L’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. (…) Aucune femme ne recourt de gaieté de coeur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes: c’est toujours un drame, cela restera toujours un drame. (…) [Il s’agira donc] autant que possible [d’]en dissuader la femme.
Simone Veil, Assemblée Nationale, 26 novembre 1974.
Le 17 janvier 1975 est promulguée la loi 75-17 relative à l’interruption volontaire de grossesse, appelée « loi Veil ».

Dans une interview au journal La Croix, à la question « Souhaitez-vous revenir sur la loi Veil? », Marine Le Pen répond:
Revenir sur ou à la loi Veil, car cette loi qui prévoyait que l’avortement soit l’ultime choix a été dénaturée. Aujourd’hui, lorsqu’une femme se rend au Planning familial, on lui propose l’avortement ou
l’avortement !
Je parlais la semaine dernière des mensonges éhontés qui caractérisent le discours du FN sur l’IVG et qui transparaissent dans des expressions aussi dénuées de sens et infondées qu' »IVG de confort », « IVG de récidive » ou l’IVG comme « mode de contraception ». Cette idée que le Planning Familial serait un « centre d’avortement » relève de la même argumentation affabulatrice, utilisant les refrains connus des anti-IVG. Mais en ce qui concerne la loi Veil et son « esprit », qui aurait selon Mainre Le Pen été « dénaturé », c’est plus compliqué.
L' »esprit » de la loi Veil
Quand j’ai lu pour la première fois cette interview et la façon dont Marine Le Pen parlait de la loi Veil, j’ai haussé les épaules. La loi Veil, c’est celle qui donne aux femmes françaises la liberté de choisir quoi faire de leur propre corps; c’est aussi celle qui ouvre la possibilité de dissocier la sexualité féminine de la reproduction, au même titre que la sexualité masculine; c’est enfin le fruit du combat et du courage d’une femme, Simone Veil (alors ministre de la Santé), que j’admire profondément.
Puis j’ai lu « IVG de confort: les arroseurs arrosés », sur le blog Les entrailles de Mademoiselle. Comme toujours, Mademoiselle S. est à contre-courant et frappe juste. Elle pointe ici du doigt ce que recouvre souvent l’indignation suscitée par l’expression « IVG de confort », employée par Louis Alliot (n°2 du FN) et Marine Le Pen. Cette expression serait honteuse non pas parce qu’elle n’a aucun sens, mais parce l’IVG n’est pas « confortable », ne peut pas l’être: l’IVG serait toujours un drame et un traumatisme. En utilisant cette expression,
le FN ne fait que surfer sur une vague qui consiste à voir l’IVG comme un acte moralement douteux, évitable et forcément traumatisant, pour la société et les femmes qui le demandent. [Or] cette vision de l’avortement, c’est tout l’échiquier politique, ou presque, qui l’entretient.
J’ai été interpellée par cette idée mais pas forcément convaincue par la manière dont elle était étayée dans l’article, qui prend notamment appui sur un communiqué de presse du PS disant que « l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) n’est jamais un acte anodin pour une femme ». J’ai fait part en commentaire de mes doutes concernant cet exemple en particulier. La réponse de Mademoiselle S. est, cette fois, plus que convaincante:
Quand je parle de toutes les composantes de l’échiquier politique, ou presque, c’est simplement parce que ces propos sur l’IVG sont TOTALEMENT dans l’esprit même de la loi de 75, en cohérence avec la loi de 1975 et avec celle de 2001. Il suffit de lire le discours de Simone Veil à l’Assemblée Nationale, ainsi que ceux des intervenants, ministres ou députés, qui ont participé au débat lors de la discussion et du vote de la loi de Aubry (2001)… l’IVG, et ils l’affirment, est un drame.
Simone Veil en 1974 : « C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. »
Martine Aubry (PS) en 2000 : « Dans notre pays, le nombre d’IVG qui est, pour toute femme, un traumatisme réel… » ; « Chacun ici sait bien qu’une femme ne pratique pas une IVG par confort, que c’est toujours douloureux et traumatisant »; « débuter sa vie sexuelle par une IVG constitue un grave traumatisme. »
Ségolène Royal (PS) en 2000 : « On ne parle jamais de l’après, mais je crois que le principal traumatisme survient dans les mois qui suivent une interruption de grossesse. »
JF Mattéi (UMP) en 2000 : « souligner l’importance de l’information sur la contraception et les risques psychologiques et organiques de l’IVG. »
Etc.
Le ver dans le fruit?
Mademoiselle S. et Marine Le Pen seraient-elles d’accord sur ce que serait « l’esprit de la loi Veil »? Aberrant, a priori. J’ai donc cherché le texte de cette loi, ainsi que le discours prononcé par Simone Veil lors de l’ouverture des débats à l’Assemblée, pour comprendre en quoi consiste ce fameux « esprit » qui aurait, selon Marine Le Pen, été « dénaturé ». Outre la citation que je donnais au début de l’article, on trouve dans le texte de loi ceci:
Article L2212-1
Modifié par Loi n°2001-588 du 4 juillet 2001 – art. 1 JORF 7 juillet 2001
La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin l’interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu’avant la fin de la douzième semaine de grossesse (il s’agissait de la dixième semaine dans le texte original).
Même si, dans les faits, la loi Veil permet aux femmes de disposer librement de leur corps, ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. La loi se présente comme une forme d’exception, elle dépénalise l’IVG sans la faire accéder au statut de droit fondamental des femmes. Il y a une nuance majeure entre ces deux statuts; les Etats-Unis, parmi d’autres pays, reconnaissent l’existence de ce droit. L’IVG là-bas est donc pleinement légale (malgré les nombreuses attaques dont elle fait l’objet) et non simplement dépénalisée comme en France.
Suite la semaine prochaine: j’évoquerai le « drame » que devrait constituer l’IVG et le ver dans le fruit de la loi Veil, qui empêche que soit pleinement reconnu et assuré le droit des femmes françaises à l’avortement.