J’ai remarqué aujourd’hui l’affiche de la nouvelle campagne de pub de Virgin Radio:

Le slogan fait évidemment référence à une phrase connue, d’ailleurs souvent utilisée pour dénoncer le sexisme envers les femmes. Pour mémoire (ou pour info, pour les gens comme moi qui ne le savaient pas), il s’agit à l’origine du titre d’un film de Marc Allégret, sorti en 1958 (il s’agit apparemment d’une « comédie policière »).
A priori, le slogan de Virgin Radio (et c’est sûrement ce que nous sommes censés penser) semble jouer avec les codes sexistes en proposant cette petite révolution: que les femmes PARLENT. C’est raté.
D’abord, la photo choisie présente un modèle de féminité qui correspond à la première partie de l’expression, à cette injonction de beauté: « Sois belle ». Evidemment, cette photo se veut elle-même ironique, par le caractère exagéré de la pose comme de la beauté même de Katy Perry, soulignée par son maquillage et sa coupe de cheveux impeccables. (J’ai d’abord cru qu’elle était nue, mais non; ce doit être parce que les fleurs se confondent un peu avec sa robe, alors que la peau très blanche de ses bras, au premier plan, attire le regard). Comme toujours, on nous présente comme modèle de beauté une image parfaite, donc inaccessible, et non une femme. De plus, les grands yeux faussement candides, la pose de la chanteuse et sa bouche entrouverte complètent le côté charnel de l’image en la rendant clairement érotique.
Bon, Katy Perry est belle, aucun doute là-dessus. Elle est aussi censée correspondre à l’idéal de Virgin Radio, à savoir une fille jolie et qui ne se tait pas: comprenez, qui a du caractère et sait s’affirmer. Mes connaissances peopolesques étant assez limitées, je ne pourrai pas trop commenter ce dernier point, mais connaissant quand même son premier titre (« I kissed a girl »), j’imagine qu’elle a un côté provoc qui colle avec le message publicitaire en question.
Il me vient à l’esprit une autre interprétation possible, mais j’ai peut-être l’esprit vraiment mal tourné: comme il s’agit d’une chanteuse, peut-être le slogan est-il de l’humour au 3ème degré, du genre « Katy Perry ne se tait pas, puisqu’elle chante ». Mais encore une fois, je ne suis peut-être qu’une vilaine féministe.
Ce qui me pose surtout problème dans cette pub, c’est qu’elle se veut anti-sexiste alors qu’elle ne fait que perpétuer un des stéréotypes les plus ancrés dans la perception de la féminité, à savoir ce que j’ai appelé dans le titre l’injonction de beauté.
J’entends par là l’obligation faite aux femmes, à travers un ensemble de discours et d’images, de cultiver leurs « charmes », ou leur beauté, pour les plus gâtées. La laideur est stigmatisée de façon générale dans la civilisation occidentale, mais c’est d’autant plus le cas quand il s’agit des femmes. Ca ne pardonne pas. Alors, dès leur plus jeune âge, on apprend aux filles qu’elles doivent prendre soin d’elles, faire attention à la manière dont elles sont coiffées, habillées; elle ne doivent pas se salir en jouant au foot avec les garçons, d’ailleurs un garçon manqué, c’est le contraire d’une jolie petite fille, alors il faut éviter. Je n’apprendrai rien à personne en disant que les publicités sont aujourd’hui un vecteur essentiel de cette injonction de beauté; mais on n’a pas attendu les médias de masse: les poètes ont toujours loué la beauté de leur maîtresse, en agitant le spectre de la vieillesse et donc de la déchéance physique à venir.
Surtout, la grande menace, c’est celle de ne pas pouvoir plaire (aux hommes, s’entend). Car c’est là le but ultime que doivent rechercher les femmes: être belles pour être aimables, au sens de « dignes d’être aimées »; être belles pour pouvoir plaire aux hommes et être choisie, élue par l’un d’eux.
Pour revenir à l’affiche, si, chez Virgin, on avait vraiment voulu renverser les codes et traiter les clichés sexistes avec humour, on aurait imaginé une campagne sur le thème « Sois beau et ne te tais pas ». Et encore: il me semble que de plus en plus, la publicité s’empare aussi de la masculinité comme terrain de beauté à cultiver, mais plutôt sur le mode de la performance. L’injonction de beauté n’est pas l’apanage des femmes, mais c’est pour elles qu’elle est la plus insinuante et omniprésente, tant elle imprègne l’éducation et le reste de la vie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette injonction a été l’une des cibles principales des féministes de la génération MLF (cf. glossaire), alors que les années 1980, qui marquent un retrait certain des féministes, est aussi celle d’un retour, notamment pour les filles des militantes de la première heure, à une « féminité revendiquée », qui se voulait « libérée ».
Je lance là des idées que j’aurai l’occasion de développer dans de prochains posts. Je signalerai juste en conclusion que le « tais-toi » de l’expression originale est plus que le pendant de l’injonction de beauté: il correspond à un autre idéal attaché à la féminité, celui de la discrétion et de la modestie, au sens de modération, retenue. Cette retenue est l’autre Commandement fait aux petites filles dès le plus jeune âge: il ne faut pas parler trop fort, rire trop haut, il ne faut pas s’agiter comme un garçon et surtout, ne pas trop se faire remarquer. Alors, dans ce sens, Virgin a raison, et il faudrait le dire à toutes les filles: surtout, ne vous taisez pas!