Cyborg Thatcher

Parmi les innombrables réactions suscitées au Royaume-Uni par la mort de Margaret Thatcher, celle-ci est assez remarquable. La députée travailliste Glenda Jackson a tenu ce discours à la House of Commons pendant la session d’hommage à l’ancienne Première Ministre:

Après avoir longuement détaillé les méfaits du thatchérisme, elle conclut en réagissant aux discours saluant en Thatcher la première femme Première Ministre (à partir de 5’42):

    I am of a generation that was raised by women, as the men had all gone to war to defend our freedoms. They did not just run a Government; they ran a country. The women whom I knew, who raised me and millions of people like me, who ran our factories and our businesses, and who put out the fires when the bombs dropped, would not have recognised their definition of womanliness as incorporating an iconic model of Margaret Thatcher. To pay tribute to the first Prime Minister denoted by female gender, okay; but a woman? Not on my terms.
    Je suis d’une génération qui a été élevée par des femmes, car les hommes étaient tous partis à la guerre pour défendre nos libertés. Elles ne faisaient pas que diriger un gouvernement: elles dirigeaient un pays. Les femmes que j’ai connues, qui m’ont élevée, ainsi que des millions de gens comme moi, qui dirigeaient nos usines et nos commerces, et qui éteignaient les incendies quand les bombes tombaient, n’auraient pas reconnu leur définition de la féminité comme incarnée par Margaret Thatcher. Rendre hommage au premier Premier Ministre désignée par le genre féminin, d’accord; mais une femme? Pas selon ma définition.

Qu’est-ce qui, selon cette députée, a rendu Margaret Thatcher indigne (car c’est bien de cela qu’il s’agit) d’être une femme? Sa « définition » est celle d’une féminité idéalisée s’incarnant dans un peuple de mères courage. Thatcher a dirigé un gouvernement (plusieurs, en fait) mais elle ne mérite pas le nom de « femme ». Le thatchérisme, dit-elle, représente la consécration de tout ce qu’elle a appris à considérer comme des « vices », qui deviennent des vertus: l’appât du gain, l’égoïsme, le mépris des plus faibles, bien loin du care traditionnellement confié aux femmes. Thatcher aurait donc perdu son droit au titre de « femme » – non pas en accédant à la fonction de première ministre, mais en renonçant aux valeurs traditionnellement associées à la féminité.

Margaret Thatcher n’est pas une « femme » – je n’emploie pas le mot au sens biologique, bien sûr – car elle ne correspond pas à l’idée que les sociétés occidentales se fait de « la femme ». Mais (n’ayons pas peur d’enfoncer des portes ouvertes) elle n’est pas non plus un homme: on nous l’a suffisamment rappelé, son sexe biologique la rend unique , originale, une espèce de monstre de la nature. Elle est la première femme Première Ministre, la Dame de Fer. Cette expression, « Iron Lady », a été utilisée pour la première fois par un journaliste soviétique en 1976 en référence à son inflexibilité; il ne s’agissait pas d’un compliment, mais l’expression est restée et illustre le mélange de répulsion et, parfois, d’admiration suscité par l’intransigeance de Thatcher. Mais l’expression est aussi devenue récurrente pour désigner des femmes chefs de gouvernement (la liste est impressionnante): ces femmes déterminées, ambitieuses, fermes ne peuvent être que des « dames de fer », de Benazir Bhutto à Julia Gillard en passant par Yulia Tymoshenko.

Car oui, il faut le dire et le redire: on a beau ne pas aimer Margaret Thatcher (je ne l’aime pas, je ne la respecte pas, ni elle ni ses idée), il faut reconnaître qu’il y a une part de sexisme dans la haine qu’elle suscite. Jean-Pierre Langellier dans Le Monde la qualifie de « nymphomane de la politique ». Est-ce qu’il voulait simplement dire qu’elle était ambitieuse? Qu’elle aimait la politique, le pouvoir? En quoi cela fait d’elle une nymphomane? L’expression sonne comme un rappel: on avait failli oublier qu’elle était une femme, la ramener à sa sexualité (ou plutôt à un fantasme sexuel masculin) est apparemment le meilleur moyen de le rappeler.

Cyborg_Thatcher

AC Husson

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Le blog de Janine: http://janinebd.fr/

Pour aller plus loin:

– Donna Haraway, Le manifeste cyborg : la science , la technologie et le féminisme-socialiste vers la fin du XXème siecle, 1ère publication: 1992.
– Vient de paraître (pas lu): Mérabha Benchikh, Femmes politiques: « le troisième sexe »?, Paris, L’Harmattan, 2013.
– Sur le Guardian: « Margaret Thatcher was no feminist ».
– Sur le blog Heaven Can Wait: « Margaret Thatcher: la Lilith du XXème siècle… »
– Catherine Achin et Elsa Dorlin, « ‘J’ai changé, toi non plus’. La fabrique d’un-e Présidentiable : Sarkozy/Royal au prisme du genre », Mouvements, 5 avril 2007.
– Fabienne Brugère, « Jusqu’où ira le care ? », La Vie des idées, 4 octobre 2010.

Quand le politique tente de censurer la recherche

Edit 14/12, 22h50: pour plus de clarté, j’ai remplacé dans le titre « contrôler » par « censurer ».

Le 7 décembre 2012, les député·e·s UMP Virginie Duby-Muller et Xavier Breton ont présenté à l’Assemblée Nationale une « Proposition de résolution demandant la création d’une commission d’enquête sur l’introduction et la diffusion de la théorie du gender en France ».

Cette proposition de résolution intervient alors que font rage les débats sur le « mariage pour tout·e·s », présenté par les deux signataires comme une conséquence de l’influence de la « théorie du gender ». L’initiative a fait l’objet d’un écho assez faible dans les médias, qui soulignent son lien avec la polémique lancée en 2011 par des traditionalistes et conservateurs milieux catholiques, déjà relayée à l’époque par 80 déput·e·s UMP. L’un d’eux avait même demandé une enquête de la Miviludes, l’organisme chargé de la lutte contre les sectes.

Comme en 2011, le traitement médiatique de cette polémique se caractérise par la reprise généralement non critique du vocabulaire des opposants au « gender ». On retrouve ainsi dans de nombreux titres et articles les expressions « théorie du gender » et « théorie du genre », même quand le contenu est favorable aux études de genre. Ces expressions ne viennent pas des études de genre, et pour cause: une telle théorie n’existe pas. Je reviendrai sur cette question dans un prochain article. En outre, le traitement médiatique de ce débat est traversé par l’expression de l’« inquiétude » des opposant·e·es aux études de genre. On remarque donc que les polémistes réussissent à imposer non seulement leur vocabulaire (absurde), mais aussi une certaine vision du débat (vecteur d’«inquiétude » et de « bouleversements »).

Diagnostiquer…

Le texte de la proposition de résolution est disponible sur le site de Mme Duby-Muller. Il en détaille les motifs et commence par un paragraphe qui se donne des allures de description scientifique:

    Notre société est organisée à partir de la différence sexuelle « anatomique » homme/femme, et de son expression culturelle, le genre masculin/féminin, qui lui correspond. Le genre peut être considéré comme le résultat de processus historiques et culturels ; il se réfère à des comportements, des fonctions et des rôles que chaque société assigne à chaque sexe.

L’affirmation d’emblée d’une différence sociale fondée en nature relève d’une rhétorique maintenant habituelle et d’une logique irrecevable (expliquer une situation sociale par des données qui ne relèvent pas du champ du social). Mais surprise: le terme « genre » est employé, avec une définition qui serait à peu près acceptable si elle n’était pas fondée sur la reconduction de l’opposition nature / culture. La logique qui consiste à nier la légitimité d’un champ de recherches en reconnaissant pourtant la validité de son concept central est pour le moins retorse. C’est en fait, on s’en doutait, parce que les personnes à l’origine de ce texte n’ont absolument rien compris aux études de genre.

L’illogisme se poursuit et s’amplifie. Le texte admet l’intérêt des études de genre:

    il peut être tout à fait intéressant de s’interroger, à travers l’Histoire, sur les différences non biologiques entre hommes et femmes, en cherchant la racine et les causes des inégalités observées

pour ensuite objecter (et c’est là que cela se corse):

    [m]ais progressivement ces gender studies ont intégré la théorie du gender dans leurs travaux.

Je dois dire que j’ai été prise d’un fou rire en lisant cette phrase. Mais comme elle a été prononcée à l’Assemblée Nationale, par des élu·e·s du peuple, peut-être faudrait-il plutôt en pleurer. Au cas où cela vous aurait échappé, il est évidemment impossible de séparer gender studies et « théorie du gender », puisque le « gender » est le concept central des gender studies. (Je n’arrive pas à croire que j’ai écrit cette phrase.)

On retrouve ensuite les arguments rodés pendant la « querelle du genre » de 2011, avec leur lot de contresens, de déformations et de caricatures (volontaires?), très bien analysés par Anthony Favier dans une série d’articles consacrés à la question (« La querelle autour du nouveau programme de biologie de 1ère », 1-12). La conséquence redoutée et constamment agitée par les polémistes anti-genre, c’est « l’indifférentiation des sexes ». On prête à la « théorie du gender » un pouvoir tel que, si elle était « introduite » en France, elle pourrait provoquer « une rupture majeure de notre société et […] un bouleversement pour l’ensemble des Français ». Le texte dépeint ce « bouleversement » comme imminent: en effet, la « théorie du gender » s’est déjà infiltrée dans nos universités, dans les programmes scolaires, mais aussi dans les domaines suivants: « politique de la petite enfance, éducation, […] droits des femmes, droit de la famille, droit social, administration, Justice ».

Le tout s’apparente fort à un complot, américain de surcroît. L’emploi de l’anglais « gender » et le refus d’utiliser la traduction française « genre », pourtant largement acceptée aujourd’hui, témoignent de la volonté de désigner la « théorie du gender » comme une importation américaine (à rejeter, donc). La France doit résister à cette invasion discrète, à l’«introduction » en France de la « théorie du gender », « imposée en catimini », à son «apparition » dans les manuels scolaires et sa « pénétration [sic] […] dans l’ensemble de notre pays ».

Après une telle démonstration, pas anxiogène pour deux sous, une conclusion s’impose: une commission de trente déput·e·s devra

    établir précisément les vecteurs de promotion de la théorie du gender dans notre pays – [et] en évaluer les conséquences pour la collectivité nationale.

… pour mieux contrôler

De quoi parle-t-on ? D’un champ d’études, les études de genre, qui prend pour objet l’aspect social de la dichotomie femme / homme en s’appuyant sur le concept de « genre ». L’objectif est d’expliquer en quoi cette bipartition implique une hiérarchie et donc, des inégalités concrètes. C’est cela que ces déput·e·s et les polémistes anti-genre fantasment comme une « théorie du gender ». Les études de genre se sont institutionnalisées dès les années 1980 aux Etats-Unis et beaucoup plus tardivement en France, ce qui explique sûrement tant d’incompréhension et d’erreurs, mais certainement pas la volonté d’exercer un contrôle politique sur la recherche.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. En brossant un tel portrait des études de genre, ces polémistes cherchent à justifier l’injustifiable, à savoir tout bonnement la censure. Mais pourquoi s’attaquer aux études de genre? Qu’est-ce qui leur fait donc si peur? L’idée d’une « indifférenciation des sexes » est, je l’ai dit, un pur fantasme sur lequel reviendra un prochain article. Ce fantasme résulte d’un contresens fondamental sur les idées de chercheurs et chercheuses comme Judith Butler, constamment caricaturée et utilisée comme épouvantail.

Au-delà de ce spectre de l’indifférenciation des sexes, ce qui effraie, c’est la mise en évidence des mécanismes de hiérarchisation et de domination qui fondent la bipartition femme / homme – en clair, les causes des inégalités sociales. On retrouve cette peur à deux occasions dans le texte de la proposition:

    Si toute lutte contre les discriminations fait, a priori, l’unanimité, il faut toutefois s’assurer que l’argument avancé ne sert pas un objectif qui ne dit pas son nom, celui de généraliser l’introduction en France de la théorie du gender, dans son sens subversif de l’indifférenciation des sexes qui pourrait inspirer notre législation.
    Qui peut nier qu’à fonction égale, la femme doit avoir le même salaire qu’un homme, mais devrait-on alors lui supprimer tout congé de maternité pour le même motif ?

Les deux phrases fonctionnent de la même manière: concession (l’égalité c’est bien, d’accord) – réfutation (mais derrière l’égalité, il y a le « gender », c’est-à-dire le déni de la biologie). La recherche de l’égalité est assimilée au processus insidieux du « gender »; conclusion, que fait-on en vue d’atteindre l’égalité? Rien. Trop dangereux, rendez-vous compte, on risquerait d’obliger des hommes à allaiter.

En cherchant à censurer la recherche et les études sur le genre, l’objectif est donc d’éviter toute remise en cause du statu quo, à savoir des inégalités fondées justement sur le genre. Chacun chez soi, le « gender » aux Etats-Unis, et les vaches françaises seront bien gardées.

Conclusion: démagogie et obscurantisme

Je me suis récemment énervée sur twitter à propos de cette banderole, dans le défilé de la « Manif pour tous » du dimanche 18 novembre:

"Mariage pour tous" = théorie du gender pour tous

« Mariage pour tous » = théorie du gender pour tous

Alors que je demandais comment on pouvait s’opposer à un champ de recherches, une twitta m’a répondu: « est-ce que n’est pas justement la définition de l’obscurantisme? » Très juste. L’obscurantisme, dans son sens premier, c’est une

    attitude, [une] doctrine, [un] système politique ou religieux visant à s’opposer à la diffusion, notamment dans les classes populaires, des ‘lumières’, des connaissances scientifiques, de l’instruction, du progrès.

Or à quoi assiste-t-on? A une polémique entretenue par des personnes n’ayant aucune légitimité scientifique sur ce sujet, n’ayant de toute évidence consulté aucun ouvrage de première main sur la question et prétendant en démontrer l’irrecevalibilité pour en interdire le développement. Le tout, arguments fallacieux, illogiques et souvent absurdes à l’appui. Mais bien sûr, ces personnes ont en tête le bien commun: « les Français sont en droit d’en être informés ». Il s’agit de faire prendre « conscience » aux « citoyens » de ce que […] représente [la « théorie du gender »] et des conséquences qu’elle entraîne », alors que « des associations » [sic] tentent de l’introduire « en catimini » en France.

J’ai réussi à écrire cet article jusqu’ici sans me mettre en colère mais là, j’ai du mal. Autant d’ignorance, de malhonnêteté et de démagogie me mettent hors de moi. Car comment qualifier autrement ce comportement et ces discours? Imagine-t-on un instant ces déput·e·s réserver le même traitement à la physique quantique, sous prétexte qu’elle remettrait en cause les fondements de nos croyances sur l’univers? L’objet des études de genre est social, et elles touchent aux structures de pouvoir dans la société. De toute évidence, de tels questionnements ne sont pas acceptables pour tout le monde.

AC Husson

Les vêtements et la police du genre

Il paraît que, dans une dimension parallèle, il y aurait du machisme au Parlement de la République Française. Heureusement, il ne s’agit que d’une fiction colportée par des esprits mal tournés. Une fiction qui a cependant bien alimenté la presse ces derniers jours.

Rappelons les faits, d’une importance fondamentale: Cécile Duflot, ministre EELV de l’Egalité des territoires et du Logement (dans cette dimension parallèle, bien sûr), a osé se présenter à l’Assemblée Nationale pour la sessions des questions au gouvernement du 17 juillet vêtue d’une ROBE. Je vous jure. Quelle effronterie.

Alors évidemment, comment s’étonner que des exclamations et des sifflements se soient élevés des bancs UMP. Mais attention:

1) « Nous n’avons pas hué ni sifflé Cécile Duflot, nous avons admiré. »

Patrick Balkany, député UMP qu’on ne saurait une seconde accuser d’être malhonnête de mauvaise foi.

2) « Enfin, on peut regarder une femme avec intérêt sans que ce soit du machisme! »

Le Même.

3) « Elle a manifestement changé de look, et si elle ne veut pas qu’on s’y intéresse, elle peut ne pas changer de look. D’ailleurs, peut-être avait-elle mis cette robe pour ne pas qu’on écoute ce qu’elle avait à dire. »

Balkany, mon idole.

Et PAF! Remise à sa place, la Duflot. Une robe à l’Assemblée Nationale, non mais je vous jure. D’ailleurs « il y aurait eu le même type de chahut si un homme avait porté une cravate fluo orange [sic] ». Dixit Laurent Wauquiez, cette fois, parce que Balkany n’a pas le privilège de la bêtise. Bah oui, une robe à fleurs, une cravate orange fluo, même combat: c’est extravagant, inapproprié. Cela ne rentre pas dans le moule gris et couillu de l’Assemblée. « On » s’est donc chargé de remettre Mme Duflot à sa place.

Robe déplacée? Pantalon interdit? Mettez-vous d’accord!

Petit flash-back: nous sommes en 1972, Mme Michèle Alliot-Marie vient d’être élue députée. Et là, horreur, malheur: elle se présente à l’Assemblée Nationale en pantalon. Un garde tente de l’empêcher d’entrer. Elle aurait alors répondu: « Si c’est mon pantalon qui vous gêne je l’enlève dans les plus brefs délais ». L’histoire est rapportée par l’historienne Christine Bard dans Histoire politique du pantalon. Il se trouve que ce garde, sans doute peu habitué à voir des êtres humains pourvus de vagins dans les couloirs prestigieux du Palais Bourbon, était effectivement en mesure de lui interdire l’entrée de l’Hémicycle: une ordonnance de police du 26 brumaire an VIII (17 novembre 1799), toujours en vigueur, interdit en effet aux femmes de porter un pantalon, à moins de disposer d’une autorisation spéciale de la police.

Qu’est-ce qui s’est donc passé pour qu’en 40 ans exactement, la norme vestimentaire pour les femmes devienne le pantalon, et non plus la jupe ou la robe? L’interdit social portant sur le pantalon pour les femmes est resté très fort jusqu’aux années 1960; ma grand-mère, ancienne institutrice, n’avait pas le droit d’en porter à l’Ecole normale. Quand elle a commencé à enseigner, à la fin des années 50, l’interdit social était implicite mais très clair: aucune de ses collègues ne portait de pantalon, et elle ne se souvient pas en avoir porté dans les années 60. En revanche, elle se souvient clairement avoir arboré à l’école où elle travaillait, au début des années 70, un pantalon en soie verte; elle se souvient surtout des remarques d’une collègue, outrée qu’elle ose faire une chose pareille.

La police du genre

Les vêtements font en effet partie des éléments régulateurs de l’ordre social et du système du genre, pour les hommes comme pour les femmes. La réflexion de cette institutrice est révélatrice: l’interdit qui pèse sur toute transgression des limites assignées au genre est complètement intégré par les individus eux-mêmes. L’anglais dispose, pour désigner ce phénomène, de l’expression gender police, qu’on peut traduire par « police du genre ». Elsa Dorlin, philosophe et professeure à l’Université Paris VIII, reprend à son compte cette expression pour penser la question des violences de genre ou encore de la régulation des rapports sociaux entre les sexes (la régulation du genre, donc). Dans un article intitulé « Les putes sont des hommes comme les autres » (Raisons politiques 3/2003), elle écrit:

La domination de genre consiste […] à contraindre hommes et femmes à se comporter socialement comme leurs identités sexuées leur prescrivent de le faire, selon un principe coercitif d’adéquation entre le sexe et le genre, sous peine d’être stigmatisés ou bien comme « putes » ou bien comme « pédés ».

Dans le même article, elle définit la « police du genre » comme un ensemble d' »instruments de contrôle sexiste »; sa réflexion concerne la régulation du féminin, mais cela vaut évidemment aussi pour les hommes. La collègue de ma grand-mère se faisait l’écho d’un interdit social, aujourd’hui disparu, pesant sur le port du pantalon (vêtement identifié comme masculin) pour les femmes. Les femmes ont aujourd’hui (du moins le pensait-on jusqu’à cette semaine) conquis le droit de s’habiller comme elles le voulaient; c’est-à-dire, du moment que cela reste dans les limites de la féminité traditionnelle, qui proscrit par exemple les vêtements jugés indécents. Les hommes, en revanche, disposent d’un choix vestimentaire beaucoup plus restreint. Il n’est pas admis, dans notre société, qu’un homme s’habille en jupe, cette attitude relevant forcément du travestissement. Un homme portant une jupe suscitera le rejet et/ou des moqueries portant sur sa non-conformité à son genre.

Voilà comment fonctionne la « police du genre »: elle se fonde sur le poids de la norme et du tabou que constitue la transgression des limites traditionnellement assignées au féminin et au masculin.

Dans l’article cité plus haut, Elsa Dorlin explique en outre qu' »initialement, l’idée d’une police du genre a été utilisée pour décrire le fonctionnement de l’homophobie, les pratiques et les discours homophobes ayant pour fonction principale de dissuader, de condamner ou de punir tout ce qui peut être considéré comme une transgression de genre ». « L’un des effets de l’homophobie » serait ainsi de « bétonner les frontières du genre ». Elle emprunte cette définition à Daniel Welzer-Lang (« Pour une approche proféministe non homophobe des hommes et du masculin », dans D. Welzer-Lang (dir.), Nouvelles Approches des hommes et du masculin, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1998, p. 121). La police du genre n’est pas seulement sexiste: elle est évidemment homophobe, lesbophobe et transphobe, garante du système d’hétérosexualité obligatoire.

Le vêtement est politique

En ce qui concerne les vêtements féminins, la norme ne suffit pas à la régulation de genre: on est allé jusqu’à légiférer pour garantir une distinction stricte entre les hommes et les femmes. Il faut noter que cette législation se traduit par un contrôle accru sur les femmes, de la part de législateurs qui étaient tous des hommes: il n’existe pas, à ma connaissance, de loi interdisant aux hommes de porter des robes, même si le poids du tabou est tout aussi élevé. On a jugé essentiel, en revanche, de distinguer le féminin en lui imposant des bornes claires, juridiques. La police du genre pèse sur les hommes et les femmes, mais se double pour ces dernières d’un appareil répressif et législatif qui n’est que récemment devenu obsolète.

Le vêtement est donc politique, en plus d’être un élément essentiel de l’attirail du genre. Christine Bard explique pourquoi la société française révolutionnaire a ressenti le besoin de légiférer sur les vêtements des femmes:

La percée politique du pantalon [pour les hommes] correspond à l’avènement de la citoyenneté en 1792. Dans la pensée dominante du temps, celle des philosophes, des savants naturalistes, des hommes politiques, il y a une grande, une énorme différence de nature entre les sexes. On invoque le respect de la loi naturelle aussi bien pour empêcher les femmes de porter le pantalon que pour interdire leur activité politique. Sous Napoléon, la domination masculine se renforce, et pour longtemps, avec le Code civil ainsi que dans le Code pénal. […] En 1800, période de retour à l’ordre après les troubles de la Révolution, une ordonnance de police de la préfecture de Paris interdit aux femmes d’adopter le vêtement masculin.

Il faut ajouter que les femmes ont tenu un rôle important dans la Révolution française, bien que ce rôle n’ait été reconnu que récemment par les historien.nes et qu’il ne leur ait pas permis l’accès au droit de cité. Mais ce rôle actif, outrepassant les limites de la féminité traditionnelle, pose problème: l’historienne Michèle Riot-Sarcey écrit ainsi que « selon les partisans du rétablissement de la puissance paternelle, les troubles, pour l’essentiel, auraient été liés au désordre des familles » (Histoire du féminisme, La Découverte, p. 20; sur le rôle des femmes dans la Révolution, cf. chap. 1 « Des femmes en révolution », p. 5-19). Le retour à l’ordre moral passe donc par la réaffirmation de l’ordre patriarcal et des frontières entre les genres.

Les femmes politiques: une menace?

Dans un article passionnant intitulé « Performances de genre: images croisées de Michèle Alliot-Marie de Roselyne Bachelot » (Histoire@Politique 2/2012 (n° 17), p. 69-86), Christine Bard, toujours elle, s’interroge sur le parallèle frappant que l’on est forcé d’établir entre la mutation du rôle de l’image politique depuis les années 1970 et la place grandissante des femmes dans les cercles du pouvoir, en particulier au gouvernement. Elle analyse les relations de Michèle Alliot-Marie et Roselyne Bachelot à leur genre et l’usage qu’elles en font, et note qu’au fil de leurs longues carrières politiques, « la crainte de masculinisation des femmes s’est estompée ». Autrement dit, on accepterait mieux aujourd’hui les femmes politiques car plusieurs décennies ont montré que l’exercice du pouvoir ne menaçait pas la frontière traditionnelle entre féminin et masculin: les femmes peuvent faire de la politique… tout en restant des femmes.

L’accession des femmes au pouvoir politique a en effet été vécue comme une menace pesant sur le système du genre, qui a été compensée par une tendance, justement, à ramener les femmes politiques à leur « féminité ». Dans le même article, Christine Bard évoque le cas d’Alice Saunier-Seïté, ministre chargée des Universités entre 1976 et 1981:

Le président de la République Valéry Giscard d’Estaing avouera qu’elle le faisait fantasmer : « Son corps est musclé, avec des mouvements d’une aisance féline, et des jambes qui me paraissent bronzées. Une pensée bizarre me traverse : quand elle faisait l’amour, elle devait y mettre la même véhémence. » La « femme la plus insultée de France » est surnommée la « tigresse », la « panthère ». Elle représente, selon Jacques Chancel, un mélange de fermeté et de « charme », un qualificatif omniprésent qui évoque d’autres charmes, ceux qui se vendent, ceux qui qualifient certains magazines.

Ce qui me ramène aux propos cités plus haut de M. Balkany: bien sûr qu’il ne s’agit pas seulement d' »admirer ». Une femme, politique ou non, n’est pas là pour qu’on l’admire, n’en déplaise à ceux de ces messieurs qui essaient de nous réduire au rôle de potiches vaguement décoratives. Siffler une ministre parce qu’elle porte une robe à l’Assemblée ne veut pas dire autre chose que ceci: vous avez beau être une femme politique, une ministre, vous êtes avant tout une femme dans une société patriarcale. Une façon de la ramener à sa condition de femme (comme si c’était un abaissement!), d’assurer la police du genre et de garantir l’intégrité du système. Et les vaches seront bien gardées.

AC Husson

Pour aller plus loin:
Christine Bard, Une histoire politique du pantalon, Seuil, 2010.
Christine Bard, Ce que soulève la jupe, Autrement, 2010.
Mona Chollet, Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, chap. 1 « Et les vaches seront bien gardées. L’injonction à la féminité », en particulier la section « Pour des femmes en jupe et des hommes qui en ont » (p. 18-22), La Découverte, 2012.
EDIT: sur la question connexe du travestissement (merci pour les suggestions):
Le numéro « Femmes travesties : un “mauvais” genre » de la revue Clio, dirigé par Nicole Pellegrin et Christine Bard (suggéré par Julien en commentaire)
Sylvie Steinberg, La confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à la Révolution, Fayard, 2001 (suggéré par Au fil du texte)
L’émission « Les femmes qui s’habillent en hommes » (19/02/2012) – « Les femmes, toute une histoire », programme animé par Stéphanie Duncan le dimanche sur France Inter.

L’IVG et les libertés linguistiques du FN

On parle beaucoup d’IVG depuis quelques semaines, et la plupart du temps, ce n’est pas bon signe pour les droits des femmes. C’est le cas en France, mais aussi aux Etats-Unis, qui sont eux aussi en période pré-électorale et connaissent un durcissement très marqué du discours républicain ainsi qu’une réactivation de ce que les démocrates ont qualifié de « guerre menée contre les femmes » (« War on Women »). Vous pouvez lire à ce propos une synthèse très intéressante sur le blog d’une amie qui vit là-bas.

Si les droits des femmes ne semblent malheureusement pas être une priorité pour la plupart des candidats et des candidates à la présidentielle, l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG), pourtant, apparaît régulièrement dans les radars médiatiques. Il y a ceux qui, comme François Hollande, en parlent à l’occasion de la journée des droits des femmes (il propose que « que tous les établissements hospitaliers [publics] de notre pays puissent être dotés d’un centre IVG »). Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon, eux, en ont fait une composante plus importante de leur programme. La première a même fait une proposition qui n’a malheureusement pas rencontré beaucoup d’échos: elle souhaite supprimer la « clause de conscience », cette disposition prévue par la loi Veil du 17 janvier 1975, permettant à un médecin de « refuser la réalisation d’un acte médical [l’IVG, en l’occurence] pourtant autorisé par la loi mais qu’il estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques ». Eva Joly argumente ainsi dans une interview au magazine Elle: « le recours à l’IVG est un droit. Et d’ailleurs beaucoup de médecins refusent de le pratiquer pour des raisons financières et non morales ! »

La formulation d’Eva Joly n’est pas tout à fait juste, dans la mesure où la législation française ne prévoit malheureusement pas de droit à l’avortement, qu’elle se contente de dépénaliser. Mais sa proposition mériterait d’être discutée, dans la mesure où elle soulève la question de cette exception législative et éthique que devrait rester l’IVG. Veut-on que celle-ci reste dans le domaine de la morale, puisque c’est bien cela que vise cette « clause de conscience », ou doit-elle s’en affranchir complètement, à partir du moment où on lui accorde droit de cité?

Les discours concernant la défense des droits des femmes et l’accès à l’IVG en particulier semblent malheureusement minoritaires dans le champ médiatique, qui accorde, en revanche, une place beaucoup plus importante aux sorties de Christine Boutin et Marine Le Pen. Deux femmes. Je vous préviens, la suite risque d’être douloureuse (ou très inconfortable…), accrochez-vous.

Commençons par l’inénarrable Christine Boutin qui, à propos du projet de François Hollande, a réussi à évoquer dans un même souffle le « déclin irréversible de la France », l’euthanasie, « l’avortement de masse » (si si), l' »idéologie du gender », le mariage homosexuel, et j’en passe. (cf. mon article « Le genre, une ‘idéologie’? »)

Le point commun entre Christine Boutin et Marine Le Pen? Outre qu’elles sont ou ont été candidates à l’élection présidentielle et qu’elles appartiennent à la droite ultra-conservatrice, elles visent toutes deux l’électorat chrétien catholique, la première en tant que présidente du parti Chrétien-Démocrate (si, je vous jure, il existe), le seconde en vertu de ce qui semble une conversion politique récente. C’est ainsi qu’on peut lire sur le site du journal La Croix un article en date du 14/2, intitulé « La bioéthique touche à notre vision de l’homme » [et de la femme?], qui passe pêle-mêle en revue les bébés-médicaments, les recherches sur l’embryon, la loi Veil (qui dépénalise l’avortement), l’euthanasie mais aussi la peine de mort, le PACS ou encore la « compatibilité de l’Islam avec la République », dont on voit mal en quoi ils relèvent de la bioéthique.

La première offensive explicite du FN sur le sujet de l’IVG dans le cadre de cette campagne remonte au début du mois de février, quand Louis Aliot, n°2 du FN, directeur opérationnel de la campagne de Marine Le Pen et conjoint de celle-ci, évoque dans l’émission « Mots croisés » la question du déremboursement de l’IVG (point qui ne figure pourtant pas dans le programme du FN) et appuie son argumentaire sur cette expression extraordinaire: « l’IVG de confort » (à partir de 12’43).

A Michel Sapin (PS) qui réagit sur cette expression, L. Aliot répond: « Oui, ça s’appelle comme ça »; quand on lui demande de la définir, il évoque l’IVG non-thérapeutique. Rappelons que l’interruption médicale de grossesse (IMG, ou avortement thérapeutique, donc) peut être indiquée lorsque la grossesse met en danger la vie de la mère, ou lorsque le fœtus est atteint d’une maladie grave et incurable au moment du diagnostic. L’IVG « de confort », ou « non-thérapeutique » (puisqu’elles sont synonymes pour L. Aliot) concernerait donc tous les cas où une femme ou un couple décide d’un avortement pour des raisons non médicales.

Notez le haussement d’épaule et le petit rire de mépris de L. Aliot quand Daniel Cohn-Bendit lui rétorque que c’est aux femmes et pas à lui de décider. Tout est là.

L. Aliot enchaîne ensuite sur le règne d’une prétendue incitation à l’avortement, qui empêcherait les femmes voulant garder leur enfant de le faire. (?!)

L’argumentation du FN se précise dans les semaines suivantes en intégrant un argument de choc: le remboursement de l’IVG, auquel il s’agirait donc de s’attaquer, se ferait aux dépens du remboursement d’autres actes médicaux mal ou pas remboursés aujourd’hui. Pas n’importe quels actes: ceux qui concernent les personnes âgées, cible électorale privilégiée du FN. Marine Le Pen utilise cet argument par exemple dans l’émission « Parole de candidat » (TFI, 5 mars):

de plus en plus de personnes âgées ne peuvent plus se soigner correctement, chacun d’entre vous a vu les listes de plus en plus longues de médicaments» déremboursés. (…) Si j’ai un choix budgétaire à faire entre ne pas rembourser l’IVG qui est un acte qui peut être évité, étant entendu quand même qu’il existe de nombreux moyens de contraception dans notre pays, et être obligé de dérembourser des actes qui ne peuvent pas être évités et qui permettent à des Français qui souffrent de se soigner, [elle choisirait la seconde option].

Ou encore dans une interview accordée à une journaliste du Point, publiée le 8/3:

On va déshabiller Pierre pour habiller Paul. On va déshabiller Pierre qui a le choix de ne pas recourir à l’avortement, parce que, en amont, on lui aura donné la possibilité d’avoir accès à de la contraception pour habiller Paul qui est une personne âgée, qui a une maladie de longue durée et qui ne se soigne plus correctement, car il n’a plus les moyens de le faire.

Il faudrait peut-être rappeler à M. Le Pen que Pierre a toutes les chances d’être une Pierrette, s’il est en position de « recourir à l’avortement ».

L’argumentaire est bien rodé, on le retrouve aussi dans la bouche de L. Aliot sur France Inter, face à Pascale Clark:

Je dois à ce stade avouer quelque chose: j’ai hurlé de jubilation en entendant Pascale Clark répéter à Aliot que parler d’« IVG de confort » était « dégueulasse ». On n’a pas ce genre de satisfaction tous les jours, surtout par les temps qui courent… Seulement voilà, ce n’est pas seulement « dégueulasse »: cela ne veut rien dire, en tout cas pas dans le sens où l’emploie le FN. L. Aliot se fait un plaisir, dans cette interview comme dans l’émission dont je parlais plus haut, de rappeler, à grands coups d’argument d’autorité, que l’expression existerait bel et bien et serait employée par les médecins. (Marine Le Pen fait de même, en disant par exemple: «Les avortements de confort, un terme qui a scandalisé tout le monde alors qu’il est utilisé par les médecins, semblent se multiplier»). L. Aliot fait directement référence à un article du Figaro datant de 2009, où le Dr Grégoire Moutel, responsable du laboratoire d’éthique médicale de l’université Paris-Descartes, employait cette expression. Le Dr Moutel, réalisant que le FN utilisait ses propos, a fait savoir que ceux-ci avaient été mal retranscrits à l’époque et explique notamment que l’expression « IVG de confort » ne correspond absolument pas à l’usage qu’en fait le FN:

L' »IVG de confort » est issue de la littérature médicale anglo-saxonne. (…) J’expliquais que dans des cas extrêmement rares, les professionnels se trouvaient face à des cas de conscience. Par exemple, depuis l’allongement de 12 à 14 semaines de la durée légale de l’IVG, les gynécologues pouvaient voir lors de l’échographie du troisième mois un membre malformé. Cela ne rentre pas dans les critères d’interruption médicale de grossesse, mais certains parents, grâce à l’allongement du délai, faisaient le choix d’avorter. C’est cela que j’ai appelé « avortement de confort ». Mais il n’y a pas plus de 15 cas par an alors que dans l’article du Figaro, on fait passer mes propos pour une généralité.

Le flottement du FN autour de cette expression, qui renvoierait selon L. Aliot, rappelons-le, à tous les cas d’IVG non-thérapeutique, s’explique donc. L’utilisation qu’en fait ce parti relève ni plus ni moins du mensonge.

Mais le FN a plus d’un tour dans son sac et n’en est pas à une affabulation près. On a vu en effet apparaître une variante, qui révèle peut-être encore plus clairement l’idée que le FN se fait de l’avortement: l’expression ‘« IVG en récidive » , utilisée par M. Le Pen. Attention, hein, ce sont toujours « des médecins » qui le disent:

Des médecins tirent la sonnette d’alarme sur le fait que l’IVG est utilisée par certaines femmes comme un mode de contraception, ce qu’ils appellent les « avortements en récidive ». Or, la communauté n’a pas à prendre en charge financièrement les avortements en récidive, surtout au moment où un tiers des Français ne se soignent plus, ou alors incorrectement par manque de moyens.

Si le terme « récidive » peut avoir le sens de simple « répétition », cet emploi est aujourd’hui vieilli et le sens principal est celui, issu du droit pénal, de « fait de commettre, après une condamnation définitive, une nouvelle infraction; état d’un délinquant qui a commis une nouvelle infraction » (Trésor de la Langue Française informatisé).

Alertée par cette expression qui, de plus, m’a semblé sonner bizarrement, je l’ai cherchée dans Google. Et là, ô surprise: l’expression « IVG en récidive » ne donne qu’un résultat, l’interview de M. Le Pen citée ci-dessus; quant à « avortement en/de récidive », aucun résultat. Peut-être que ces fameux médecins (mettons qu’ils existent) ont chuchoté cette expression à l’oreille de M. Le Pen et se sont bien gardés d’en faire profiter le reste du monde?

Il y a une autre formule qui semble beaucoup plaire au FN et qui apparaît dans la même interview: l’IVG serait utilisée de manière abusive par de nombreuses femmes comme « un mode de contraception« . Je me contenterai à ce propos de citer, à nouveau, le Trésor de la Langue Française:

Contraception: Emploi volontaire de moyens ou de techniques (par la femme ou par l’homme) pour empêcher que les rapports sexuels n’entraînent une grossesse; l’ensemble de ces moyens et de ces techniques.

Il me semblait pourtant que dans IVG, il y avait « interruption ». Pas « prévention ». Voilà une conception pour le moins originale de la langue et de la biologie.

Je sais, tout cela n’est guère étonnant venant du FN. Mais se contenter de dénoncer l’emploi d’une expression comme « IVG de confort » ne suffit pas, comme il ne suffit pas d’affirmer que le FN s’en prend de manière répétée aux droits des femmes. Il me semble important de montrer comment le FN manipule une partie de l’opinion publique en manipulant grossièrement la langue, et que son discours ne repose que sur cela, des approximations, des mensonges, en un mot: du vent.

Si vous ne me faites pas confiance pour faire un choix, comment pouvez-vous me faire confiance pour élever un enfant?