Dans ma bibliothèque – Désirée et Alain Frappier, Le choix (2015)

le choix

Cette bande dessinée vient de paraître aux éditions La Ville brûle (qui ont notamment publié J’ai avorté et je vais bien, merci), à l’occasion des 40 ans de la loi Veil. Vous en trouverez ici quelques planches.

Désirée Frappier est journaliste et écrivaine, Alain Frappier peintre, graphiste et illustrateur. La BD aborde la question de l’avortement et de cet événement historique que fut la loi Veil à travers l’histoire personnelle de Désirée. Je cite la 4ème de couverture, signée Annie Ernaux (dont le roman L’événement est évoqué dans l’ouvrage):

Désirée et Alain Frappier nous font revivre les années 1970 à 2014 sous l’angle – excusez du peu, il s’agit de la moitié de la population – de la conquête du droit des femmes à choisir de procréer ou non. Ils le font à leur manière sensible, mêlant le personnel et le social, l’intime et le politique pour nous rappeler comment c’était « avant », avant la loi Veil, pour montrer combien cette liberté, gagnée dans le combat le plus important du XXe siècle, reste menacée par des nostalgiques d’une société patriarcale. Le Choix, travail de mémoire et de vigilance, est aussi un manifeste pour une vie libre et heureuse.

Je ne suis pas d’accord avec Annie Ernaux: la société patriarcale n’est malheureusement pas un souvenir. Elle évolue, certes, mais elle perdure, et les vagues rose et bleu en France ou le projet de loi anti-avortement en Espagne ne sont pas que les sursauts d’un patriarcat en train de mourir, ils sont la preuve qu’il s’accroche bien et tente de se renouveler. C’est d’ailleurs ce qu’illustre, dans la BD, l’anecdote du jeune homme blond, fraîchement sorti de son école de commerce, qui débite à Désirée Frappier en 2014 toute la litanie des arguments anti-IVG.

La structure de la BD invite à réfléchir sur ces rémanences. Toute la première partie, autobiographique, revient sur l’adolescence de Désirée, ballottée, avec sa valise, entre différentes familles d’accueil et sa famille « biologique »; Désirée dont le prénom résonne de manière ironique et douloureuse avec un slogan du MLAC (mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), pendant un temps affiché au-dessus de son lit de pensionnaire.

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La deuxième partie, elle, se passe en 2014 et revient sur le projet de la BD, en réaction notamment au projet de loi anti-avortement en Espagne. Pour ce projet, les auteur·es ont rencontré de nombreux/ses acteurs et actrices historiques de la lutte pour l’accès à l’IVG, qui reviennent sur l’histoire de cette conquête et sur les arguments toujours utilisés par celles et ceux qui se proclament « pro-vie ». Un regret peut-être: l’accent mis sur cette dimension historique ne laisse pas de place pour de jeunes militantes féministes, par exemple. D’ailleurs je note avec surprise que la question du féminisme n’apparaît que de manière détournée.

La BD comporte également une section « Bonus » dans laquelle figurent des documents historiques, notamment un article (bouleversant) sur le procès de Bobigny.

L’ensemble est magnifique, à la fois intime et profondément politique dans son évocation d’une expérience partagée. Les passages durs, et il y en a beaucoup, sont abordés de manière très sensible, et l’histoire revient toujours à la question du désir, non pas le désir sexuel (il n’en est pas vraiment question) mais celui de devenir parent. La violence de l’expérience personnelle rejoint toujours celle de la condition faite aux femmes, comme le résume l’image de la valise, d’un bout à l’autre de l’ouvrage, de la valise transportée par l’adolescente d’une famille d’accueil à l’autre à la valise du MLAC contenant le matériel nécessaire pour la méthode Karman.

Pour aller plus loin
Annie Ernaux, « J’ai toujours été persuadée que rien n’était jamais gagné pour les femmes » (interview pour L’Humanité en 2014)
Bibia Pavard, Si je veux, quand je veux. Contraception et avortement dans la société française (1956-1979), Presses Universitaires de Rennes, 2012. (compte-rendu sur le site Lectures)

3 réflexions sur “Dans ma bibliothèque – Désirée et Alain Frappier, Le choix (2015)

  1. Merci pour ce partage, en espérant que les bibliothèques municipales que je fréquente l’achèteront bientôt !
    Les documentaristes de « Sur les Docks » ont fait deux très belles émissions pour les 40 ans de la loi Veil :
    L’une basée surtout sur des archives : http://www.franceculture.fr/emission-sur-les-docks-collection-particuliere-la-loi-veil-2015-01-15
    L’autre sur des témoignages recueillis en 2014 dans un centre d’orthogénie : http://www.franceculture.fr/emission-sur-les-docks-collection-enquetes-chambre-28-interruption-volontaire-de-grossesse-2015-01-1

    Ce qui m’a le plus frappé, c’est le constat d’une soignante que la majorité des femmes qui viennent avorter disent qu’elles sont contre l’IVG, mais que là, dans leur situation, elles n’ont pas le choix…
    Et, en contrepoint des témoignages qui affluent sur #JeNaiPasConsenti, cela fait du bien d’entendre des membres du corps médical réellement respectueux des choix des femmes, de leur corps, de leur mode de vie.

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