« Le genre est une construction sociale »: c’est là un élément de base de la définition du genre, sans lequel on ne peut comprendre le concept. Je l’ai mentionné plusieurs fois, et expliqué, sans y consacrer de billet entier; l’idée de ce billet m’est venue suite à un commentaire lu sur la page Facebook de ce blog. Je me suis rendu compte que la notion de construction sociale était loin d’être comprise par tout le monde – et pour cause: ce n’est pas une notion évidente, surtout quand on l’applique à des sujets aussi sensibles que la différence des sexes et les rapports entre les sexes. Je vais donc évoquer quelques-unes des erreurs commises au sujet de cette notion de construction sociale, avant de revenir sur sa définition.
Pour le contexte, d’abord, je reviens sur le commentaire outré reçu sur Facebook. Il s’agit de quelqu’un qui ne connaît pas mon blog et est tombé sur ma page via un partage. Il critique ce post, où je parle de l’injonction à avoir des enfants comme norme sociale, que je compare dans ce sens au genre: « L’obligation à la parentalité, à la maternité en particulier, est une norme sociale, c’est-à-dire une construction – comme le genre… ». Le commentaire (en plusieurs parties) souligne:
– « LA MATERNITE N’EST PAS UNE NORME SOCIAL MAIS UNE NORME BIOLOGIQUE ! le feu brule, l’eau mouille, la terre est ronde … »
– « en fait c’est pas le passage sur la maternité le plus choquant c’est ; « UNE CONSTRUCTION COMME LE GENRE » le genre une construction ??!! vous etes ce que vous etes c’est la nature, mais on dirait ici que tout le monde en veut beaucoup à l’ordre naturelle des choses… »
De toute évidence, ce commentateur n’a pas compris ce qu’était le genre (il est étonnant d’ailleurs qu’il utilise quand même le terme, alors qu’il a sans doute en tête le sexe – j’y reviendrai dans un prochain billet). L’idée de « norme biologique » est pour le moins contradictoire: il n’y a pas de norme, de règle, de principe, en-dehors du social, en-dehors d’une définition établie par les individus. La nature n’a pas de principes; ce sont les êtres humains qui les formulent à partir de l’observation. La notion de construction sociale est perçue comme une menace contre la « nature » – et à juste titre: parler de construction sociale, c’est souligner que ce qui paraît généralement comme une évidence, comme naturel, relève en fait du culturel. Cette notion permet de redéfinir les frontières entre « naturel » et « social » en réduisant toujours plus la part du naturel; c’est cela qui paraît menaçant à certaines personnes.
Quelques erreurs souvent commises à ce sujet:
Parler d’un phénomène comme étant socialement construit, cela ne veut pas dire…
– que ce phénomène n’existe pas. En lisant les critiques adressées au concept de genre (ce à quoi je passe ma vie, parce que c’est mon sujet de thèse), on se rend compte que l’idée que le genre (résumé aux différences entre les sexes) serait construit implique, pour certaines personnes, que ces différences n’existeraient pas – ce qui est dénoncé comme inadmissible. Les études sur le genre prennent comme point de départ les différences dans les rôles attachés aux sexes, ainsi que les représentations, savoirs et croyances attachés à ces différences – il serait donc idiot de dire qu’elles n’existent pas. Mais il s’agit, à partir de ce constat difficilement dépassable dans nos sociétés, de faire la part de ce qui relèverait du naturel et du social. C’est le principe de la démarche constructionniste, qui montre que ces différences relèvent non pas d’un destin biologique (les femmes sont en moyenne moins fortes physiquement et doivent donc se cantonner à des rôles « féminins », les hommes sont naturellement moins attentifs aux autres et ne savent donc pas s’occuper des enfants) mais d’une construction sociale. On a attaché à des différences physiologiques et psychologiques observées (que cette observation soit juste ou non, c’est encore un autre problème) des différences d’ordre social et, en même temps, une hiérarchisation du féminin et du masculin.
– qu’on peut facilement s’en défaire et le manipuler au gré des choix et des caprices des individus. C’est là un autre élément fondamental dans les critiques adressées à la « théorie du genre »: si le genre est une construction sociale, alors l’individu est libre d’en changer comme de chemise, selon son humeur et ses envies. Au passage, c’est là une vision complètement erronée mais aussi violemment injuste de ce que sont les identités trans. Les études de genre mettent au contraire en évidence le poids des normes de genre sur le développement et l’identité psychosociale des individus. Toute dérogation à l’ordre du genre (le féminin est comme ceci, le masculin est comme cela) est susceptible de rappels à l’ordre et de punitions plus ou moins violents: par exemple, si vous êtes une femme qui ose s’affirmer et exprimer son opinion sur internet, ou faire des jeux vidéo; si vous êtes un homme perçu comme éfféminé, une femme trop masculine. L’ordre du genre est aussi fondé sur l’hétérosexualité; y déroger, c’est s’exposer aux violences homophobes (verbales, psychologiques, physiques). Plus de détails dans cet article.
– que cela n’a pas de conséquences ou de manifestations physiques. Pour l’exprimer autrement: dire que le genre relève d’une construction sociale ne veut pas dire qu’il appartient au ciel des idées, que c’est une espèce d’abstraction complètement séparée de la matérialité des corps. Le genre façonne les vies des individus, il façonne les corps, et il est faux de dire que les études de genre ne prennent pas en compte cette corporéité. On peut citer par exemple l’antéchrist la philosophe féministe et ennemie jurée des anti-genre Judith Butler, dont le livre Ces corps qui comptent est (ô surprise!) généralement oublié.
Cela veut dire…
– que nous vivons forcément dans un environnement social, et non dans un hypothétique état de nature. Ce cadre social est aussi le cadre de nos représentations et de nos idées. Il faut donc questionner ce qui nous paraît naturel, évident, allant de soi, questionner la part du social dans ces évidences. Je dis « la part du social », car le problème est toujours: où place-t-on le curseur? L’évolution récente des sciences (« exactes » et sociales) a conduit à limiter de plus en plus le domaine du naturel, à bousculer des évidences, mais cela est toujours en débat, par exemple concernant les différences sexuées dans le cerveau. Pascale Molinier l’explique de manière limpide dans la préface au texte d’Anne Fausto-Sterling, Les cinq sexes. Pourquoi mâle et femelle ne sont pas suffisants, dans un passage consacré à l’idée de construction du corps en fonction du genre:
Que le corps soit construit dans un processus biopsychoculturel ne veut pas dire qu’il n’est pas réel ou matériel, mais qu’il n’existe pas dans un état de nature qui pourrait être saisi en-dehors du social, nous vivons dans un monde genré où nous sommes en permanence lus et interprétés dans les catégories du genre. (Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2013, p. 20)
– que l’identité psychologique, et a fortiori sociale, des individus s’inscrit donc dans ce cadre, et qu’il est impossible de s’en abstraire même si vous vivez dans le Larzac.
– que le genre, au lieu d’être un donné invariable, est inscrit dans une époque, un lieu, une culture. Etre un homme en 2014 en France, ce n’est pas la même chose qu’être un homme français au XVIIIème siècle ou qu’un homme mandchourien au XXIème. Cela peut paraître évident, mais croyez-moi, ce n’est pas le cas pour tout le monde.
D’où, pour conclure, le premier élément de la définition du genre donnée par le manuel Introduction aux études sur le genre (de Boeck 2012):
La première démarche des études sur le genre a été de faire éclater les visions essentialistes de la différence des sexes, qui consistent à attribuer des caractéristiques immuables aux femmes et aux hommes en fonction, le plus souvent, de leurs caractéristiques biologiques. La perspective anti-essentialiste est au coeur de la démarche de Simone de Beauvoir, quand elle écrit dans Le deuxième sexe, en 1949: « On ne naît pas femme: on le devient ». Il n’y a pas d’essence de la « féminité », ni d’ailleurs de la « masculinité », mais un apprentissage tout au long de la vie des comportements socialement attendus d’une femme et d’un homme. Autrement dit, les différence systématiques entre femmes et hommes ne sont pas le produit d’un déterminisme biologique, mais bien d’une construction sociale.
Désolée, mais le genre n’est pas une construction sociale. C’est une confusion avec les rôles genrés (ou gender roles en anglais). Le gros problème avec les questions de genre est quasiment toujours d’ordre lexical : les mots se ressemblent beaucoup ou sont mal traduit de l’anglais, et il devient très confus de tout démêler.
Il y a tout d’abord le plus « simple » : le sexe, mâle, femelle, intersexe. Je pense qu’on peut s’accorder à dire que tout ça est d’ordre purement biologique. Le sexe se forme durant la grossesse, selon les chromosomes de embryon. Le sexe en lui même ne détermine rien au niveau du cerveau ou du comportement.
Ensuite il y a le genre. Homme, femme et (bien que tout cela reste à étudier en détails, il n’y a pas beaucoup d’études sur le sujet) les personnes non-binary, non binaires en français ? (Pas sure du terme adapté). Le genre est d’ordre neurologique. Le cerveau des hommes et des femmes est différent dans certaines régions très spécialisées, notamment là où le cerveau a une « carte » des organes du corps. Cette différenciation survient une nouvelle fois pendant la grossesse, mais dans une autre temps. Elle est du à l’exposition du foetus à des hormones soit masculin (testostérone) soit feminines (oestrogene) . Dans l’ECRASANTE majorité des cas, si le foetus a un sexe masculin, il sera exposé à de la testostérone, et vis versa si c’est un embryon femelle. Les autres cas, rares, donneront les personnes transsexuelles. La dysphorie ressentie (de simple inconfort à envie de suicide) est due au décalage entre le cerveau et le corps. Plusieurs études ont montré que les transsexuels hommes et femmes ont le cerveau plus proche des membres cis de leur genre que des membres cis de leur sexe biologique. Ces parties du cerveau sont les mêmes que celles qui sont impliqués dans la sensation de sentir leur anciens membres aux amputés, par exemple. (Pas les études sous la main, mais je peux les chercher si vous voulez) le GENRE est donc tout sauf social. Et il n’implique pas non plus d’éléments comportementaux. Une femme « garçon manqué » est toujours une femme, de même qu’un homme transsexuel ayant des comportement associés aux filles est toujours un homme.
Maintenant, j’en viens à ce qui je pense est le vrai sujet de votre article. Le masculin/féminin. Et à partir de là, je suis d’accord, c’est social.
J’aimeJ’aime
Vous prenez un ton très docte pour dire de grosses bêtises. Visiblement vous n’avez jamais lu de travaux d’études de genre, ou alors vous ne les avez pas compris, je ne sais pas; mais ce que vous assertez sur le sexe est faux, et le genre n’est certainement pas « neurologique » – ouvrez un manuel, lisez le reste du blog, je ne sais pas… Vous pouvez commencer par Anne Fausto-Sterling par exemple, que je cite dans l’article…
J’aimeJ’aime
Les études que vous évoquez (sur la différenciation prénatale du cerveau par les hormones) sont en réalité très contestables et contestées et ne sont pas cohérentes entre elles. A ce sujet, je vous conseille la lecture du livre _Brainstorm : The Flaws in the Science of Sex Differences_ de Rebecca Jordan-Young et le blog d’Odile Fillod, qui reprend ces questions : http://allodoxia.blog.lemonde.fr/
J’aimeJ’aime
Moi je veux bien que vous cherchiez les études que vous mentionnez, ou que vous indiquez quelques références, oui.
J’aimeJ’aime
Pingback: Quels sont les rapports entre sexe et genre? | Genre !
Pingback: Définitions | Pearltrees
Ces développements sont essentiels. Les faits naturels n’ont pas de sens propre, ils ne sont que le papier sur lequel s’écrit l’ordre social, en fonction des nécessités, traditions et connaissances d’une société.
J’aimeJ’aime
Pingback: Gender & feminism | Pearltrees
Pingback: Infos Décembre 2014 | L'institut EgaliGone
Pingback: Sparkyetesi | Pearltrees
Pingback: Masculinité hégémonique | Genre !
Pingback: Ordre du genre | Pearltrees
Pingback: Sexe, genre, sexualités | Pearltrees
Pingback: Petit lexique du genre (1): sexe, genre, sexualité | Genre !
Pingback: Genre - Autour du sexe | Pearltrees
Pingback: Petit lexique du genre (3): essentialisme, constructivisme, socialisation de genre | Genre !
Pingback: THEORIE DU GENRE | Pearltrees
Pingback: « Entre franche camaraderie et amours socratiques : l’espace trouble et ténu des amitiés masculines dans les collèges classiques (1870-1960) » de Christine Hudon et Louise Bienvenue – Les Cinquante Nuances de Dave
Pingback: Les femmes n’écrivent pas et ne parlent pas comme les hommes – Les Cinquante Nuances de Dave
Pingback: « Entre franche camaraderie et amours socratiques : l’espace trouble et ténu des amitiés masculines dans les collèges classiques (1870-1960) » de Christine Hudon et Louise Bienvenue – Les Cinquante Nuances de Dave
Pingback: Le genre | Pearltrees
La question de genre est une question religieuse, et comme telle, elle est une construction sociale. Je duo d’accord avec Anne dur la divialite de cette question. Mais cette socialiste est très philosophique du fait qu’elle cherche a savoir: au commencement c’était quoi? Alors commence directement le social dont le religieux est à sa base.
J’aimeJ’aime
Pingback: Qu’est ce que le genre ? – trolldejardin
Pingback: Genre | Pearltrees
Pingback: LGBTQA+ | Pearltrees
Pingback: Préjugés | Pearltrees
pour moi le genre est une construction. Elle est vérifié a travers les inégalités des sexes dans nos sociétés et surtout a travers le processus d’intégration lente et turbulente du sexe féminin dans le développement.
J’aimeJ’aime