[Précision préalable: j’ai conscience que ce slogan peut paraître transphobe, dans la mesure où il invisibilise complètement la question trans. Ça m’intéresserait d’en discuter en commentaire. Il faut juste se rappeler qu’il s’inscrit dans un contexte où le militantisme trans, à ma connaissance, existait à peine en France, et où les féministes ne réfléchissaient absolument pas à ces questions. Mon interprétation se fait donc complètement en-dehors de la question trans, mais il serait intéressant d’y réfléchir avec les outils dont on dispose aujourd’hui.]
Contexte
C’est à nouveau un slogan caractéristique de la deuxième vague féministe. On le voit notamment en 1970 sur des banderoles lors de la première manifestation remarquée du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), avec un autre slogan célèbre, « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu: sa femme ».
Explication
Ce slogan, à la fois provocateur et évident, vise à mettre en évidence l’androcentrisme (le fait de se centrer, consciemment ou non, sur les hommes) de la société patriarcale et donc l’invisibilisation des femmes, qui se manifeste notamment à travers un fait de langue: l’utilisation du mot homme pour désigner l’humanité. J’avais déjà écrit un article sur ce sujet: on est habitué à utiliser le même mot pour désigner l’ensemble de l’humanité et sa moitié masculine. La langue anglaise fait la même chose (Man / man), mais ce n’est pas le cas dans toutes les langues. On peut aussi penser à l’expression droits de l’homme, qui en anglais se dit human rights, c’est-à-dire droits humains. Il faut, pour le comprendre, retracer l’origine du terme: homme vient du latin homo, qui désigne la qualité d’être humain, alors que vir désigne l’être humain de sexe masculin (d’où viril, virilité). La linguiste Marina Yaguello écrit:
En fait, on a tellement l’habitude de voir le masculin « absorber » grammaticalement le féminin qu’on pourrait croire que le sens générique [humain] est second, alors qu’il est historiquement premier. L’homme a en quelque sorte « confisqué » symboliquement la qualité d’être humain à son profit. (…) Et c’est donc personne, grammaticalement féminin mais sémantiquement indifférencié, qui doit être employé comme terme générique. D’ailleurs, aucune femme ne dit jamais en parlant d’elle-même: « Je suis un homme. » En revanche, un homme peut dire: « Je suis une personne ». (Le sexe des mots, article « Homme »)
Le slogan du MLF met le doigt sur ce qui pose problème, cette absorption grammaticale du féminin et cette assimilation du masculin à l’humain, qui passe pour normale et n’est donc pas questionnée.
Conséquences
Le féminisme insiste sur l’effacement systématique des femmes, qu’il s’agisse de la langue, de leur travail ou des violences qu’elles subissent. C’est une affirmation qui paraît évidente mais qui reste absolument majeure et qu’il faut, malheureusement, toujours rappeler: les femmes appartiennent à l’humanité au même titre que les hommes.
Cela conduit, par exemple, à l’idée de représentativité nécessaire des institutions politiques et à la revendication de parité. Si un homme sur deux est une femme, il n’est pas normal ni acceptable que ce soit, en grande majorité, des hommes qui nous dirigent.
On peut aussi rapprocher ce slogan d’un discours célèbre d’Hillary Clinton, « Women’s rights are human rights » (les droits des femmes sont des droits humains – son discours, prononcé en 1995 à Beijing lors d’une Conférence mondiale sur les femmes, visait aussi les atteintes à la liberté d’expression en Chine):
Tragically, women are most often the ones whose human rights are violated. Even now, in the late 20th century, the rape of women continues to be used as an instrument of armed conflict. Women and children make up a large majority of the world’s refugees. And when women are excluded from the political process, they become even more vulnerable to abuse. […] It is time for us to say here in Beijing, and for the world to hear, that it is no longer acceptable to discuss women’s rights as separate from human rights.
Tragiquement, les femmes sont le plus souvent celles dont les droits humains sont bafoués. Même aujourd’hui, à la fin du XXème siècle, le viol des femmes continue à être utilisé comme instrument lors des conflits armés. Les femmes et les enfants constituent la grande majorité des réfugiés dans le monde. Et quand les femmes sont exclues des décisions politiques, elles deviennent encore plus vulnérables aux abus. […] Il est temps que nous disions, ici à Beijing, et que le monde entende qu’il n’est plus acceptable de discuter des droits des femmes comme étant séparés des droits humains.
Cela n’implique pas, comme on le lit souvent, qu’il faudrait parler d’humanisme au lieu de féminisme – une autre manière d’effacer les femmes, de les englober dans un « humain » qui, trop souvent, signifie « masculin ». Cela signifie que les droits des femmes doivent être considérés comme des droits humains. Le fait que ces droits soient aussi largement bafoués doit nous pousser à répéter, encore et encore, que les femmes font partie de l’humanité au même titre que les hommes et qu’un homme sur deux est une femme.
Pour aller plus loin
« La parité… en marche », document du ministère des droits des femmes, « Chiffres clés – édition 2014 – Vers l’égalité réelle entre les hommes et les femmes ».
« Féminisation de la langue: quelques réflexions théoriques et pratiques »
« Masculin / Féminin (3): Ce que veut dire « homme » »
Hillary Clinton, « Women’s rights are humain rights »
Anne-Charlotte Husson
Beau papier. J’ai partagé votre article sur la page de mon magazine masculin : L’homme simple (http://hommesimple.fr)
Je reste abonné à votre site, à travers ma veille internet Feedly et reviendrai vous lire.
Amicalement. Gregory.
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A reblogué ceci sur Corps et tête autonomeset a ajouté:
Pour alimenter certaines discussions en cours (et pour la culture).
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Indépendamment de son origine, ce slogan me paraît aussi intéressant du fait qu’il « force » l’identification à une femme. Il me semble que les hommes répugnent à s’identifier aux femmes et pour moi ça a forcément des conséquences sur la condition féminine, parce que la manière la plus immédiate de respecter quelqu’un c’est de s’identifier à lui ou elle. C’est une barrière que ce slogan met en évidence parce que rien qu’en entendant « un homme est une femme » on est interpellés et on sens que c’est absurde de l’être.
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