ESSENTIALISME
Ce terme revêt différents sens selon qu’il est employé en biologie, en philosophie ou en sociologie. C’est le dernier sens qui prévaut dans la théorie féministe et les études de genre, résumé ainsi dans un article portant sur le lien entre essentialisme et politiques de l’identité:
L’essentialisme est l’idée selon laquelle des groupes de gens pourraient être définis par certaines caractéristiques essentielles, visibles et objectives, qui seraient inhérentes aux individu·es, éternelles et inaltérables. La segmentation en groupes peut être faite selon ces caractéristiques relatives à l’essence des personnes, elles-mêmes fondées sur des critères problématiques tels que le genre, la race, l’ethnie, l’origine nationale, l’orientation sexuelle et la classe.
Les études de genre et la tendance majoritaire du féminisme contemporain se définissent par opposition à l’essentialisme, dans la lignée de l’affirmation célèbre de Simone de Beauvoir: « On ne naît pas femme, on le devient » (cf. CONSTRUCTIONNISME). Il s’agit cependant d’un point de conflit majeur dans la pensée féministe. Par exemple, même si l’anti-essentialisme semble aujourd’hui majoritaire, en particulier dans la nouvelle génération de militant·es, il existe aussi une tendance féministe essentialiste. C’est le cas de ce que les féministes américaines nomment à partir des années 70-80 « French feminism », rassemblant par là des féministes comme Luce Irigaray ou Julia Kristeva, qui cherchent à mettre en avant des qualités spécifiques féminines afin de contrer la dévalorisation du féminin et de trouver par là une voie d’émancipation.
Mais l’opposition n’est pas seulement entre essentialisme et anti-essentialisme. Gayatri Spivak, par exemple, prône dans le cadre d’une réflexion post-coloniale un « essentialisme stratégique », qui doit permettre d’accéder en quelque sorte à ce qu’il se passe dans l’esprit du dominant, d’adopter son point de vue afin de trouver la meilleure stratégie politique possible pour mettre fin aux politiques de domination. Le but, pour Spivak, est de comprendre les fondements de la pensée essentialiste (qu’elle s’applique aux catégories de sexe, de « race »…) afin d’en démonter les rouages et de remettre en cause l’ensemble du système qui cause l’oppression des groupes en question.
CONSTRUCTIONNISME
Articles de ce blog traitant du constructionnisme:
– Le genre est un construction sociale: qu’est-ce que cela veut dire?
– Quels sont les rapports entre sexe et genre?
Une précision terminologique d’abord: on trouve souvent (y compris sur ce blog) les termes constructionnisme et constructivisme employés comme équivalents, mais ils ne le sont pas. Sans rentrer dans les détails, je signale simplement que le constructivisme réfère à une position théorique en sociologie de la connaissance; ce qui nous intéresse, c’est le constructionnisme, aussi appelé (histoire d’embrouiller un peu plus les choses) constructivisme social ou encore constructivisme empirique.
L’expression « construction sociale », qui s’applique notamment au genre, émerge en sciences humaines dans les années 1960 dans le cadre de l’opposition à l’essentialisme (cf. ESSENTIALISME). Il s’agit de mettre en évidence la manière dont les acteurs sociaux, à travers leurs discours et leurs actions, construisent la réalité sociale. Le genre et la « race » sont deux exemples de constructions sociales. Ce sont des catégories qui paraissent incontournables, inévitables, déterminées par la nature; mais les chercheur·es en sciences humaines montrent comment, à partir de différences constatées de manière plus ou moins objective (apparence, comportement…), les acteurs sociaux associent à ces différences des caractéristiques et des valeurs qui ne sont pas « naturelles » mais sociales. Ainsi, à la division de l’humanité en deux catégories sexuelles apparemment binaires, « femelles » et « mâles », se sont ajoutées des divisions ayant à voir avec le comportement, les rôles sociaux, l’habillement, etc. qui sont de nature sociale. C’est cela qu’on appelle le genre. Autrement dit, « on ne naît pas femme, on le devient ».
Le concept de construction sociale a des conséquences politiques importantes. En effet, il implique que la hiérarchie imposée par le genre n’est pas imposée par la nature, par une essence immuable. Elle n’est pas un donné vrai pour l’humanité en tous temps et en tous lieux, mais une construction variable selon le lieu et l’époque et qu’il est possible de mettre au jour, de faire évoluer, voire de radicalement bouleverser.
SOCIALISATION DE GENRE
Cf. les articles CONSTRUCTIONNISME et ESSENTIALISME.
Ce sujet a été traité sur ce blog notamment dans « Compagnon persiste et signe… Ca tombe bien, nous aussi », article co-écrit avec Denis Colombi.
Il n’existe pas d’essence de la masculinité ni de la féminité. Nous apprenons, de multiples manières et dès la plus tendre enfance, comment être des hommes et des femmes, c’est-à-dire quels comportements sont attendus de nous en fonction de notre appartenance de sexe. En sociologie, on appréhende cela notamment à travers la notion de socialisation de genre, qui désigne la manière dont le genre est appris et transmis d’une génération à l’autre, via des institutions comme l’école, la famille, les médias… Pour la sociologue Muriel Darmon, la socialisation désigne
l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit — on dira aussi « formé », « modelé », « façonné », « fabriqué », « conditionné » — par la société globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours duquel l’individu acquiert — « apprend », « intériorise », « incorpore », « intègre » — des façons de faire, de penser et d’être qui sont situées socialement. (La socialisation, Armand Colin, 2006, p. 6)
La socialisation de genre, c’est le processus par lequel chacun·e, dès la naissance, apprend à se comporter, à parler, à se tenir et à penser au sein du monde, en fonction de la différence des sexes. On apprend des pratiques, des gestes, des réflexes qui nous semblent ensuite « naturels », tant nous y sommes habitué·es. La socialisation de genre doit être mise en relation avec d’autres types de rapports sociaux: des rapports d’âge, de classe sociale, de « race » au sens social, etc.
Les manières d’apprendre à être une fille ou un garçon, une femme ou un homme, sont multiples. On ne donne pas aux enfants les mêmes jouets ni les mêmes vêtements selon qu’ils sont d’un sexe ou de l’autre; on encourage en classe les garçons à parler et on accepte des comportements turbulents, alors que les filles doivent être discrètes et disciplinées; les enfants de couples hétérosexuels voient encore, majoritairement, leur mère s’occuper des tâches ménagères et leur père de tout ce qui concerne les activités extérieures… La famille et l’école sont des institutions centrales dans la socialisation de genre, mais cet apprentissage ne se limite pas à l’enfance, loin de là: les frontières entre les sexes sont réaffirmées tout au long de la vie, que ce soit par exemple à travers les représentations médiatiques (publicités, personnages de cinéma…) ou des pratiques sportives, culturelles, etc.