Je voudrais aborder ici la notion de point de vue dans les théories féministes, ou standpoint theory. J’ai déjà présenté sur ce blog plusieurs notions à la frontière entre féminisme militant et « universitaire », comme le male gaze, l’intersectionnalité ou le mansplaining. La question du point de vue permet, elle aussi, de faire le lien entre un corpus théorique féministe très fourni et complexe et des pratiques et débats militants au quotidien.
La notion de point de vue dans les théories et les pratiques féministes suscite de nombreux débats et recouvre divers enjeux, qui peuvent vous paraître plus ou moins évidents mais, croyez-moi, ne le sont pas pour beaucoup de monde: l’idée de privilégier le point de vue des personnes qui sont les premières concernées par une situation d’oppression; la dénonciation de l’idée selon laquelle, par exemple, le point de vue d’un homme sur le sexisme serait strictement équivalent à celui d’une femme; ou encore, le lien entre point de vue et empowerment, c’est-à-dire le fait de conférer du pouvoir à quelqu’un. C’est aussi une notion qui permet d’en comprendre beaucoup d’autres, par exemple celle de « privilège ».
Je vais d’abord expliquer les fondements théoriques de la notion de point de vue telle qu’elle est abordée par les féministes, pour aborder ensuite les enjeux militants qu’elle recouvre.
La théorie : origines, justification, contenu
Elsa Dorlin parle dans Sexe, genre et sexualités du développement d’un « savoir féministe » caractérisé notamment par sa pluridisciplinarité et par sa relation critique aux savoirs constitués. Le savoir féministe permet une approche inédite des rapports de pouvoir et se fonde sur un travail ayant également « permis l’émergence d’une pensée critique sur l’effacement, le recouvrement ou l’aménagement des conflictualités et des résistances par et dans des savoirs hégémoniques » (p. 10). Le questionnement ouvert par le savoir féministe est donc avant tout politique.
L’émergence de ce savoir permet celle d’épistémologies spécifiques (l »épistémologie concerne la production des connaissances). Le savoir féministe critique les savoirs constitués et institutionnels car ces derniers ignorent ou invisibilisent systématiquement l’expérience des femmes. Les féministes de la deuxième vague constatent en effet très vite l’absence d’outils conceptuels permettant de penser et de problématiser cette expérience. Comme l’écrit Elsa Dorlin,
Les sujets de connaissance, en grande partie masculins, ont une représentation biaisée, partielle, du réel. Ils ignorent, disqualifient ou délaissent totalement des pans entiers du réel, qui touchent au travail de reproduction [assigné aux femmes, par opposition au travail de production assigné aux hommes1]. » (17)
Les premiers travaux d’épistémologie féministe ont donc mis en place le concept de « privilège épistémique ». Ils montrent que celui-ci est accordé à « des représentations, à une vision du monde, déterminées par les seules conditions matérielles d’existence des hommes » (17) et conduit à la production de dichotomies hiérarchiques : culture / nature, raison / corps, abstrait / concret, etc, rationnel / intuitif, etc. Ces dichotomies vont de pair avec l’idéal d’un sujet de connaissance en quelque sorte désincarné puisque neutre, rationnel et objectif – les prérequis de la connaissance scientifique traditionnelle. Cela conduit à des connaissances non seulement partielles et biaisées mais également, dans certains cas, fausses.
La critique des féministes porte justement sur ce mythe d’une posture de connaissance désincarnée, qui, sous couvert d’universel et de neutralité, dissimule en fait un sujet de connaissance masculin. A l’opposé, les philosophes féministes affirment et revendiquent le caractère situé de leur discours et des connaissances qu’elles produisent. Elles adoptent ouvertement le point de vue féministe et critiquent l’illusion qui consiste à croire que la connaissance pourrait être non-située et abstraite.
C’est donc là qu’intervient le concept de « positionnement » ou « point de vue », en anglais standpoint. A partir de cette critique fondamentale, les féministes entendent opérer un retournement consistant, toujours selon Elsa Dorlin, à « valoriser des ressources cognitives invisibilisées et dépréciées, déterminées par, et élaborées depuis, les conditions matérielles d’existence des femmes ; à transformer leur expérience en savoir » (19 ; c’est moi qui souligne). Elles entendent donc opérer le passage d’un privilège épistémique masculin, déguisé en neutre universel et objectif, à un nouveau type de privilège épistémique, ouvertement fondé sur la situation du sujet de connaissance.
Les théories du point de vue ne se contentent donc pas de dire que les femmes et les hommes vivent des expériences différentes, menant à des connaissances différentes. Elles montrent que la situation sociale des femmes (entendues comme catégorie sociale construite et non de façon essentialisée), ainsi que d’autres membres de groupes marginalisés, donne lieu à des expériences spécifiques et les pousse à poser des questions auxquelles ne penseraient pas les personnes non-marginalisées. D’où l’idée d’une autre forme de « privilège épistémique » : les connaissances produites par les études de genre, par exemple, auraient été inenvisageables sans la prise en compte des expériences spécifiques des femmes et l’effort de conceptualisation de ces expériences.
Pour résumer tout cela en une formule qui reste loin de paraître évidente à tout le monde : il n’existe pas de connaissance neutre. De façon corollaire, les savoirs portant sur l’humain n’existent pas et ne peuvent exister hors de toute idéologie et de tout rapport de pouvoir. Cela a notamment un impact important notamment sur la façon dont on considère les sciences biomédicales. Les philosophes des sciences féministes ont montré depuis longtemps l’impact de l’idéologie et du système du genre sur la production des savoirs biologiques et médicaux à propos du corps et du sexe biologique. L’idéal de neutralité n’a pas disparu, mais il doit rendre possible une réflexion critique sur l’idéologie qui l’accompagne et la dimension socialement située de tout savoir. La prise en compte du genre dans la production des connaissances dans différentes disciplines a en outre permis de susciter de nouvelles questions, théories et méthodes, qui à leur tour ont pu servir les mouvements égalitaristes.
Il faut signaler que le genre n’est qu’un mode parmi d’autres de situation pouvant déterminer la manière dont nous nous représentons le monde. En termes de catégories sociales construites, il faut évidemment mentionner la classe, la « race », la sexualité ou encore l’âge ; mais on peut aussi penser au fait que nous sommes des êtres incarnés, avec nos propres intérêts, émotions et valeurs, avec des connaissances, savoir-faire, croyances et convictions variés. Toutes ces autres dimensions peuvent d’ailleurs avoir à faire, d’une façon ou d’une autre, avec le genre. Cela ne revient pas à adopter une posture relativiste et à dire qu’aucune forme de connaissance n’est accessible ; cela permet simplement (et c’est déjà énorme) de poser des questions qui, dans des cadres épistémologiques antérieurs, fermés à la dimension située de la connaissance, n’auraient même pas été formulables, faute de concepts pour les penser.
Comme on le voit, les théories du point de vue sont complexes et ont de nombreuses conséquences théoriques que je n’explorerai évidemment pas ici. Dans un but de clarté, je n’aborderai pas non plus les critiques, internes au féminisme ou non, qui ont été formulées contre ces théories. Je voudrais plutôt évoquer les questions qu’elles posent dans le cadre du militantisme féministe (qui est celui que je connais le mieux, mais il faudrait aussi envisager cette question dans le cadre d’autres formes de domination et d’autres formes de lutte).
La pratique: enjeux militants
Les théories du point de vue concernent avant tout les sciences et la production des connaissances mais elles ont un lien direct avec les pratiques militantes, féministes notamment. Elles permettent en effet d’aborder des questions comme : qui parle ? Qui écoute-t-on ? Tous les discours sur l’oppression ont-ils le même poids / A qui accorde-t-on le plus de poids ?
Le concept de « privilège épistémique » peut paraître inutilement complexe mais il est au centre du militantisme féministe tel que je le comprends. Il permet de lutter contre la silenciation et l’invisibilisation des personnes oppressées, en l’occurrence des femmes, en montrant que, parce qu’elles subissent une oppression et en ont donc une expérience de première main, elles sont aussi les mieux placées pour en parler de manière fiable. Leur expérience ne doit être ni minimisée, ni niée, mais écoutée et valorisée, car elles ont quelque chose à apprendre aux personnes qui ne vivent pas cette oppression.
Dans le cadre du militantisme, je le dis donc clairement : non, tous les discours n’ont pas le même poids, ni la même valeur. J’ai très (trop) souvent lu ou entendu que les premières concernées sont aussi les moins bien placées pour parler ou juger du sexisme. Qu’il vaut mieux pouvoir prendre du recul pour en parler avec objectivité – comprendre : qu’il vaut mieux être un homme. On retrouve là le mythe de la position omnisciente et neutre du sujet de savoir que j’évoquais plus haut (sur ce sujet, je vous conseille aussi la lecture d’un billet de Denis Colombi, « Avoir un point de vue, ça n’arrive (pas) qu’aux autres »). Si, par exemple, je juge qu’une publicité est sexiste envers les femmes, ne venez pas me dire, si vous êtes un homme, « tu as tort, je ne le vois pas comme ça ». Ce n’est pas un argument, et votre ressenti n’a pas grand-chose à faire dans l’histoire : vous ne pouvez avoir qu’une connaissance indirecte du sexisme dont je parle, vous n’êtes donc pas aussi bien placé que moi pour juger du caractère sexiste de telle ou telle représentation. Vous pouvez ne pas être d’accord, mais demandez-vous d’abord : qu’est-ce que je sais du sexisme ? Cette publicité parle-t-elle de moi ? Suis-je le mieux placé pour dire cela ? Après seulement, on pourra en discuter. Et si vous continuez à ne pas voir le problème, ce n’est pas une raison pour essayer de me faire taire (parce que je suis hystérique, parce que j’exagère, parce que je vois le mal partout). Contentez-vous d’écouter et de respecter mon point de vue, vous n’en mourrez pas.
C’est la même chose quand on parle de féminisme – je me suis déjà expliquée sur le sujet. Tout le monde peut évidemment avoir son point de vue sur le féminisme. En revanche, expliquer à une militante féministe qu’elle s’y prend mal, qu’elle a tout faux, et que vous, vous savez comment vous y prendre, c’est non seulement stupide (c’est connu, la féministe mord), mais c’est insultant, complètement déplacé et cela contribue, in fine, à l’oppression. Le féminisme est la lutte contre l’oppression spécifique que subissent les femmes et pour l’égalité. Si vous êtes un homme, a fortiori non féministe, une militante féministe est deux fois mieux placée que vous pour savoir ce qu’est le sexisme et comment lutter contre lui. Essayez d’y réfléchir avant d’engager un débat sur les modes d’action qu’elle a choisis.
Dans ce sens, la notion de point de vue va de pair avec celle de privilège, qui est, elle, mieux connue dans les milieux militants. L’idée est, là aussi, de considérer où on se situe et donc d’où l’on parle. Par exemple, je m’exprime régulièrement sur le sexisme d’un point de vue de femme, et revendique à ce titre une forme de savoir né de mon expérience. Cela ne m’empêche pas de jouir de tout un tas de privilèges dus au fait que je suis cisgenre, blanche, hétéro, que mes parents sont cadres supérieurs, etc. Je ne me bats pas la coulpe pour autant, mais je trouve important de le reconnaître, surtout quand je m’exprime sur d’autres situations d’oppression que celles que je connais. Si une personne racisée, par exemple, trouve que je dis n’importe quoi sur le racisme, je voudrais qu’elle me le dise, parce qu’elle est beaucoup mieux placée que moi pour savoir et que le privilège dont je jouis peut m’amener à ne pas voir ou à déformer certaines réalités. Évidemment, ça pique un peu d’être rappelé·e ainsi à l’ordre, mais là non plus, on n’en meurt pas, et c’est important.
Attention, je ne dis pas que les hommes n’ont absolument rien à dire sur le sexisme, les hétéros sur l’homophobie, etc. Je dis seulement qu’il faut savoir d’où on parle et le garder toujours à l’esprit dans une discussion. Nous avons tou·te·s une expérience différente du monde, et notre expérience est notamment déterminée par notre situation sociale ; de plus, nos identités sont multiples, et nous ne nous exprimons jamais depuis un point de vue monolothique. Confronter ces expériences peut justement être intéressant et fructueux – je ne parle pas forcément de confrontation au sens polémique du terme, mais au sens de rapprochement et de comparaison dans le cadre d’une discussion. Comme l’écrit Diemut Bubeck dans un article que je trouve très éclairant sur le sujet, c’est justement de l’asymétrie que peut émerger une forme nouvelle de connaissanc, accessible aux deux parties :
Oppressors and oppressed, in a situation of dialogue, become potential knowers who both know some things and are ignorant of others, and are both insiders and outsiders in relation to their own and other social groups, respectively.
Les oppresseurs/euses et opprimé·e·s, dans une situation de dialogue, deviennent de potentiel·le·s sujets de connaissance qui, tou·te·s deux, savent des choses et en ignorent d’autres, et qui tou·te·s deux, connaissent de l’intérieur leur propre groupe social et ignorent celui de l’autre.
Pour assurer des conditions acceptables et respectueuses de dialogue et de débat, il est important d’avoir réfléchi à ces questions. Des théories apparemment complexes, venues du monde universitaire, fournissent des outils intéressants pour cela, qui doivent selon moi être toujours considérés dans une perspective militante. En faisant le lien entre les deux, on peut les faire progresser.
1Je ne peux pas rentrer dans les détails des origines marxistes des concepts présentés ici ; on se référera pour cela à la bibliographie en fin d’article.
Références
La plupart des références auxquelles j’ai accès sont en anglais; si vous en connaissez d’autres, n’hésitez pas à les ajouter en commentaire.
BUBECK Diemut, 2000, « Feminism in political philosophy: Women’s Difference », dans Miranda Fricker et Jennifer Hornsby (eds), Cambridge Companion to Feminism in Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, p. 185-204.
DORLIN Elsa, 2008, Sexe, genre et sexualités. Introduction à la théorie féministe, Paris, PUF.
HARDINS Sandra, 1991, Whose Science? Whose knowledge?, Ithaca, N.Y., Cornell University Press.
HARDING Sandra, 20004, The Feminist Standpoint Theory Reader, New York et Londres, Routledge.
En ligne, deux introductions fournies au concept:
« Feminist standpoint theory », Internet Encyclopedia of Philosophy
« Feminist epistemology and philosophy of science », Stanford Encyclopedia of Philosophy
Blogs:
« Qu’est-ce que le privilège masculin? » (Crêpe Georgette)
« Avoir un point de vue, ça n’arrive (pas) qu’aux autres » (Une heure de peine)
Pingback: Une question de point de vue | EuroMed é...
je n’ai pas tout compris, mais j’ai un peu peur qu’on mélange la découverte scientifique qui doit être basé sur un fait reproductible par d’autres et donc d’un autre genre et ce qu’en font les journalistes, les commentateurs et autres discoureurs. Il me semble que la découverte scientifique telle que définie reste toujours valable. Le problème, c’est que comme partout il y a des tricheurs. Odile Fillod dans AlloDoxia, blog du monde, en parle très bien. Mais ces faits scientifiques là restent bien trans-genre, du moins je l’espère. Que les buts des recherches qui ont été faites soient d’un point de vue, c’est sûr, mais les découvertes restent valable d’un genre à l’autre, c’est tout au moins le but de la science. Si j’ai bien lu Odile Fillod, elle se bat justement contre toutes les tentatives malhonnêtes de donner une dimension biologique au genre. Et à ce jour c’est un échec total.
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Effectivement, vous n’avez pas tout compris, et je ne vois pas le lien entre votre commentaire et mon article…
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Pingback: Discuter avec des hommes féministes | Une sociologue chez le coiffeur
Le « danger » étant que lorsqu’une femme tient des propos très sexistes (et ça arrive…), elle est du coup « la mieux placée » pour en parler… ? Il m’est arrivé de reprendre une femme parce qu’elle tient des propos sexistes (et pourtant défavorables à son propre genre…), genre sur la place des femmes dans la société, son rapport à certains métiers, ou encore à l’éducation des enfants…
Que répondre à l’argument « tu n’es pas une femme, tu ne peux pas comprendre… ? »
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C’est évidemment très compliqué de répondre sans contexte… Il est toujours possible de débattre sur des questions objectives, et l’existence de la domination masculine est un fait démontrable de multiples manières. A une femme qui dit qu’elle n’a jamais fait l’expérience du sexisme et que donc le sexisme n’existe pas, c’est une réponse possible: il ne s’agit alors pas de contester son expérience propre.
Quant à « tu n’es pas une femme, tu ne peux pas comprendre… », ça ne va pas loin comme argumentation et ce n’est certainement pas ce que je veux dire dans cet article. Justement, on est là (les femmes féministes) pour expliquer, faire comprendre, témoigner. Je suis absolument contre l’idée qu’il existe des expériences non partageables; un homme ne peut pas ressentir ce que je ressens quand je me fais harceler ou agresser dans la rue, par exemple, mais ça ne m’empêche pas de partager cette expérience, dans une certaine mesure bien sûr. Ce n’est pas tout ou rien, empathie complète et compréhension / étrangeté absolue et incompréhension, il faut arriver à négocier un juste milieu.
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Ce que je voulais dire, c’est plus quand une femme tient des propos sexistes que quand elle dit ne jamais en avoir vécu. Une femme masculiniste, en quelque sorte 😡
Sinon, je suis tout à fait d’accord sur tout le reste.
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A reblogué ceci sur Blog d'une jeune catholique progressiste.
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Dans cet article, Delphy explique ce que selon elle les hommes ont à apporter à la pensée féministe : http://sociologie.revues.org/1392 « Pour ma part, je ne pense pas du tout que les hommes n’aient pas de place dans les études de genre. Je l’ai dit depuis le débat qu’on a eu à Questions Féministes dès 1978 à propos de la publication d’un article de Gisèle Fournier et Emmanuel Reynaud : on peut publier l’article d’un homme, les hommes ont une place, ils ont des choses à nous apprendre à condition qu’ils restent à leur place. Il faut qu’ils nous apprennent quelque chose de leur place au lieu d’usurper la nôtre d’où ils ne peuvent pas parler. Or c’est ce que nombre d’entre eux font sans arrêt, ils veulent parler à notre place. C’est‑à‑dire avoir une parole magistrale et générale. Or une femme parle de sa place de femme, et on lui dira toujours : tu dis ça parce que tu es une femme. Alors qu’on ne dit jamais à un homme : tu dis ça parce que tu es un homme. Les hommes ont quelque chose à nous apprendre, sur leur place justement. J’ai dirigé la thèse de Léo Thiers‑Vidal qui a magnifiquement rempli le contrat, et il nous a appris des choses qu’on ne pouvait pas savoir, si on n’était pas un homme, sur le système de genre, et que seuls les hommes peuvent savoir. C’est tout l’intérêt de sa notion de « privilège épistémique des hommes » (Thiers‑Vidal, 2010). Que savent les hommes ? En quoi sont‑ils conscients de leur position de dominants ? Comment l’utilisent‑ils ? (…) En tant que femmes, nous sommes aussi subalternes, on a des points de partage qui nous permettent une certaine compréhension empathique des autres. Et tout le monde ne les a pas. Il arrive que certains hommes puissent avoir une compréhension empathique de la situation des femmes, certains blancs peuvent l’avoir de la situation des racisés. Mais ce qu’ils ne doivent jamais faire, c’est parler à leur place. Et puis, le risque de la présence des hommes, c’est qu’ils nous imposent un agenda. »
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Je viens justement de finir « Rupture anarchiste et trahison pro-féministe », qui est un reccueil de textes de Léo Thiers-Vidal, et je le recommande chaudement.
Il y est notamment énormément question de la position des hommes chercheurs sur le genre, et le fait que peu d’entre eux ont conscience que leur positionnement n’est pas neutre et objectif… Il y fait notamment une critique de « La domination masculine » de Bourdieu.
Un chouette ouvrage que j’ai dévoré ! Cet homme avait l’air extraordinaire.
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Une des caractéristiques les plus surprenantes des théories inspirées des études de genre c’est la manière dont elles sont construites de manières à se légitimer elle-même, et exclure tout autre point de vue. Bien sûr, le féminisme est comme c’est bien dit dans cet article est une idéologie militante, il est donc normal qu’elle cherche à légitimer ses propos. Le problème c’est que l’explosion des travaux universitaires en roue libre contribue à construire une nouvelle pseudo-science (puisque le féminisme n’est pas une discipline mais un sujet pluridisciplinaire) qui s’auto-légitime en invalidant progressivement tout ce qui peut faire obstacle à son développement.
On en a ici un exemple limpide avec cette théorie qui représente extrêmement bien l’intervention du féminisme dans les disciplines traditionnelles. Parce que la neutralité et l’objectivité n’existent pas, le point de vue féminin deviendrait de facto le seul valide, parce que correspondant à la position de victime. Pour faire une analogie, cela revient à dire qu’au tribunal, c’est la victime qui est la mieux placée pour choisir la sentence…
Pour poursuivre l’analogie, au tribunal le point de vue de la victime est crucial puisque celle-ci est la mieux placée pour connaître l’affaire. Cependant ça ne lui confère pas de légitimité supplémentaire pour prononcer des verdicts ou parler de justice.
L’intérêt de défendre pourtant une telle théorie est pourtant pour le moins alléchante puisqu’elle permet ni plus ni moins de déconstruire (un néologisme novlangue synonyme de détruire) toute discipline scientifique, tout particulièrement si celle-ci fait potentiellement obstacle aux théories féministes, comme c’est le cas lorsqu’on parle d’épistémologie féministe (qui est un contresens total, le terme d’épistémologie se suffisant à lui-même).
Le féminisme qui prétend que seules les féministes ont raison, c’est la bible qui prétend que seule la bible a raison.
Au-delà de cette assertion absconse, cette théorie est sous-jacente d’un mode de pensée qui est actuellement porté non seulement par le féminisme, mais aussi par un grand nombre de groupes de pression communautaires, qui incarne l’avènement d’une nouvelle vision de la société hiérarchisée selon des rôles victimaires théorisés. Dans cette acception, les individus cessent d’être des acteurs agissant et même des personnalités individuelles, avec leur complexité, leurs forces et faiblesse, leur pertinence, leur connaissance et leur intelligence pour être réduits à une sommes de rôles hiérarchiques prédéfinis qui leur confère ou non une légitimité pour réclamer des droits supplémentaires, un ajustement de la société pour équilibrer les préjudices supposés inhérents à ces rôles ou même selon cet article, la prétention à la connaissance voire la valeur scientifique, une personne n’étant plus habilitée à parler d’un sujet selon son expérience ou sa maîtrise mais selon son appartenance ou non à ces rôles. (ce que les adeptes du genre nomment lorsqu’ils énumèrent « cis, homme, hétéro… ») Une femme en sait nécessairement plus sur le sexisme ou le féminisme qu’homme, tout comme on suppose en suivant le même raisonnement qu’un noir en sait nécessairement davantage qu’un blanc sur… la pauvreté ou le sida, puisque statistiquement sur la planète les noirs sont plus touchés par la pauvreté et plus souvent victimes du sida, de la même manière qu’une femme est statistiquement plus touchée que les hommes par le sexisme ou certaines injustices… Malgré le biais évident de ce raisonnement, le parallèle est fort à-propos comme l’identifie la volonté de son rapprochement avec d’autres mouvements de défenses de minorités correspondant à autant de rôles victimaires, qui fonctionnent selon la même logique, mais qui malgré le bien-fondé de leur intentions sont, par leur multiplication progressive contre-productive d’un point de vue général. Là ou le vivre-ensemble et la paix sociale pourrait être établie par un dialogue commun éventuellement régionalisé pour limiter au mieux la dilution des intérêts individuels dans l’intérêt commun, les revendications de rôle se crispent sur l’intérêt d’une minorité identifiée par un rôle social théorique, menant à des luttes incessantes engageant de plus en plus de partis différents et réduisant peu à peu l’intérêt commun à des intérêts individuels, par recoupement de rôles : l’intérêt de X, citoyen(ne) d’une nation devient l’intérêt de x, femme citoyenne, puis femme citoyenne noire gay trans protestante luthérienne végétarienne etc. Le plus paradoxal, c’est que les idées issues du gender tendent elle-mêmes à détruire progressivement le fondement même de la lutte féministe : avec la théorie queer, la dynamique de genre « traditionnelle » homme/femme n’existe plus au profit d’une infinité de nuances, laissant à deviner que la lutte féministe pourra être déclinée en une infinité de nuance correspondant à la nouvelle palette…
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Tu sais, tu aurais pu résumer ça en une phrase hein. « Pourquoi vous voulez pas accepter que mon opinion non développée, non réfléchie, et extérieur à une question soit aussi valable que la votre ? »
C’était plus rapide, et moins pompeux en vocabulaire.
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Tout comme vous auriez pu dire « j’ai eu la flemme de lire et je n’ai pas d’arguments pour répondre donc je répond par une réflexion sarcastique». Ça aurait été plus honnête.
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Moi, j’avoue honnêtement que je n’ai pas eu le courage de lire en entier le message de pouet@pouet.fr. Mon appréciation, plutôt positive, concerne la première partie de son commentaire. Même si je n’aurais pas forcément employé un vocabulaire aussi virulent, il me semble qu’il montre bien le problème: il y a bien une référence circulaire dans le raisonnement, avec l’enchaînement « les femmes sont dominées » -> « seules les femmes peuvent en témoigner » -> « et elles vous le disent: les femmes sont dominées ». Les points de vue féminins divergents sont naturellement ramenés à des errements et à un manque de lucidité.
L’une des conséquences de ce raisonnement, outre les très nombreux problèmes théoriques qu’il pose (parce que oui, c’est essentialisant comme point de vue, quoi qu’on en dise), c’est qu’il légitime en quelque sorte un discours « masculiniste » concurrent, qui ne manque pas de se faire jour et de polluer le débat en une pénible rivalité mimétique. Je sais bien, que de votre « point de vue », le discours « masculiniste », c’est déjà tout le discours existant depuis l’aube des temps. Mais encore une fois, votre discours ne se justifie que par lui-même: c’est le propre du discours militant. Tout ce développement complexe ne sert qu’à camoufler cette référence circulaire. Ca vous permet de maintenir une forme de cohérence interne du discours; mais ça compromet ses chances de le rendre scientifiquement convaincant. Notez bien que ce n’est pas tant la théorie du point de vue que ce que vous en faites qui pose problème.
Ca n’empêche pas les études de genre de produire, à l’occasion, des données utiles, ceci dit. Mais ça rend leur lecture nettement plus compliquée: il faut en permanence trier le bon grain de la recherche de l’ivraie du militantisme.Parfois c’est impossible.
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« l’ivraie du militantisme »: vous n’avez décidément rien compris à ce que j’écris et je commence à en avoir assez d’expliquer toujours la même chose. Le militantisme ne « salit » pas la recherche. La production du savoir concernant l’humain et son environnement, que ce soit en sciences exactes ou en sciences sociales, EST politique. C’est ce que cet article évoque et ce que l’épistémologie des sciences a montré depuis plusieurs décennies. Traiter les études de genre comme une science « impure » parce qu’elle aurait à voir avec le politique est malhonnête et un contre-sens majeur.
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Mais si, vous expliquez très bien et je crois avoir très bien compris. Le problème n’est pas que le militantisme « salisse » la recherche. Mais il est difficile d’assumer un point de vue militant dans la recherche tout en souhaitant que les conclusions atteintes entraînent la conviction de ceux qui ne partagent pas la cause. De l’extérieur, on voit juste un raisonnement qui démontre ses prémisses à partir d’elles-mêmes. Je faisais l’hypothèse qu’on pouvait néanmoins tirer quelque chose des études militantes.
J’ai bien compris que pour vous, toutes les études sont militantes. Cette interprétation de l’épistémologie contemporaine, qu’on retrouve dans l’idée d’une « épistémologie féministe » mentionnée dans le résumé d’article mis en lien par un de vos commentateurs, est cependant loin de faire consensus. C’est là-dessus que porte notre désaccord, et non, je crois, sur une incompréhension de vos propos de ma part.
Cordialement.
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Genre!, comme je le disais je ne conteste pas le fait que la recherche en science est orientée, mais c’est précisément la raison pour laquelle la méthodologie des sciences a été formalisée justement dans le but de ne pas accepter n’importe quoi, à l’aide de critères comme la reproductibilité des expériences. Le biais du chercheur a toujours été considéré comme un obstacle à dépasser pour privilégier le scepticisme et la connaissance construite par raisonnement.
Les courants du « genre » et recherches féministes fonctionnent sur une démarche diamétralement opposée en posant ses théories comme prémisses de la « science féministe » elle-même, au point de lui permettre de redéfinir la notion même de sciences et de se hisser comme discipline scientifique plutôt que comme objet de recherche scientifique. Une théorie qui se valide elle-même tout en invalidant tout ce qui permet de la contredire est purement kafkaïenne et enfreint de principe d’incertitude de Gödel : « Tout système ne peut se déterminer lui-même », autrement dit un modèle logique ne peut pas faire de prédictions en n’utilisant que ses propres lois.
Le militantisme ne salit pas la recherche ? Bien sûr que si. Le militantisme par définition a pour but de convaincre et non pas de rechercher la vérité, c’est l’antinomie même de la démarche scientifique.
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