« Hommes » tout court ou « hommes cis »? Quelques explications par rapport au post précédent

Au début de mon billet intitulé « Pourquoi les hommes devraient-ils être féministes? », j’avais d’abord écrit: « Une note avant de commencer: j’entends dans cet article « hommes » comme « hommes cisgenres » ». Suite à plusieurs remarques, que je n’ai pas toutes bien accueillies, j’ai changé cela; je voudrais revenir là-dessus pour expliquer mon choix de départ et pourquoi j’ai changé d’avis.

Dans ma tête (mais apparemment pas dans les faits) il était clair que le billet ne concernait que les hommes cis, puisqu’il concernait leur place dans le mouvement féministe et en particulier la question du privilège masculin. J’ai donc mis cette note au début, non pas parce que « hommes » signifie automatiquement pour moi « hommes cis », mais au contraire parce que, si je ne précise pas, je considère que les terme englobe à la fois « cis » et « trans ». J’ai jugé utile de le préciser pour éviter toute confusion à ce sujet, et comme je l’avais annoncé d’emblée, je n’ai pas jugé bon de répéter « cis » à chaque emploi du mot « homme ». En revanche, je n’ai rien précisé quant à l’emploi du mot « femme » dans ce billet, car si je ne précise pas, c’est que j’entends comme d’habitude « femmes cis et trans ». Puisque les hommes trans sont des hommes, et les femmes trans sont des femmes.

Un premier commentaire a mis en avant le fait que cela n’était pas compris ainsi par tout le monde. Une petite explication (qui n’est certes pas une excuse) quant à mon état d’esprit en lisant ce commentaire: j’étais déjà sur la défensive, car je m’attendais à être attaquée par rapport à ce billet, et j’avais déjà dû supprimer des commentaires insultants. Je suis tombée des nues et je n’ai pas compris les arguments avancés, puisque pour moi, ma note initiale signifiait justement que je n’entendais pas par défaut « hommes cis » quand je parlais d' »hommes ».

Deux autres personnes ont ensuite évoqué le sujet, en commentaire ou ailleurs, donc j’ai commencé à y réfléchir de manière un peu moins défensive. Et je dois dire que c’est le commentaire de Lou qui a frappé le plus juste, en faisant une comparaison avec la féminisation. Du coup j’ai modifié mon billet, je présente mes excuses aux personnes qui ont pu se sentir mal à l’aise ou insultées par mon choix initial, et je voudrais faire quelques réflexions militantes de plus.

    – Sur le fait que ce soit le commentaire de Lou qui m’ait fait changer d’avis, d’abord. Le parallèle avec la féminisation, c’est-à-dire une pratique non seulement que je défends mais qui me concerne directement, est ce qui m’a fait changer d’avis. J’aurais aimé pouvoir dire le contraire, mais il a fallu que je puisse faire un parallèle avec ma propre situation pour comprendre pourquoi cela pouvait poser problème. A mon avis, il faut toujours essayer, quand on essaie de persuader quelqu’un, de faire des comparaisons qui puissent lui parler plus directement; ces comparaisons peuvent parfois être imparfaites, maladroites, mais elles sont souvent efficaces.

    – Je crois que le malentendu naît en partie du fait que j’ai l’habitude de la lecture des articles universitaires, dans lesquels il est non seulement admis mais même conseillé de préciser en note ou d’emblée le sens qu’on va donner à tel ou tel mot central. C’est ce que j’ai fait, et j’ai pensé que ce serait acceptable pour tout le monde, mais visiblement j’avais tort.

    – Dernière chose, et ça me coûte de le dire. Je ne peux que m’interroger sur le fait que la première personne qui a soulevé la question est un homme trans, et me l’a clairement dit. Cela ne signifie pas que cette personne avait forcément raison, mais au moins que j’aurais dû prendre ce paramètre en compte plus que je ne l’ai fait. Les autres personnes qui ont soulevé le problème ne sont, à ma connaissance du moins, pas trans. Le fait que les remarques s’additionnent a compté pour beaucoup, mais je me demande si le fait que des personnes cis aient aussi été dérangées par ma formulation a compté pour moi, parce qu’elles étaient cis. Encore une fois, ça me coûte de le dire, mais c’est une question qu’il faut que je me pose.

Il est plus que cliché de dire qu’on n’apprend que de ses erreurs, et ce n’est pas vraiment mon propos. En revanche, je suis convaincue que c’est dans ce qui coince, ce qui cloche, ce qui pose problème que se trouve souvent tout l’enjeu d’une réflexion. C’est pour ça qu’il faut s’y confronter au lieu de tourner le dos et de partir en courant. Ca vaut évidemment, et peut-être d’autant plus, dans la réflexion militante, qui a tendance à reposer sur des certitudes et des acquis, au risque d’oublier la complexité et le doute. Je continuerai à faire des erreurs, et je compte sur vous pour continuer à me les signaler. Je ne serai pas toujours d’accord, et parfois j’aurai peut-être raison de ne pas être d’accord, mais au moins je serai sûre que je ne suis pas en train de monologuer.

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16 réflexions sur “« Hommes » tout court ou « hommes cis »? Quelques explications par rapport au post précédent

  1. Pingback: Pourquoi les hommes (cisgenres) devraient-ils être féministes? | Genre !

  2. Merci de partager ces idées. C’est pas évident de remettre en questions nos façons de faire et de dire (on aimerait toutes être des féministes et alliées sans faille, je crois) et je trouve ça vraiment constructif et pertinent d’avoir une fenêtre sur le processus de changement de point de vue de quelqu’un-e d’autre.
    Bonne suite de réflexions!

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  3. C’est intéressant ! Merci pour ces réflexions. J’avais tiqué aussi en lisant votre « chapeau », mais comme j’avais une remarque plus substantielle à faire, j’ai laissé tomber ce point.

    Sinon :
    « – Je crois que le malentendu naît en partie du fait que j’ai l’habitude de la lecture des articles universitaires, dans lesquels il est non seulement admis mais même conseillé de préciser en note ou d’emblée le sens qu’on va donner à tel ou tel mot central. C’est ce que j’ai fait, et j’ai pensé que ce serait acceptable pour tout le monde, mais visiblement j’avais tort. »

    Il me semble que quand, dans un article universitaire (et j’en écris aussi…), on donne au début le sens d’un mot important, on choisit entre plusieurs acceptions possibles, ou entre plusieurs définitions concurrentes, parmi celles qui existent et qui sont plausibles. Or, à moins de considérer que les hommes trans ne sont pas des hommes (ce que vous ne faites pas), la définition « homme cisgenre » n’est pas une définition acceptable pour le mot « homme ». Dire « par « homme », j’entends « homme cisgenre » », c’est presque comme dire « par « jumeaux », j’entends « vrais jumeaux » » ou « par « animal » j’entends « mammifère » », bref vous réduisez un tout à l’une de ses parties. Pour prendre un exemple plus politique : c’est comme si vous disiez que « par « femme », vous entendez « femme blanche » ». J’imagine que là, vous verriez le problème.

    Le parallèle de Lou est intéressant, mais à mon avis, la différence importante entre la question de la féminisation et la question soulevée par cet article, c’est que quand on écrit « les militants » en voulant dire « les militant-e-s », on n’écrit pas quelque chose de faux. On a simplement le choix entre deux conventions orthographiques, la seconde ayant plein d’avantages (elle est à la fois plus précise, plus inclusive, plus féministe…), mais on ne peut pas dire que la première est fausse. Si vous commencez un article en disant : « dans la suite, le masculin est universel », on peut vous attaquer en vous reprochant votre manque d’inclusivité, etc., mais pas en vous reprochant de fausser la réalité. Alors qu’en assimilant « homme cisgenre » et « homme », là, vous déformez la réalité.

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  4. Bravo pour cette modification de position.
    En tant que femme cis la remarque initiale m’avait paru bienvenue et suffisante, mais en lisant les commentaires de Rash je me suis dit : effectivement, pourquoi ne pas écrire « homme cis » si c’est de ça que l’on parle ? Et j’ai également fait le parallèle avec la question de la féminisation de la langue : c’est un effort de l’écrire mais loin d’être insurmontable !

    Je pense que ça soulève une question finalement liée au premier article (et qui m’interrogeait précisément en ce moment) : avec toute la bonne foi du monde (et toutes les intentions militantes possibles) il est parfois difficile voire impossible de comprendre ce que vit quelqu’un qui a une expérience différente de nous. Et plus particulièrement : il est très difficile voire impossible de se rendre compte de ce qu’est une discrimination quand on ne la subit pas (de réaliser/comprendre où elle se trouve et ce qu’elle fait éprouver).
    En revanche, il est possible de comprendre ce qu’est une discrimination, ce qu’on ressent quand on est discriminé-e. En tant que blanche, je n’ai aucune idée de ce que l’on vit quand on est racisé-e, mais à partir de mon expérience de femme ou de lesbienne je sais ce qu’est être discriminée et surtout ce que c’est que d’être face à quelqu’un qui nie l’existence de cette discrimination ou qui ne la perçoit pas là où moi je la vis.
    Cela est à mon avis un préalable fondamental pour être réellement à l’écoute quand quelqu’un nous parle d’une expérience de discrimination dont on n’avait pas conscience.
    Et même si la personne ne fait pas de parallèle avec une situation de discrimination que l’on peut avoir vécu, on peut essayer, nous, de le faire. Et surtout : ne pas rester dans son point de vue en disant « oui mais moi je pense pas que… ». Une personne qui vit une discrimination a, à mon avis, toujours plus de légitimité (voire est la seule à avoir cette légitimité) pour dire s’il y a ou non discrimination dans une situation/parole donnée.
    Et quand on peut faire le parallèle avec des situations vécues de mansplaining par exemple, on peut imaginer ce que peut être un whitesplaining ou un cisplaining et comprendre et reconnaître qu’on y a peut être participé.

    C’est pour ça d’ailleurs que, de mon point de vue, les luttes doivent d’abord être menées par les concerné-e-s : le féminisme doit être mené par des femmes, l’anti-racisme par des personnes racisées, la lutte contre la transphobie par des personnes trans. Même si ça n’empêche évidemment pas qu’il y ait des alliés et des soutiens.

    Et c’est pour ça, il me semble, qu’il est parfois extrêmement difficile de parler de féminisme ou d’autre lutte contre les discriminations avec des hommes cis hétéros blancs de classe moyenne. Ne subissant aucune discrimination, ils n’ont aucune idée de ce qu’est de vivre une discrimination, beaucoup disent qu’ « on voit le mal partout » et certains ne voient même pas la nécessité d’un mouvement les combattant. ça m’est malheureusement arrivé très souvent…

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  5. J’apprécie le commentaire de Zoé, je réagis à son dernier paragraphe. Oui, comme homme-cis-hétéro, on peut toujours oublier les discriminations et les invisibiliser. On peut les entrevoir parfois, par honnêteté de conscience, mais on gomme ensuite si facilement. Et donc on devrait avoir un engagement « pro-féminisme » qui se limiterait à porter les valises (comme ces français, belges et autres, qui ont aidé le mouvement de libération national d’Algérie, sans ergoter ni savoir les détails), sans revendiquer une place. Mais on peut aussi parler aux hommes et élargir leur mouvement d’appui pour faire reculer les critiques ou les jugements sexistes.

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  6. Tu ne devrais pas t’embêter à faire des « précisions » et des « explications » de politiquement correct en début d’article -ou des articles entier pour-; si c’est vraiment nécessaire au pire tu mets un errata à la fin de l’article.
    Pourquoi je dis ca ? Parce que pour un gars qui découvre le site et vient se renseigner, apprendre, comme moi, c’est carrément difficile d’accrocher à un article quand tu as déjà un débat et des méaculpa au début d’un article.
    Surtout que l’accroche, c’est important.
    Et puis si tu te mets à dos deux-trois personnes déjà sensibilisées par le féminisme pour des questions de sémantique, au pire, tu t’en fous, tu n’es pas là pour prêcher des convaincus !

    Bon courage,

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  7. Pingback: L’inclusivité jusqu’où ? | analyse - synthese

  8. Pourquoi, au sein d’une idéologie qui cherche soi-disant l’égalité (impossible) H/F, est-on autant déterminé à caser tout trait de personnalité dans des cases et à définir les gens en fonction de celles-ci ?
    On en est pas à une incohérence près..

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  9. un peu ras le cul de voir des féministes se justifier auprès d’hommes … cis ou trans .
    Mais alors , ça commence vraiment à devenir particulièrement grotesque . Les hommes trans jouissent des privilèges du patriarcat , ou en tout cas tendent vers l’atteinte de ces privilèges , en jouiront , un jours . Les femmes cis , jouissent des privilèges de la cissistude , privilèges qui ne vont pas bien loin , en terme statistiques, immédiatement et systématiquement ils seront de toute façon anihilés parce-que ce sont des femmes . elles ne seront pas discriminées parce-que trans, mais parce-que femmes . J’aimerai bien qu’entre opprimés on se foutent un peu la paix les uns les autres , elle a mis une note en début d’article , le reste tombait sous le sens , je me demande dans quelle mesure ça ne devient pas surtout un comportement de trolling anti- féministe de toujours venir dévier le propos autours des hommes , cis ou trans. Pourquoi ce ne serait pas finalement , une revendication de privilégiés, ou d’aspirants privilégiés ? Après tout … je ne me permettrais pas de dire à un homme trans en permanence qu’il est une « homme-trans », je l’appellerai tout simplement « homme » , non ? Et en quoi les hommes trans seraient ils exempts de s’interroger sur leurs privilèges ? cf précédent articles, en quoi ne sont ils pas incluables dans la catégorie « hommes » à qui s’adressait l’article ?
    J’aurai préféré une réflexion sur ces questions, plutôt que cette justification qui n’explique rien du tout , dans le fond.

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  10. C’est vraiment incroyable cet entre-soi qui confine à la masturbation intellectuelle. En tant qu’homme normal (le truc avec l’accord de l’assignation natale du sexe, là) je m’exclus d’entrée quand je vois les syntaxes barbares à coup de tirés et de e en fin d’adjectif ou tous ces nouveaux termes qui ne justifient leur existence que par la susceptibilité, la volonté de chacun de pouvoir aussi être offensé. C’est ridicule. Et, me semble-t-il, ce genre de texte, d’analyse, d’intellectualisme pseudo-combattant ne convainc au final que des convaincus. Comme des caricatures, finalement, qui viendraient conforter une opinion mais n’engendrerait aucune réaction, aucune remise en cause. Oui, je crois que c’est l’effet que tout ça me fait, d’être dans la caricature. La contre-productivité à son paroxysme.

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  11. @Pas Genre : en tant qu’ « homme normal » comme vous dites ça ne m’étonne pas que vous ne vous sentiez pas concerné par l’invisibilisation des femmes dans la langue française. Par contre je m’étonne que vous preniez le temps d’écrire ce type de commentaire puisque nous sommes sur un site qui, à coup de « syntaxes barbares » aurait dû vous exclure (et on vous regretterait pas beaucoup).

    @Adelever : « J’aimerai bien qu’entre opprimés on se foutent un peu la paix les uns les autres », ok, mais entre opprimés il me semble qu’on a le droit aussi se dire quand on s’est senti opprimé (la preuve c’est que ça a été efficace). Et je ne pense pas que ça ait confisqué le débat, il y a eu d’autres commentaires sur le reste de l’article.
    Quant à savoir pourquoi les hommes trans ont été exclus du débat, c’est effectivement une chose qui a été affirmée dans l’article sans être justifiée vraiment et qui pourrait mériter réflexion. Je suis d’accord sur le fait que les hommes trans jouissent ou jouiront probablement tous un jour des privilèges masculins. Mais ce qui me semble différent c’est justement qu’ils n’en ont pas toujours joui, et qu’ils ont vraisemblablement un jour vécu aux yeux de la société en étant considéré comme des filles/femmes et donc discriminés en raison de cela. Cette différence avec le vécu et la construction des hommes cis me parait légitimer une réflexion différenciée quant à la question de la prise de conscience de ces privilèges. Celle-ci est nécessaire et peut être difficile pour les hommes cis, sûrement moins pour les hommes trans. Car qui de mieux placé que les trans (hommes ou femmes) pour savoir comment la société traite différemment les hommes et les femmes, et l’avoir vécu de l’intérieur ? (Mais ils/elles pourront peut-être me contredire.)

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    • Merci pour cette réponse , que je comprends navigant depuis un moment dans le milieu militant et prenant les précautions inclusives nécessaires , convaincue qu’elles ont leur importance . Cependant , je pense que dans le cas présent , le débat autours des hommes trans a bien confisqué le débat , comme je le vois de plus en plus souvent arriver . C’est toujours dirigé , justement contre celles qui se fendent de prendre les précautions inclusives , qui finissent par se justifier , lorsque l’inverse n’est jamais vraie .

      Je ne vois pas de féministes reprocher aux trans de ne pas inclurent toutes les femmes ou tous les hommes lorsqu’ils évoquent leurs difficultés spécifiques, ou encore leur reprocher justement tout l’inverse : de les avoir non-différenciées . Je trouve intéressant de me questionner sur ce qui semble se transformer en double contrainte incessante où l’autrice femme-cis féministe a toujours faux de toute manière .

      De plus, ce qui s’est passé autours de cet article confirme mon impression de plus en plus prégnante qu’un jeu de domination s’est engagé entre privilégiés , ex-privilégiés et futur privilégiés et opprimées .

      Les dynamiques de l’oppression étant complexes , je me demande d’où vient cette confiscation de plus en plus systématique , unilatérale , et cette idée que c’est aux femmes de se remettre en question face à des hommes, il y a j’en ai l’impression (mais peut être que je me trompe ) hiérarchisation des luttes et des oppressions , dans le sens des trans , je ne pense pas qu’elle soit pertinente .

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