle le souhaite (au sens large, ça concerne les rapports sexuels mais aussi la manière de s’habiller, de se maquiller, de marcher…), alors qu’en fait, elle devrait plutôt, en ce qui concerne son propre corps, obéir aux volontés de son propriétaire légitime (son « copain ») ou faire preuve de « décence » (= obéir aux injonctions contradictoires des autres hommes)
Exemple vomitif ici, le hashtag « Tu es une salope si… » complété ensuite par les utilisateurs et utilisatrices de Twitter : https://twitter.com/search/realtime?q=%23TEsUneSalope&src=typd
–> mais aussi, tout simplement le fait qu’elle réussisse à faire quelque chose d’absolument intolérable, comme réussir dans un domaine réservé aux hommes ou réussir sans avoir eu la « décence » de se conformer à l’image que beaucoup d’hommes voudraient d’elle.
Exemple qui va dans le sens de ce que vous dites : Marion Bartoli, la joueuse de tennis française qui vient de remporter Wimbledon se fait traiter de « fat slut » sur les réseaux sociaux (http://publicshaming.tumblr.com/post/54864863081/womens-wimbledon-champion-marion-bartoli-deemed ) uniquement parce qu’elle eu l’insolence de remporter un tournoi sans ressembler à l’image stéréotypée véhiculée dans notre société d’une femme censée être « belle ». (http://leplus.nouvelobs.com/contribution/904466-bartoli-victime-de-sexisme-a-wimbledon-le-sport-demeure-la-chasse-gardee-des-hommes.html) Sacrilège. Une femme qui fait du sport, se fiche complètement des remarques désobligeantes concernant son physique et qui gagne en plus. Beurk.
Bon, j’ai écrit un pavé juste pour redire la même chose que vous en moins bien, mais c’était simplement pour souligner mon accord avec votre propos très intéressant. 🙂
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Très bel article, bien documenté. La dernière partie, notamment le fait qu’on fasse de l’étranger une marionnette de sa culture, et du bon français un individu un peu caractériel est juste parfaite. Merci! Comme le dit Orri cela dit, je pense que le fait de traiter une femme de « salope » c’est aussi une façon de la ramener à sa nature sexualisée, à son sexe, et au fait qu’elle ne soit finalement…qu’une femme. Et ça va avec le harcèlement de rue, comme dans l’article vers lequel tu renvoies de Crêpe Georgette. Enfin, merci beaucoupThomas pour ton courageux féminisme.
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Merci pour les compliments et pour tes remarques, ça fait plaisir d’avoir des réactions si positives !
Après, je voudrai juste préciser que je ne suis pas spécialement courageux pour deux raisons principales :
1) Je ne fais pas preuve d’une lucidité particulière sur moi-même et ma condition d’homme cisgenre hétéro mais me contente de lire ce qu’écrivent certaines femmes sur ces sujets ou de discuter avec des amies féministes. Sans leurs analyses acérées, approfondies, et bien informées (et pour cause, elles vivent ce dont je ne fais que parler…) je n’aurais rien remarqué et aurait continué mon petit bonhomme de chemin bien tranquille, du « bon » côté du patriarcat…
2) Partager les analyses féministes ne m’apporte aucun désavantage et ne me fait prendre aucun risque, bien au contraire. En effet, je sais que j’aurais probablement d’emblée l’air plus objectif, plus neutre (parce qu’une femme qui écrit ce genre de choses peut toujours être soupçonnée de vouloir se défendre d’être une « salope », mais moi non…) et en plus, je tire un bénéfice « subversif » de cette situation parce qu’une femme qui défend ses droits fondamentaux tels que celui de se déplacer, de s’habiller, de parler ou de coucher avec qui elle veut et comme elle l’entend, c’est normal, mais un homme solidaire de quelques-uns de leurs problèmes, c’est un génie du bien…^^
Donc bon, l’adjectif ne convient pas, à mon avis, il n’y a vraiment pas de quoi 🙂
A mon avis, cet article n’apporte rien de nouveau par rapport à des articles écrits par des femmes féministes qu’on peut trouver facilement sur la toile mais il n’est pas impossible (en tout cas, c’est le but recherché !^^) qu’une compilation comme celle-ci peut avoir un effet plus frappant, notamment pour des hommes qui tiendraient ce type de propos, qui tomberaient sur cet article et y seraient peut-être plus sensibles (car ils accepteraient peut-être plus facilement ces arguments venant d’un point de vue masculin, je ne sais pas).
Mais quoiqu’il en soit, je suis content que cet article t’ait plu 🙂
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La seule objection que je trouve à formuler n’en est pas vraiment une, c’est une observation sémantique, une interrogation sur la pertinence de traduire « slut » par « salope ». Le mot « slut » en anglais n’a pas d’autre signification, d’autre champ lexical que celui de l’attitude vis-à-vis du sexe, ce qui est loin d’être le cas de « salope » en français.
M’enfin, je dis ça, j’ai beau chercher, je ne trouve pas de terme plus spécifique en français. À part « gourgandine » peut-être, mais c’est trop littéraire.
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Honnêtement, vous avez peut-être raison mais j’ai surtout pris la traduction qui est reprise et utilisée par les personnes qui en parlent habituellement (personne ne traite qui que ce soit de « gourgandine » aujourd’hui^^).
Après, je peux me tromper mais j’ai l’impression que les personnes traitées de « slut » ou de « salope » subissent un peu le même type d’insultes par ailleurs : elle est trop ceci ou trop cela, elle mériterait d’être violée, elle a besoin d’un bon coup de bite/de retourner à la cuisine/de faire preuve de décence, ce genre de merveilleuses subtilités… Vous ne trouvez pas ?
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Bon article, bien argumenté, qui se répète un peu, mais qui fait bien le tour du problème. Ce qui m’ébahit les personnes les plus promptes au slutshamming, c’est l’incroyable incongruité de leur démarche. Je sais que les paradoxes ne manquent pas dans le patriarcat, mais ici, on fait fort quand même, à dire à la fois que les femmes sont « libres de leurs choix » mais que tout de même il faudrait bien qu’elles se conforment à ce qu’on leur demande…
Bref, sinon, juste un point de l’argumentation finale sur lequel je suis en désaccord : la violence conjugale est encore bien trop souvent banalisée, mais je pense que la comparaison avec la lapidation ou le fouet dans d’autres pays est maladroite, sinon malhonnête.
Quoi qu’on en dise, dans les pays occidentaux, la violence conjugale est criminelle. Dans l’autre cas, on parle de peines prononcées par le système de justice même…
Je comprends (et j’approuve) le fond de l’argumentaire, mais certainement pas la forme qui dans tous les cas se rapproche dangereusement du sophisme : on ne fait pas mieux, donc il est interdit de critiquer?
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Merci beaucoup pour vos remarques, et d’avoir pris le temps de me lire ! 🙂
Alors, sur votre objection proprement dite :
–> Tout d’abord, entendons-nous bien, ce n’est pas parce que la condition des femmes a encore beaucoup de progrès à faire dans notre société qu’il serait interdit de critiquer ailleurs. Ce serait évidemment absurde donc si la fin de mon article pouvait laisser entendre quelque chose comme ça, vous faites très bien de faire la remarque : ce n’est pas parce que c’est pourri chez nous qu’il faut pas critiquer quand c’est pourri ailleurs MAIS c’est parce qu’on a raison de critiquer quand c’est pourri ailleurs qu’il faut critiquer aussi fortement quand c’est pourri chez nous…
C’est un peu basique comme résumé 😀 mais en gros c’est l’idée.
–> Après sur la comparaison que fait C. Delphy (puisque les derniers paragraphes sont tirés de son article) entre les violences faites aux femmes et la lapidation ou le fouet, honnêtement, je ne vois pas trop où est le problème.
Il y a probablement une part de provocation, c’est aussi pour marquer les esprits afin d’attirer notre attention non seulement sur ce qui se passe de catastrophique ailleurs mais aussi sur ce qui se passe d’horrible chez nous. Mais ce n’est pas que rhétorique à mon avis et personnellement, je ne trouve pas la comparaison malhonnête.
Je ne suis pas spécialiste de ces questions mais
1- j’ai toujours été frappé par la présentation de ces assassinats appelés « crimes passionnels », à savoir ces meurtres de femmes à coup de poings et coup de pieds qui sont présentées comme des « histoires d’amour qui se terminent mal »… Alors que quand une femme est immolée, lapidée, ou pendue, ça nous semble tout de suite absolument inhumain et abject. Je crois qu’il y a vraiment un déséquilibre difficile à nier : les deux cas de figure sont absolument abjects et doivent être dénoncés mais je crois que l’horreur du second cas est plus souvent soulignée que dans le premier. Vous n’êtes pas d’accord ?
2- Les violences qui sont corroborées par la loi (comme l’existence de « crimes moraux » en Afghanistan, si je ne me trompe pas) ou qui reposent sur une absence pure et simple de lois protégeant les droits d’une catégorie de la population (ici, les femmes) est gravissime (C’est par exemple ce que montre ce petit panorama -non exhaustif- de la situation désastreuse concernant les droits des femmes dans divers pays du monde: http://www.pambazuka.org/fr/category/features/51768).
Pour autant, le fait que des violences soient condamnées officiellement par la loi d’un pays, comme en France, ne fait pas immédiatement de ces violences, à mon avis, des violences « criminelles ». A mon avis (mais ce n’est que mon avis) si les mécanismes d’oppression présents dans une société restent tellement puissants et tellement pas remis en cause qu’ils ne sont que très rarement sanctionnés par la justice, alors cette violence même si elle n’est pas officiellement légitime reste autorisée, encouragée (ou du moins, pas découragée du tout) et du coup tendra fatalement à se perpétuer.
Pour moi, quand une société dispose d’une loi qui rend officiellement « criminelle » une forme de violence (exemple, en France, le viol est interdit : http://www.cfcv.asso.fr/viol-femmes-informations/c2,ce-que-dit-la-loi.php) mais que l’existence de cette loi n’empêche pas cette violence de se perpétuer et la quasi-totalité des coupables de rester en liberté et de continuer à agir, (environ 10% des victimes de viol portent plainte, 3% des personnes assignées en justice parmi les plaintes déposées se retrouvent aux assises… http://www.rue89.com/2013/06/30/pourquoi-97-declarations-viols-terminent-jamais-assises-243827 ), ben, j’ai assez peu de scrupules à comparer cette société à d’autres où les lois sur ce sujet n’existent pas ou sont catastrophiques.
Si nous avons un petit désaccord, c’est, je crois, parce que vous trouvez qu’une société où il est inscrit dans la loi l’interdiction officielle d’une certaine forme de violence est tout de même très différente d’une société où cette interdiction n’est pas inscrite, ou (pire) d’une société où la loi valide les violences en question.
Je comprends votre argument, et oui, bien sûr que c’est MIEUX qu’il y ait des lois sur ces problèmes graves que pas de lois du tout ou des lois ouvertement discriminantes. Mais personnellement je trouve souvent la différence assez minime (le viol et les violences faites aux femmes sont des exemples possibles, mais on aurait pu aussi prendre en exemple les discriminations racistes qui sont interdites dans notre société, paraît-il).
C’est pour cela que la comparaison ne me choque pas et me semble justifiée.
Qu’est-ce que vous en pensez ?
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Je pense que votre réponse a été postée en triple, j’ai lu seulement la dernière — désolé si j’ai manqué certains arguments présents dans les autres.
Pour le premier point, je pense que nous nous rejoignons. Ma position peut en fait être résumée par ceci : une critique d’un phénomène patriarcal ou sexiste ne devrait en aucun cas être amplifiée (parce que ce sont des méchants *** barbares — remplacez par la race/religion que vous voulez) ou au contraire réduite (parce que c’est nous et que nous nous sommes tous gentils). Ceci étant dit, le but est d’en arriver à une certaine objectivité, qui n’est pas selon moi présente dans cette comparaison.
Pour le reste, je me dois d’admettre mon manque de vision personnel sur la violence conjugale. Pour moi, un meurtre passionnel est aussi abject que les autres meurtres.
C’est simplement que je ne pense pas que beaucoup de gens laisseraient un meurtre (de quelque type que ce soit) se dérouler sous leurs yeux sans intervenir. Je ne pense pas que beaucoup de gens considèreraient légitime que l’adultère soit puni de mort par lapidation.
De même pour le viol : je dois reconnaitre que je ne connais la situation française que d’un point de vue externe, mais au Québec, je n’ai jamais entendu parler d’une histoire (récente) où l’avocat d’un violeur plaidait que la victime était consentante du fait de son habillement, de sa démarche, ou du fait qu’elle se promenait seule le soir.
Dans la rue, ça se dit et ça se remarque (« regarde celle-là, s’il lui arrive quelque chose elle l’aura bien cherché », etc.) et c’est un problème. Mais ça ne va pas jusqu’à innocenter des violeurs, et c’est déjà ça.
Bien sûr il reste beaucoup de chemin à faire, mais j’ai l’impression que la comparaison était du même genre que ceux qui comparent nos pays aux pires dictatures à la moindre arrestation injustifiée.
D’accord, ça frappe les esprits, mais ça manque singulièrement d’objectivité — je ne dis pas ça pour insulter, mais parce que je pense que cette objectivité est la clé pour faire ressortir les contradictions du modèle patriarcal.
Sinon, pour finir :
« Pour moi, quand une société dispose d’une loi qui rend officiellement « criminelle » une forme de violence mais que l’existence de cette loi n’empêche pas cette violence de se perpétuer »
C’est malheureusement le cas de la plupart des lois. Par ailleurs, j’ai déjà discuté dans un article précédent du cas particulier du viol parmi les crimes contre la personne. Sans réécrire mon argumentation complète, le problème du viol (en particulier dans un contexte conjugal) est la difficulté de prouver le non consentement. Ça reste un viol, je ne le conteste pas, mais dans notre système de justice où la culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable, il est difficile de condamner quelqu’un sur les seuls dires de la victime (encore une fois, en particulier pour ce qui est du viol entre conjoints).
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Merci de votre réponse et de vos remarques.
Bon, pour préserver la lisibilité de la discussion, je préfère ne pas faire dévier notre échange sur un débat plus général portant sur les procès pour viols.
Pour celles et ceux que cela intéresse, je renvoie aux trois articles de AC Husson portant sur la question du viol (1- Pour une critique féministe des procès pour viol : https://cafaitgenre.org/2012/11/09/pour-une-critique-feministe-des-proces-pour-viol/; 2- Parler du viol, un enjeu de pouvoir https://cafaitgenre.org/2012/11/19/parler-du-viol-2-un-enjeu-de-pouvoir/ ; 3- Parler du viol, la parole des victimes : https://cafaitgenre.org/2012/11/30/parler-du-viol-3-la-parole-des-victimes/ ). Je signale aussi que c’est dans les commentaires du troisième article que vous défendez votre position de façon plus exhaustive, ce qui suscite une discussion plus approfondie que celle que nous pourrions avoir ici.
Je reste donc focalisé sur le caractère « inapproprié », selon vous, de la comparaison.
–> Dans mon article, la comparaison incriminée portait sur les REACTIONS qui accompagnent généralement dans notre société d’une part les assassinats « inhabituels » de femmes (immolation ou lapidation, par exemple), et d’autre part les assassinats de femmes à mains nues par leur conjoint (violences conjugales qui entraînent la mort d’une femme tous les 2 jours et demi en moyenne en France : http://www.crepegeorgette.com/2009/09/28/violence-conjugale/; http://www.sosfemmes.com/violences/violences_chiffres.htm).
C. Delphy, dont je reprends et approuve le propos à la fin de l’article, souligne que les assassinats « habituels » semblent largement plus tolérés (ou du moins sont condamnés dans des termes beaucoup plus doux) que les assassinats selon des méthodes qu’elle nomme « exotiques ». En effet, les assassinats selon des méthodes « inhabituelles » auront tendance à être perçues comme les tares culturelles de barbares musulmans/arabes/africains/banlieusards/tout-ce-que-vous-voulez, alors que les assassinats de femmes qui sont monnaie courante dans notre société auront tendance à être plus souvent décrits comme des failles individuelles de maris « jaloux », « possessif », qui ont« perdus les pédales », bref comme des pétages de câbles d’individus et pas comme des traits culturels.
Voilà tout.
Personnellement, je trouve un tel constat d’une rigueur et d’une objectivité totale.
Le « crime passionnel », même s’il n’existe pas en tant que tel dans le code pénal français, est plaidé pour atténuer les peines des assassins et est une expression utilisée assez fréquemment dans les média. Au contraire, je vois très mal un-e avocat-e avoir ne serait-ce que l’idée de réclamer une diminution de peine parce que la lapidation ou l’immolation de la victime était liée au fait que l’accusé voulait « laver l’honneur de la famille », quelque chose du genre.
Il y a ainsi bien une indulgence problématique à mon avis, dans le traitement judiciaire et médiatique d’une certaine forme d’assassinat qui nous semble plus familière, «ordinaire », et banale, par opposition à d’autres formes de violences perçues comme plus « spectaculaires » (comme le meurtre par immolation de Sohane Benziane, qui fait l’objet du documentaire La Cité du mâle).
Le fait que les gens ne laisseraient peut-être pas un meurtre se dérouler « sous leurs yeux » ne change à mon avis pas grand-chose au fait que nous vivons dans une société qui invite à ressentir une indignation à géométrie variable concernant les violences faites aux femmes.
(Nb : un petit article sur l’exemple du traitement médiatique d’Oscar Pistorius, l’athlète qui a assassiné sa femme il y a quelques mois -comment s’appelait-elle déjà?- : http://hypathie.blogspot.fr/2013/02/panegyrique-du-meurtrier-effacement-de.html)
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L’indignation à géométrie variable, comme vous dites, n’est au final qu’une question de perception : entre un tueur en série qui a fait 5 victimes et un dirigeant d’entreprise qui a ignoré sciemment les normes de sécurité en vigueur en sachant que ça ferait tôt ou tard des dizaines de victimes, duquel les médias parlent-ils le plus? Pourquoi a-t-on autant parlé de l’affaire Meric récemment alors qu’il y a eu des dizaines d’autres assassinats au moins aussi « intéressants » en termes de faits divers ces dernières semaines?
Le problème est ici plus général (car problème il y a, j’en conviens tout à fait), et concerne la course au sensationnalisme des médias. Un « banal » meurtre d’une femme par son mari vaut beaucoup moins en termes de force de frappe qu’un crime bien spectaculaire, si possible avec des détails sordides (et une image bien dégoutante, ça vend mieux aussi).
Ceci étant dit, il y a en effet un problème avec la représentation médiatique (et, plus généralement, la perception sociale) de la violence faite aux femmes. À ce titre, cet article est une excellente synthèse : http://www.erudit.org/revue/pv/2010/v10/n1/1005712ar.html
Je cite un extrait (par. 21) :
« Le tableau du couple d’aujourd’hui que dressent ces récits [les articles des médias] est, tout comme la scène violente qu’ils racontent, contradictoire, conflictuel, ambivalent. Si au niveau patent ces textes sont à peu près unanimes pour prôner le couple égalitaire et décrier le modèle patricarcal supposé archaïque, on trouve dans ces récits de nombreux indices latents de sa très profonde actualité dans notre société, et du fait qu’il continue à faire référence. »
Il reste donc encore beaucoup de chemin à faire, mais voilà, il faut aussi être capable de mesurer le chemin parcouru.
Posons-nous les questions suivantes :
1) Dans une société X, les crimes (meurtres, viols, violences, etc.) envers les femmes sont-ils explicitement _prévus_ par la législation en vigueur?
2) Si non, dans cette société X, ces mêmes crimes sont-ils _punis_ par la législation en vigueur (par exemple, au Québec, il a fallu attendre jusqu’aux années 80 pour que le viol entre conjoints soit reconnu)?
3) Si oui, dans cette société X, ces mêmes crimes restent-ils globalement approuvés socialement (la comparaison est boiteuse, mais je la fais quand même : il est interdit d’utiliser un portable en conduisant, mais bien peu de gens désapprouveront explicitement le geste)
4) Si non, dans cette société X, ces crimes sont-ils traités, socialement et médiatiquement, de la même manière que les autres crimes de gravité similaire (dans ce cas-ci, les meurtres)?
5) Finalement, si oui, le phénomène social à l’origine de ces crimes est-il disparu de cette société?
6) Si oui, le problème peut être considéré comme réglé dans cette société.
C’est une gradation ad hoc et inventée sur le coin d’une table, j’en conviens. Mais il reste que je ne me hasarderais certainement pas à dire qu’une société qui en est au stade 4 et une autre encore au stade 1 sont comparables. Et en tout cas, certainement pas que cette comparaison est un constat « d’une rigueur et d’une objectivité totale »…
C’est simplement là que je voulais en venir. Ça ne diminue pas la qualité de l’article, la validité de l’argumentation ou l’importance du problème sous-jacent, mais ça fait beaucoup trop sensationnaliste à mon gout. Objectivement, je ne vois toujours pas comment la comparaison peut tenir.
Pour faire un parallèle avec l’informatique (désolé, je ne peux pas m’en empêcher…), ça me rappelle les gens qui, lors de l’adoption de la loi instaurant l’Hadopi, se sont mis à faire des comparaisons avec le KGB et autres joyeusetés historiques. Bien que je considère cette loi stupide et inacceptable, j’ai toujours (bruyamment) fait savoir à quel point cette comparaison inappropriée faisait plus de mal que de bien à l’argumentation…
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Nous avons l’air globalement sur la même longueur d’onde, je ne vais donc pas pinailler pour quelques désaccords résiduels 🙂
Merci beaucoup pour l’article sur le crime passionnel, dont vous avez fourni le lien !
J’avoue ne pas avoir eu encore le temps de le lire en entier, mais ça a l’air super intéressant ! 🙂
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Il y a aussi un peu de jalousie dans le slut shaming : les hommes ont beaucoup de mal à comrpendre qu’une nana « libérée » ne les choisissent pas et puisse dire non, alors qu’elle dit oui à des hommes moins bien, moins si, moins ça…
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Tout à fait d’accord !
Une femme devrait accepter de sortir/coucher avec toutes les personnes qui le lui demandent s’ils sont gentils… C’est incroyable, quand j’étais au collège et au lycée, les garçons se fâchaient à mort avec les « salopes » de filles qui refusaient leurs avances comme si leur consentement était un cadeau qui leur était dû. Mais évidemment, eux-mêmes avaient tout à fait le droit de refuser les avances d’autres filles sans qu’on y trouve rien à redire, mais l’inverse était faux.
Je vous conseille ce superbe article du blog Les Questions Composent pile sur ce sujet (http://lesquestionscomposent.fr/toutes-des-salopes-ou-le-mythe-du-mec-trop-gentil/). Moi ça m’a complètement retourné, ce qui fut à la fois rafraîchissant et amer (c’est un peu bizarre de retrouver analysés et démontés méthodiquement des attitudes dont on a pu croire qu’elles nous caractérisaient en propre alors qu’elles sont en grande partie le produit d’une éducation sexiste).
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Bonjour,
effectivement le slut shaming est partout… aussi répandu « par tradition » que les avis droitistes « yzon qu’à chercher du boulot ses p* de chômeurs au lieu de vivre aux frais de la société », il est courant de le trouver aussi bien en ville qu’aux tréfonds de nos campagnes. Sous couvert de l’humour on le fait passer pour des boutades, mais de tous temps, on a tous eu droit à ce genre de réflexions qui parfois mettent mal à l’aise tellement la haine est perceptible (repas entre amis, en famille, soirées…). Moi-même le soir du 14 juillet je me suis surprise à dire en rigolant à mon chéri « C’est combien? » en désignant une jeune femme avec une jupe imprimé léopard au ras des fesses, des talon compensés de mauvais goût et une démarche très appuyée de gauche à droite… je ne souhaitais pas la juger, j’ai juste trouvé la vue un peu dérangeante, comme si j’avais vu un homme se gratter les parties génitales avec toute la délicatesse des paysans du coin, cela m’aurait sûrement arraché un « bah ouais, pas facile quand on a des morpions ».
J’ai moi aussi été victime de ce slut shaming totalement dégoûtant, de nombreuses fois, et la plupart à mon travail (des « milieux d’hommes » bien évidemment, mais en milieu féminin – notez bien que je ne parle pas de « milieux de femmes » ce qui paraitrait étrangement ségrégationniste XD – l’ambiance est souvent semblable, l’hypocrisie est juste plus conséquente).
Est-ce que ce que l’on nous harasse à longueur de journée à la télé et à la radio y contribue? Bien sûr, en grande partie. Est-ce que le cinéma et les magazines qui prônent le male gazing renforcent de ce fait ce quasi courant idéologique? Absolument. Mais au-delà de toutes ces influences, il ne faut pas oublier que notre éducation est notre base de construction, et que si l’on fait partie de l’une de ces fantastiques familles bien françaises, bien chrétiennes (pas taper!) > bon ok, on va dire « au fonctionnement patriarcal », dès notre naissance – et même avant – on nous conditionne à cet effet. J’ai la chance d’avoir eu une éducation ouverte, d’avoir eu l’esprit de refuser d’avoir une télé, et d’écouter des radios qui furent un temps considérées comme pirates. Je vis en dehors de ce que la société crée comme espace vital et j’en suis très heureuse, mais les message persistants, permanents, universellement utilisés et reconnus par tous ont la peau dure. Que dire pour des gens qui ne se questionnent pas, trouvent que les immondices qu’on leur sert sont tout à fait normaux et surtout qui aiment haïr les autres pour flatter leur ego et se doper avec leur complexe de supériorité cultivé par la téléréalité??? Aujourd’hui on est traité de réactionnaire, de rebelle, d’anticonformiste (voire aussi de pute et de connasse, #truestory!) juste parce qu’on n’est pas d’accord avec ce qui se passe, même si on n’est pas spécialement féministe, ou de gauche, ou de droite… ces cases dans lesquelles on veut nous jeter coûte que coûte finiront-elles par avoir notre peau????
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Très bon article. Juste deux petites remarques :
-Il me semble que l’équivalent masculin de la « cougar » pourrait être le « vieux beau ». La principale différence entre les deux étant que la « cougar » est dépréciée, là où le « vieux beau » est envié. Ceci n’enlève bien entendu rien à l’analyse présentée, bien au contraire.
-D’autre part, toujours au sujet des « cougars », j’ai l’impression (mais je peux me tromper) que le stéréotype en question est très marqué, dans l’imaginaire général, comme issu des classes supérieures : la « cougar » est une prédatrice (c’est explicite dans le nom), généralement aisée, avec un métier valorisant mais prenant (avocate, médecin, femme d’affaire… ). Il y a je pense un autre niveau de stigmatisation : les « cougars » seraient des femmes qui auraient sacrifié leur jeunesse à leur carrière, et à qui il manquerait quelque chose arrivées à l’âge mûr.
Un stéréotype proche serait celui de la « MILF », considérée comme plus passive, femme au foyer et appartenant à la fameuse (et probablement mythique) classe moyenne. Comme souvent (et comme vous le précisez en fin d’article), la discrimination sexiste s’entremêle avec la discrimination de classe, brouillant les frontières et permettant à chacun de s’aveugler sur ses propres préjugés.
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Etrangement je ne perçois pas la femme cougar comme cela! Pour moi c’est une femme d’une cinquantaine d’années, qui passe du bon temps avec des hommes beaucoup plus jeunes qu’elle. Rien de plus, pour moi il n’y a pas d’histoire de classe sociale.
Concernant la MILF, ce stéréotype est bien sûr plus passif, car là on est clairement dans du male gaze^^ « la mère de famille que J’aimerais bien me faire »… presque dommage que l’appellation soit si vite passée dans le langage courant sans pour autant l’on entende son équivalent masculin! Concernant la classe « d’appartenance » je n’ai pas trop cette impression, à part dans les séries où de façon générale les femmes dont la vie est relatée sont effectivement des femmes de classe moyenne. Ca me fait penser à une scène de la récente série « Hemlock Grove », où le jeune loup garou habitant dans un mobil-home dans la forêt se rend chez son ami vampire très riche et rencontre sa mère… perturbante vision de la MILF, pourtant cette famille est clairement upper class… est-ce alors parce qu’elle même est une vampire et que son charme est irrésistible???
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Je voudrais réagir sur l’idée que les hommes peuvent faire ce qu’ils veulent.
Bien que je sois absolument en phase avec tout ce qui est dit dans l’article (j’vais pas en rajouter une couche, je pense que ça a été magnifiquement bien développé), regardons un peu plus largement le cas des hommes.
Si effectivement ils peuvent se permettre un certain nombre d’attitudes qui sont jugées dégradantes pour une femme (partenaires multiples, pour ne citer que ce cas de figure) pour ce qui est de l’habillement, je ne suis pas tout à fait d’accord.
Plus que le slut shamming, pourquoi ne nous pencherions nous pas sur le gay shamming ? Je ne sais pas du tout si cela existe, mais au final, le nombre de mecs hétéro dont l’attitude peut être critiquée parc’qu’elle à l’attrait d’un homo n’est pas plus facile.
Je ne dis en aucun cas que c’est comparable, ou pire. Mais de la même manière que le genre impose aux femmes de se « contenir »; les mecs aussi subissent cette éspèce de dévalorisation s’ils ne correspondent pas aux clichés du genre.
Bien sur, c’est un sujet différent, & je le redis, incomparable à celui ci, bien que je me demande du coup si un viol commit par d’un gay sur un hétéro aurait la presque bénédiction du genre… Ah non, les homo, ils transcendent les règles, eux aussi, ‘peuvent pas avoir raison !
Je link un article intéressant sur les genres vu par un mec, http://uneheuredepeine.tumblr.com/post/53693897240/moi-ca-va
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Article intéressant. 2 remarques.
Vous écrivez
Il est totalement illusoire de penser qu’un « juste milieu » existe pour une femme qui ne serait ni trop « salope », ni trop « coincée »
Si elles portent un string ou une mini-jupe, elles sont des « salopes » pousse-au-crime et il faut leur interdire de se découvrir ainsi, c’est honteux. Si elles portent un bandeau dans les cheveux ou un voile, elles sont « dominées » par les hommes, prisonnières de leur « culture » et il faut leur interdire de se couvrir ainsi, c’est honteux.
Donc, si on suit votre raisonnement :
1) Une femme peut se promener totalement nue ou bien recouverte de plusieurs toiles de tentes (et pourquoi pas les deux en même temps) dans la rue, à l’école, au travail
2) Vous ne trouverez rien à y redire
Est-ce cela ou est-ce que je me trompe ? N’y a-t-il pas quand même « un milieu » suggéré et/ou imposé par l’éducation, l’idée qu’on se fait de la décence, la société, le côté pratique, la loi, le goût de tel ou tel vêtement disponible dans sa garde-robe, etc. ?
Les hommes, eux, ne se font pas traités de salauds sexy peu habillés ou bien de coincés simplement en se promenant dans la rue. Ou alors dans de bien moindres mesures que les femmes et je mets de côté les exhibitionnistes punis par la loi. C’est que j’observe en tout cas. Les hommes ne sont pas soumis à de tels jugements. Pourquoi ? Peut-être parce qu’ils ne s’habillent ni en string, ni voilés (ou alors beaucoup moins souvent que les femmes). Et pourquoi ce « non-code » vestimentaire ? Peut-être parce que personne ne leur demande, ne leur impose.
Et on revient aux choix vestimentaires faits par les femmes. Quand commence les choix imposés par les magazines de mode, la religion, la société, la trop forte influence de la mère etc. ? Où finit le libre-arbitre, les goûts personnels ? Vaste sujet… Mais vraiment, ne pensez-vous pas qu’il y ait un milieu ?
Autre chose. Vous écrivez :
Les jurys appliquent des peines beaucoup plus lourdes aux meurtres commis avec des méthodes exotiques qu’aux meurtres commis à mains nues.
Je veux bien vous croire d’autant que cela me paraît plausible ( je n’ai aucune formation juridique, ni une une grande connaissance dans ce domaine pour discuter de cela). Mais, de grâce, citez vos sources. Parce que à ce moment-là, je peux vous dire que le fils de ma concierge pense radicalement le contraire et patati et patata. Évidemment je n’ai pas de concierge. Je voudrais juste que vous argumentiez précisément cette affirmation avec des chiffres, des références. Tout cela pour continuer d’élever le débat sur ce site qui a pour mérite de ne pas être le café du commerce.
Merci de me lire.
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Raisonner par les « extrèmes », c’est pas très malin ! un mathématicien vous dirait que ça n’est pas parce que vous faites des prévisions aux limites que vous comprenez le comportement de la fonction !
Bref, un homme comme une femme ne peuvent se déplacer dans la rue tout nue car ça sera vu comme de exhibitionnisme…et? Le problème existe pourtant bien dans les cas normaux : trop de maquillage/Pas assez de maquillage ! Trop garçon/Trop girly ! trop court/trop long !
Vous dites que ça n’existe pas chez les hommes parce que :
-Il n’y a pas de façon de s’habiller « too much »
-Il ne s’impose pas une façon de s’habiller.
Nonobstant le fait que le point 1 est largement discutable (je peux vous montrer plein d’homme habillé très différemment), le point 2 ne se vérifie que parce que la société ne donne pas d’injonctions aux hommes à être des objets sexuel !
Comment se fait-il que toutes les façon de s’habiller que vous décrivez (trop voilé/string) ne soit « que » sous la lorgnette sexuel? Un homme qui porte un short ne va pas être accusé de dévoiler ses mollet ! Un homme qui porte une chemise fine ne va pas être accusé de dévoiler ses tétons pour plaire ! Un homme qui porte un pantalon moulant ne va pas être accusé de dévoiler ses « formes » !
Et si une femme a réellement envie de mettre un string, de quel droit aller vous lui interdire et lui dire qu’elle le fait uniquement sur injonction de la société? Vous êtes à sa place? Là est la différence du « milieu » qui n’existe pas chez les femmes ! Tout le monde va leur dire quelle est la « bonne » façon de s’habiller !
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Encore un mec qui joue les féministes pour arriver à mieux pécho :o)
Trop d’approximations/affirmations fausses c’est dommage, du coup j’ai pas fini l’article.
-Un mec qui se tape plein de filles, selon son comportement il sera pas forcément très bien vu, que ce soit par ses pairs ou les filles. En général ils sont quand même plutôt vus comme des crevards/gros lourds/pervers/obsédés/dsk.
-Pour les plans à plusieurs, il n’y a pas lieu de comparer puisque MMF et FFM sont tout simplement différents. On notera que plusieurs mecs sur une fille, sur les sites pornos ça se trouve dans les section plus « hardcore » que la moyenne, peut-être pas pour rien.
-Les filles ont quand même plus de liberté que les hommes sur les tenues à mettre dans à peu près toutes les circonstances, (jeans, shorts et bermudas à peu près interdits sur le lieu de travail par exemple).
Enfin bref, tout ça me paraît bien marginal, mais surtout il convient de noter que les remarques désobligeantes proviennent (allez je sors mon pif-o-mètre) dans 90% des cas de 10% de la population.
Bon et puis vu ce que nous montre la télé, ça peut aller qu’en s’améliorant. Les standards de longueur de jupe rapetissant chaque année un peu plus tandis que les décolletés plongent au même rythme, tout le monde finira par y être habitué. (cf. UK)
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Trop d’approximations/affirmations fausses => on attend donc la liste
-Un mec qui se tape plein de filles, selon son comportement il sera pas forcément très bien vu, que ce soit par ses pairs ou les filles. => Il sera quand même mieux acceptés ! Sans passer par tout les exemples personnels que TOUT le monde connait, il suffit de voir les différents chiffres sur le sexisme en entreprise. L’utilisation du mot « en général » montre à quel point tu maîtrise ton sujet…
-Pour les plans à plusieurs, il n’y a pas lieu de comparer => Rapport avec l’article? Tu fais référence à quoi ?? Je n’ai pas vu de distinction nécessaire à la comprehension du phénomène de « slutshaming » entre le FFM et MMF…
-Les filles ont quand même plus de liberté que les hommes sur les tenues à mettre dans à peu près toutes les circonstances, => C’est vrais pour les lieux de travail. En même temps, sur ces même lieux, les femmes sont harcelé si c’est trop court, si c’est trop criard, trop voyant et dénigré si c’est trop couvrant, trop strict, trop rigide ! Plus de liberté pour les femmes d’être encore considéré comme des objets sexuels, même à leur boulot…est ce une liberté?
Enfin bref, tout ça me paraît bien marginal => C’est pour ça que lorsqu’on fait partie d’un CE d’une grande entreprise, comme moi, on entend presque tout les jours des histoire de harcèlement et de comportement indécents de la part des hommes….faut croire que les 10% de la population sont bien représenté partout….
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@Vince Je ne pense pas que l’évolution des moeurs fera disparaître le Slut – Shaming. Le seuil tant vestimentaire que comportementale qui fait qu’une femme sera considérée comme une salope se déplace en même temps que la société évolue, mais il est toujours présent. En Arabie Saoudite ce sera une mèche de cheveux, dans un camping naturiste une chaîne dorée autour de la taille au lieu de la nudité intégrale.
J’ai beaucoup de mal avec le discours relativiste qui met sur le même plan la violence qui relève de normes culturelles ou légales et la violence individuelle.
D’abord parce que l’un n’empêche pas l’autre, bien au contraire.
Ce n’est pas parce que la législation d’un pays prévoit la lapidation de la femme adultère que dans ce pays des hommes ne tueront pas leur femme sous le coup de la colère, parce que le repas était mal cuit ou qu’ils la soupçonnent d’avoir eu un regard pour un autre qu’eux. Je n’ai pas fait d’étude sur le sujet et je peux me tromper mais je doute que dans un pays où l’on applique la lapidation, le mari jaloux qui a tué sous le coup de la passion ait même envisagé, qu’il puisse avoir des comptes à rendre à la justice.
Opposer la sensibilité des occidentaux qui tueraient avec leurs mains à celles de certains pays islamiques où on ne tuerait qu’avec des pierres ne me semble pas très sérieux.
Ensuite si dans les pays occidentaux les crimes de sang sont susceptibles d’être plus réprimés que ceux commis sous le coup d’une supposée colère (étant entendu que je ne connais pas de statistiques sur le sujet), c’est parce qu’il y a le plus souvent préméditation et actes de cruauté.
Lorsque l’on se débarrasse de son conjoint ou de sa conjointe pour des raisons économiques, généralement l’avocat va essayer de plaider le crime passionnel en supposant que les jurés seront plus compréhensifs. Les crimes de sang sont souvent décidés, organisés, planifiés en famille. Ensuite ils peuvent s’accompagner ou non d’actes de cruauté, manifester ou non une volonté de faire souffrir en même temps que de tuer. Et là le mode opératoire entre en ligne de compte. L’achat d’une bouteille d’acide ou d’un bidon de pétrole suppose qu’au-delà d’un supposé honneur familial à restaurer on veuille froidement infliger un maximum de souffrances à sa victime. Dans la lapidation, il y a deux dimensions. Utiliser une pierre plutôt que ses poings, du poison ou une arme à feux, mais dans ce cas il suffit de porter un coup ou deux. Et la lapidation comme sanction pénale et là il s’agit de tuer lentement la personne, de façon à la faire souffrir le plus longtemps possible.
Et enfin et enfin seulement, il y a le choc culturel. Le crime dont les motivations nous semblent aussi mystérieuses que celles de l’assassin qui a tué parce que Dieu lui a parlé.
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AH vraiment? Cela va bientôt faire une heure que je lis les articles sur le slut-slaming, une heure que mes nerfs bouillent et j’ai peut-être une mentalité qui va vous choquer (mais j’en ai déjà choquer plus d’un/une, rien à perdre) mais je ne suis pas contre ce slut-shaming (bien que jamais je ne pourrais insulter une fille comme ça sauf si elle l’a fait) et cela me rassure que des filles tout comme les garçons aient encore ce réflexe de rejeter ce type de comportements (moi qui pensais que la société partait en cacahuètes, pas tant que ça mais avec des mentalités pareilles tel que « on fait se qu’on veut mettons nous à poils baisons comme des porcs si ça nous chantent mettons le bordel mais surtout…surtout guerre aux valeurs morales, moralités et autre truc ringard de ce genre). Alors maintenant si on critique une femme notamment (je l’ai remarqué) lorsqu’il s’agit de bienséance, on est sexiste, ou si on est une femme c’est qu’on a intégrer les mentalités machistes? Mais mince alors! (je reste très polie), en fait à ce que j’ai compris faire parler de « valeurs morales » et de « vulgarité », sont deux mots interdits au risque de passer pour un anti-femme, un sexiste, un « qui-n’est pas dans son temps ». A ce que je vois évolution ne rime pas avec « civilisation, progrès » mais plutôt avec « tout ce qu’on a jamais vu jusqu’alors, qui vient d’Amérique, qui mettra au maximum un bordel pas possible, utile à la construction de ce bordel et qui évidemment réussira au vu de toutes les stars dévergondées féministes de nos jours « les plus médiatisées étant américaines bien sûr » et du journalisme qui n’est pas le dernier à soutenir cette déconstruction morale.
Cela me montre à quel point la société est individualiste; je les observé et cela se renforce. A chaque critique ou (n’allant pas jusque là), avis donné sur une personne quelconque (surtout des femmes » j’entends par ci par là « Non mais elle/il fait ce qu’elle veut, elle est libre quoi »). La perception qu’ont les autres est jugé mal, maintenant il faut s’en foutre de tout, plus on dérange, plus ça nous donne l’occasion de dire « je fais ce que je veux et j’assume » et plus on tombe dans des situations terribles tout comme c’est filles qui viennent les seins à l’air et qui s’étonnent que tous les regards soient sur elles, je trouve ces comportements intolérables et particulièrement individualistes, on s’en fout de se que peut ressentir l’autre (dans certains cela peut-être édifiant). Même moi, étant née fille et hétéro je le dis direct, il m’est plusieurs arrivée de regarder fixement le derrière ou une poitrine trop remontée d’une femme qui passait par là, non pas excitant, mais imposant, un jour on m’a dit que j’étais dégueulasse comme si je le faisais exprès mais le truc c’est qu’on ne dit pas à ces femmes de mieux s’habiller, d’ailleurs elles cherchent à être regarder mais envoient promener tous ceux qui le font, pour moi c’est aussi une forme d’orgueil perverse, si moi je fais ça alors je n’imagine ce qui se passe dans la tête de certains hommes et je les plains franchement. C’est comme (bon c’est un peu extrême) enfermer un enfant ou un adulte pendant des jours dans une cave sans boire ni manger et que vous vous ramener avec un mcdo en main.
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