La petite graine

Je vous arrête tout de suite: non, je ne parle pas de cette petite graine.

J’utilise souvent l’image de la « petite graine » pour désigner les effets du travail militant au quotidien. Il n’est pas si fréquent que, sur le moment, dans le vif d’un débat, ce travail soit gratifiant. Débattre d’un sujet qui nous tient à coeur, avec des personnes plus ou moins informées, attentives, concernées et bienveillantes, c’est très, très difficile. On n’en a pas toujours l’envie, ni le courage – et c’est normal. Avoir avalé la pilule rouge implique que vous voyez le sexisme (je parle de ce que je connais le mieux, mais évidemment ça vaut pour le racisme, les LGBTphobies, etc.) beaucoup plus souvent qu’avant, et qu’il vous devient même impossible de ne pas le remarquer, ce qui peut être épuisant en soi. Mais nous sommes nombreux et nombreuses, je crois, à avoir tendance à penser que cela nous oblige à le signaler, à en discuter; que nous ne pouvons rien laisser passer. Le sexisme, c’est une montagne de petites et de grandes choses; leur accumulation, seule, révèle son aspect systématique et le rend insupportable; on se dit alors qu’il n’y a plus de petites choses (et c’est vrai, dans un sens), et que se taire nous en rend complice.

Je noircis exprès le tableau, mais je pense que, si tu es féministe, toi qui me lis, tu t’es forcément à un moment ou à un autre posé la question: dois-je dire, dois-je faire quelque chose? Est-ce que peux laisser Jean-Edouard continuer son baratin sexiste devant les collègues? Suis-je une vraie, une bonne féministe si je ne reprends pas le marchand de fruits et légumes qui m’apostrophe toutes les semaines par un « Bonjour Mademoiselle »? (Et je ne parle que du féminisme…)

J’ai aussi beaucoup lu et entendu, depuis que j’ai commencé ce blog, des personnes dire qu’elles n’étaient pas militantes parce qu’elles ne faisaient rien, ou si peu. Ce qui n’empêchera pas Jean-Edouard et ses potes de râler sur « la féministe de service » parce que, l’autre jour, tu n’as pas rigolé à sa blague de blonde et as émis la suggestion que peut-être, pour une fois, on pourrait rire aux dépens de groupes qui ne soient pas méprisés ou opprimés.

Jean-Edouard peut râler et se moquer tant qu’il veut. Il peut même continuer à faire ses blagues sur les blondes, les arabes et les homos, puisque sa Liberté d’Expression™, l’Esprit Charlie et le destin de la Démocratie en dépendent. Mais il est probable que, la prochaine fois qu’il fera ce genre de blagues, et même les fois suivantes, il pensera à la féministe de service. Sûrement pas en bien. Mais il y pensera.

C’est cela que j’appelle la petite graine. La plus grande victoire de Mar_Lard, c’est sûrement que des types pensent à elle en faisant un énième commentaire misogyne sur la place des femmes dans les jeux vidéo; et il y en a même (si si je vous jure) qui ont fini par changer d’avis, et après l’avoir copieusement attaquée et insultée, ont fini par adhérer à ses propos.

J’ai une confidence à faire: je manque cruellement de courage quand il s’agit d’affirmer ma position dans un débat face à face. Je fais ma grande gueule ici, mais je suis timide; je serai donc la dernière à vous juger si vous n’osez pas la ramener. Vous n’en avez pas l’obligation. Je le fais généralement pour des choses qui me tiennent vraiment à coeur, mais comme je suis de toute façon cataloguée parmi mes proches et mes ami·es, je n’ai pas souvent besoin de le faire.

Je parle souvent de la « petite graine » avec ma petite soeur , qui découvre depuis quelque temps le militantisme (pas seulement féministe). J’ai employé pour la première fois cette image avec elle lors d’une discussion sur les insultes « validistes » (je n’aime pas beaucoup cette traduction de l’anglais ableist), plus particulièrement les insultes qui consistent en des noms ou adjectifs désignant à l’origine des maladies mentales (je n’aime pas traiter quelqu’un que je n’aime pas de « fou », par exemple; mais qu’on pense aussi aux emplois comme insultes de termes comme anorexique, schizophrène, autiste, triso…). J’essayais de lui faire comprendre mon point de vue, et elle n’a d’abord pas été vraiment convaincue; elle m’a dit qu’en tout cas il lui paraissait difficile de renoncer à ces termes. Je lui ai alors dit que, de toute façon, mon travail était fait: dorénavant, elle ne pourrait plus les utiliser sans penser à moi. Ca a été, et c’est toujours le cas; elle m’a même expliqué récemment avoir essayé d’expliquer le validisme à des collègues de travail. Imaginez ma fierté.

Je ne parle pas souvent ici de choses personnelles concernant ma famille, mais puisque je suis lancée, je voudrais dire un mot sur mon père. Disons, pour faire simple, que nous avons beau nous aimer très fort, nous avons de (très) nombreux désaccords, notamment politiques. Le féminisme fait partie des sujets très sensibles. Il y a quelques mois, sa mère (ma grand-mère, donc) est décédée. Mon père s’est occupé de la concession funéraire. Il m’a expliqué avoir été frappé, et profondément choqué, par le fait que presque toutes les femmes enterrées dans le même cimetière l’étaient sous le nom de leur mari, ou sous leur nom de naissance suivi de la mention « épouse Untel ». L’inverse n’existe évidemment pas. J’ai été frappée, pour ma part, non par ce fait, qui, à cause de mon bagage féministe, ne m’étonne malheureusement pas; mais par sa surprise à lui, et l’émotion qui en découlait. Il a tenu à me dire tout cela pour me montrer que, s’il l’avait réalisé, c’était sûrement grâce à moi. Et ça, croyez-moi, ça vaut tous les commentaires positifs du monde.

Féminisation = déclassement : Cher M. Compagnon

Cher M. Compagnon,

Je voudrais vous faire part de ma perplexité. Peut-être pourriez-vous m’aider, d’ailleurs. Voyez-vous, j’ai toujours voulu être prof en collège ou lycée. J’ai réussi les concours, mais ai finalement décidé de passer mon tour pour faire une thèse et enseigner à l’université. Il n’empêche que l’enseignement reste ma vocation. J’aurais été fière et heureuse d’enseigner dans le secondaire. Oh, bien sûr, cette perspective me faisait aussi peur. Ce n’est pas un métier facile, il suffit d’écouter les profs pour s’en rendre compte.

Et puis hier, voilà que je découvre une interview de vous intitulée « Professeur, un métier sans évolution ». Les connaissances qui l’ont déjà lue ont l’air très en colère. Alors je clique. Et je vois que vous êtes vous aussi, M. Compagnon, préoccupé par l’avenir du métier. Mais pas pour les mêmes raisons.

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Féminisation de la langue: quelques réflexions théoriques et pratiques

Les personnes lisant régulièrement ce blog auront sûrement remarqué que j’essaie au maximum d’éviter d’employer le masculin universel (j’explique ci-dessous ce que j’entends par là). Je voudrais tenter d’expliquer pourquoi (c’est le côté théorique) et surtout comment, par quelques réflexions liées à mon parcours sur cette question et à ma pratique comme féministe, blogueuse, mais aussi comme prof de français langue étrangère. Cette pratique est en évolution constante. Alors que j’étais d’abord extrêmement réticente, je me suis habituée à ces graphies à force de lectures et d’échanges militants, et j’aurais du mal aujourd’hui à faire marche arrière.

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Appel citoyen contre l’incitation au viol sur Internet

Je publie ici, avec quelques jours de retard, une tribune rédigée par des féministes concernant le site de « coaching en séduction » Séduction by Kamal. Je soutiens leur initiative et les remercie pour leur mobilisation. Depuis la 1ère publication de cette tribune sur plusieurs blogs, le 5 septembre, la page incriminée a été retirée. Je la publie néanmoins car son but est d’attirer l’attention sur la culture du viol et la façon dont le sexisme s’exerce sur internet.

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Le « Slut Shaming »

Cet article est une contribution de Thomas, merci à lui. Pour contribuer à ce blog, vous pouvez envoyer une proposition d’article à l’adresse cafaitgenre[at]gmail.com.

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[Les réactions violentes subies par une amie proche qui aurait eu une attitude « malsaine » et « dévergondée » à l’égard des hommes (c’est-à-dire une attitude séductrice et entreprenante tout à fait banale pour un homme, mais qui ne peut être que « malsaine » et « dévergondée » pour une femme…) m’ont inspiré cet article sur la question du « slut shaming ». Cet article ne prétend ni à l’exhaustivité ni à l’objectivité : j’ai simplement essayé de faire un compte-rendu critique de quelque chose que je ne vis pas, mais qui m’a beaucoup énervé de l’extérieur.]

« Slut shaming » est une expression anglaise, formée à partir de « slut » (« salope ») et « shame » (« honte »). Une traduction approximative pourrait être « stigmatisation des salopes ». Elle désigne le fait de critiquer et de déconsidérer une femme en lui reprochant d‘être une « salope », à cause de son comportement sexuel.

Un certain nombre de faits sont convoqués de façon récurrente : la multitude des partenaires amoureux et/ou sexuel-le-s pour une femme (dans un très court laps de temps ou pire, simultanément), une manière jugée peu discrète de parler de sa vie intime, de ses désirs et de ses fantasmes, des vêtements perçus comme « provocants », un maquillage jugé « excessif », une trop grande attention portée à la séduction etc.

Le terme de « salope » peut n’être pas employé de façon aussi directe. D’autres qualificatifs peuvent servir à proférer les mêmes accusations que celles contenues dans le mot « salope », d’une façon en apparence plus édulcorée : « provocante », « allumeuse », « prostituée / pute », « dévergondée », « fille facile » etc.

L’on voit donc que le « comportement sexuel » qui vaut à une femme l’accusation plus ou moins implicite de « salope » est à entendre en un sens très large : une personne peut être critiquée comme étant une « salope » non seulement à cause de ses pratiques sexuelles, mais aussi à cause d’une multitude de signes dans son comportement quotidien qui ne relèvent pas directement de ce qu’elle fait dans son lit, mais témoigneraient d’une attitude générale, qu’il faudrait lui reprocher.

Une courte vidéo de Sarah Sloan McLeod intitulée « Slut shaming and why it’ wrong » résume de façon claire ce qu’il importe de penser de ce type de reproches particulièrement répandus, et ce qu’elle illustre en termes d’oppression des femmes dans notre société. La vidéo étant en anglais, voici la retranscription intégrale en français, ci-dessous [cette retranscription est globalement fidèle, exception faite de quelques petits arrangements sur deux ou trois tournures de phrase] :

« Salut !
(…)
Le sujet d’aujourd’hui est : « Le Slut shaming : pourquoi c’est mauvais ».

Alors, tout d’abord, qu’est-ce que c’est que ce truc, le « slut shaming » ?

Le « slut shaming » est le phénomène malheureux qui consiste dans le fait que les gens déconsidèrent ou mettent à l’index une femme parce qu’elle porte des jupes moulantes ou des vêtements qui laissent entrevoir son corps, parce qu’elle aime le sexe, a beaucoup de rapports sexuels, ou même seulement parce qu’il court des rumeurs sur ses pratiques et son activité sexuelle.
Le message que le « slut shaming » envoie aux femmes est le suivant : le sexe, c’est mauvais, avoir des rapports sexuels avec plus d’une personne est horrible, et tout le monde te haïra parce que tu auras eu des relations sexuelles tout court.
Ce message est une connerie pure. (Oui, j’ai 13 ans et je dis le mot « conneries », oui j’ai 13 ans et je parle de « slut shaming »… Faites avec !)
Quoiqu’il en soit, si vous donnez votre consentement, si vous êtes émotionnellement et physiquement prête pour ça, si vous utilisez les moyens appropriés pour vous protéger, et si vous êtes en sécurité et relax avec votre partenaire… eh ben, le sexe, c’est bien ! Ce n’est le boulot de personne de contrôler le nombre de personnes tu as des relations sexuelles, ou la quantité de sexe tu as dans ta vie. Et tu ne mérites pas d’être déconsidérée parce que tu es sexuellement active avec plus d’une seule personne !
Le « Slut shaming » contribue aussi à la « culture du viol » ou à la « culture de soutien et d’encouragement du viol ». La « culture du viol » [dans laquelle nous vivons] est une culture dans laquelle la violence sexuelle à l’égard des femmes est monnaie courante et dans laquelle prévalent les attitudes qui tolèrent largement cette violence sexuelle. Le « slut-shaming » contribue à cela en répandant le message suivant : il n’y a pas de problème à violer des « salopes » parce qu’elles ont beaucoup trop de relations sexuelles ou qu’elles portent des vêtements moulants ou des vêtements qui laissent voir des choses, car d’une manière ou d’une autre, « elles l’ont bien cherché ».
Les viols sont causés par les violeurs, par la misogynie, par la violence structurelle de notre société à tous les niveaux, et par la tolérance des institutions vis-à-vis de ce phénomène. Pas par les vêtements ou le maquillage des femmes. Pas par la manière dont elles parlent ou elles marchent. Pas parce qu’elles boivent. Pas parce qu’elles « ne font pas assez attention ». Et sûrement pas parce qu’elles sont des « salopes ».
Sonya Barnett et Heather Jarvis [militantes féministes, co-fondatrices de la 1ère « Marche des salopes » ou « Slut Walks » en 2011 à Toronto] disaient : « Être responsables de notre vie sexuelle ne signifie pas qu’il soit normal pour nous de nous attendre à des attaques violentes, quand bien même nous aurions des pratiques sexuelles pour le travail ou pour le plaisir. » Le « slut-shaming » foule aux pieds les droits des femmes de s’exprimer sexuellement elles-mêmes sans peur d’être examinées sous toutes les coutures par les hommes et d’autres femmes, et il réduit aussi le corps des femmes à des objets.
Ce à quoi je veux arriver ici, c’est que le « slut-shaming » est mauvais à tout âge. Je connais beaucoup d’autres filles de mon âge qui commencent à traiter les autres filles de « salopes » à cause de ce qu’elles disent ou font, et cela me choque juste tout le temps ! Comment peuvent-elles utiliser un langage si agressif d’une manière si banale? C’est comme si elles ne savaient pas la signification des mots qu’elles emploient –et c’est bien ça, en fait : elles n’en savent rien. »

La démonstration de Sarah Sloan McLeod est suffisamment transparente pour qu’il soit inutile d’insister outre mesure sur ses arguments.

L’on peut simplement préciser deux ou trois petites choses.

Ce phénomène de « slut shaming » est particulièrement généralisé dans notre société, et le fait que le mot « salope » ne soit pas prononcé tel quel n’enlève rien à la violence qui s’exerce à l’égard des femmes, jeunes ou moins jeunes.

Un exemple particulièrement répandu et toléré de « slut shaming » en France est l’attitude consistant à considérer que l’habillement des jeunes filles encourage (et serait même en grande partie responsable) des viols perpétrés à leur égard.

L’on peut citer, parmi de nombreux autres exemples, Xavier Darcos, le ministre des écoles lors du mandat de Nicolas Sarkozy, répondant le 12 octobre 2003 à une question sur le port du string à l’école qu’il est « normal que l’on demande aux jeunes filles, lorsqu’elles commencent à être désirables, de faire en sorte qu’elles ne provoquent personne ». Ou encore l’exemple du député UMP Eric Raoult, affirmant ceci le 15 juin 2006 : « Les viols et les tournantes ne se passent pas par moins 30° mais surtout quand il fait chaud et quand un certain nombre de petites jeunes filles ont pu laisser croire des choses ». Un des exemples les plus clairs est aussi celui de la baronne Nadine de Rotschild, affirmant en mai 2009 dans l’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier que « quand on voit aux sorties d’école les jupes portées par les filles, après on s’étonne de voir des viols… Mais c’est la vérité ! Lorsqu’on vous voit aujourd’hui, on n’a qu’une envie c’est de mettre la main aux fesses », approuvé comme il se doit par le merveilleux Eric Zemmour.

Une telle attitude est bien entendu abjecte. En effet, elle considère comme évidente et naturelle la violence physique des hommes envers les femmes et plutôt que d’essayer de la combattre, fait des victimes de cette violence généralisée dans notre société les vraies coupables. C’est bien ce que montre le propos d’Eric Raoult : il y a des personnes qui agressent sexuellement des jeunes filles (mais ça c’est normal, et puis c’est aussi de la faute de la température…) et ce sont les « salopes » de jeunes filles qui sont coupables de se faire agresser parce qu’elles n’ont pas fait attention. C’est une inversion complète : les victimes de violences deviennent coupables de ne pas avoir fait assez attention à provoquer les hommes qui, naturellement, sont dans leur bon droit s’ils ont eu envie de commettre des viols (après tout c’est dans leur nature, tout homme qui voit un morceau de chair a envie de la pénétrer et de traiter de « salopes » celles qui s’y refusent).

Un tel raisonnement est utilisé par certains pédophiles ou par des personnes qui veulent banaliser des actes pédophiles, celles-ci affirmant que les enfants « font croire des choses ». En ce qui concerne la pédophilie, personne n’accepte un tel argument car tout le monde sait bien qu’une agression sexuelle envers un mineur n’est autorisée par rien et que lui arracher des relations sexuelles est condamnable quelles que soient les circonstances. Mais en ce qui concerne les femmes, il n’est visiblement pas gênant d’utiliser ce type d’arguments consistant à accuser les victimes d’agressions sexuelles de s’être comportées comme çi ou comme ça, et à pardonner les coupables d’avoir exercé leur violence à l’égard de personnes qui n’avaient rien demandé, quelle que soit leur attitude, leurs vêtements ou leur façon de parler.

Il faut aussi remarquer sur ce point qu’une telle attitude empêche de combattre le sexisme réel et général dans notre société. En effet, en se focalisant sur les jeunes victimes qui seraient coupables des violences qu’elles subissent parce qu’elles ont le tort de croire qu’elles peuvent se balader à tout endroit et à toute heure habillée de la façon qu’elles souhaitent, l’on considère de ce fait comme normal que les hommes, eux, puissent réellement se déplacer sans crainte, à toute heure, et avec les habits qu’ils souhaitent porter, ce qui contribue évidemment à la perpétuation de la domination masculine générale dans notre société. En somme, il y a des libertés qui sont perçues dans notre société comme normales ou tolérables lorsqu’il s’agit des hommes, et provocatrices voire obscènes lorsqu’il s’agit des femmes (Exemples : le fait de boire beaucoup lors d’une soirée, le fait d’avoir plusieurs partenaires dans un laps de temps court ou simultanément, le fait de se mettre torse nu…).

Pourtant, le « slut shaming » peut quelquefois prendre le masque étonnant de la dénonciation anti-sexiste. En gros, le propos est le suivant : la mode, la télé-réalité, les médias en général inciteraient les femmes à penser qu’elles doivent être habillées de façon sexy, et être toujours sensuelles et séductrices jusque dans le moindre de leur geste. Du coup, traiter certaines femmes de « salope » serait quasiment un acte de bravoure féministe, dans la mesure où l’on mettrait ces femmes aliénées en face de leur connerie, elles qui sont incapables de se forger une identité « féminine » réelle et préfèrent reprendre à leur compte toutes les images stéréotypées et sexistes des femmes à la télévision et dans la publicité1.

Une telle bizarrerie appelle quelques brèves remarques2.

Tout d’abord, traiter des femmes de « salope » au prétexte qu’elles seraient « aliénées » par la télévision, les magazines dits « féminins » ou n’importe quoi d’autre, est ouvertement contradictoire. En effet, l’on considère par là d’un côté qu’elles sont des personnes opprimées et manipulées par la société qui leur fait ingurgiter n’importe quoi (bref : des victimes inconscientes), et de l’autre qu’elles sont quand même suffisamment perverses pour reprendre à leur compte ces injonctions à être perpétuellement sexys (bref : des coupables méprisables). Cet illogisme montre qu’un tel propos n’est rien d’autre qu’une violence stigmatisante qui s’exerce toujours de la même manière contre les femmes. Pour ma part, j’ai surtout entendu ce type d’attaques de la part d’amis hommes, ce qui ne me semble pas très étonnant : exercer une violence à l’égard de certaines personnes de son entourage, en leur ôtant tout moyen de se défendre (parce qu’on ne veut que leur bien, on est de leur côté !), et tout en se donnant bonne conscience, est beaucoup plus appréciable que de passer d’emblée pour un réac’ misogyne.

Par ailleurs, il est certes indéniable que la « sexualisation » systématique des femmes dès le plus jeune âge3, qui présente ces dernières comme des objets sexuels à la disposition des hommes est un aspect flagrant parmi tant d’autres du fait que nous vivons dans une société écrasée par la domination masculine : les femmes sont effectivement sommées, dès l’enfance, de se conformer à un modèle esthétique unique qui leur est présenté, et qui semble n’avoir été construit que pour le plaisir et le bénéfice des hommes. Le caractère envahissant de ces représentations dans notre société a ainsi indéniablement des effets sur la manière dont les femmes peuvent se percevoir elles-mêmes, et la manière dont les hommes ont généralement tendance à les considérer.

Mais il est tout aussi certain que dénigrer et punir les personnes qui ont un rapport à leur corps, à leurs vêtements, à leurs paroles, à leurs désirs, façonné par les modèles sociaux dominants de leur époque, de l’endroit où elles vivent, ou par leur histoire personnelle et familiale est une aberration stupide et incompréhensible car nous sommes tou-te-s déterminé-e-s par la société.

En résumé, s’attaquer à des personnes qui semblent avoir intériorisé un certain nombre d’injonctions sociales vis-à-vis de leur corps ou de leur comportement :
1- est contradictoire, car l’on dénigre et humilie une personne dont l’on estime en même temps qu’elle est une victime inconsciente,
2- est idiot, car une telle accusation repose sur l’idée implicite que certain-e-s sont libres comme l’air et ont le monopole de la lucidité et de l’indépendance d’esprit alors que d’autres sont bêtement déterminées par la société dans ce qu’elles ou ils font… Or comme toutes nos actions, pensées, et manières de percevoir sont construites socialement, il est incompréhensible d’accuser certaines personnes en particulier de ce qui est le lot commun de toute personne qui vit en société, y compris de ceux (ou celles) qui se croient naïvement en-dehors de toute domination sociale4.
3- est destructeur, car l’on rajoute aux oppressions diverses produites par notre société une violence supplémentaire, celle de la moquerie, de l’humiliation, et des attaques stigmatisantes qu’elles sont contraintes de subir.

Ce n’est donc pas en tapant sur certaines femmes que l’oppression que les bienveillants punisseurs et autres « slut-shamers » croient discerner disparaîtra. La meilleure manière de procéder consiste très probablement, en particulier si l’on est un homme5, à arrêter de casser les pieds aux femmes que l’on juge opprimées parce qu’elles se comporteraient de telle ou telle façon et à balayer devant sa porte6.
Je tiens aussi à attirer l’attention sur ce qui me semble être une erreur à ne pas commettre : le fait de supposer spontanément que la « salope » stigmatisée est forcément une jeune femme. En somme, quand l’on cherche à dire qu’une femme ne mérite pas le qualificatif de « salope », il me semble que l’on pense tout de suite à une jeune femme dans la rue qui porterait des vêtements moulants, un string, ou des talons aiguilles et qui serait dénigrée pour cela. J’ai en effet l’impression que c’est l’acception principale du terme « salope », et que, comme je l’ai indiqué, les jeunes femmes subissent particulièrement le « slut shaming ». Cependant, je crois que la stigmatisation des femmes plus âgées comme étant des « salopes » est aussi très importante. En effet, elles cumulent à la « putasserie » qui caractériserait toute femme qui souhaite s’habiller, désirer ou avoir des relations sexuelles comme elle l’entend, « l’indécence » de la personne âgée qui refuserait « d’assumer son âge » (d’après ce que j’ai cru comprendre, assumer son âge = après la ménopause, fini le plaisir, il ne reste plus à la femme inapte à procréer qu’à attendre la mort). Je pense ainsi que le terme de « cougar », terme dont l’équivalent masculin n’existe pas, n’est qu’un synonyme implicite de « salope » ; en effet, je ne vois vraiment pas pourquoi un terme spécial existe pour désigner les femmes plus âgées qui ont des relations affectives et/ou sexuelles avec de jeunes hommes. Cela n’est à mon sens qu’une manière de désigner et de dénigrer les femmes qui ne correspondent pas à ce que leur condition de femme devrait « normalement » leur imposer : rester dociles et silencieuses en attendant le prince charmant, et ne rien faire qui puisse laisser penser qu’elles ont l’intention d’avoir une vie relationnelle et sexuelle passé la date limite d’utilisation de leur utérus. En somme, il est « normal » qu’un homme âgé soit en couple avec une jeune femme –mieux, on remarque par là qu’il « a du succès » ou qu’il « est bien conservé » – alors que la séduction d’un jeune homme par une femme plus âgée est au mieux présentée comme une fantaisie de riche héritière ou de star hollywoodienne. Qui plus est, il y a là aussi quelque paradoxe à stigmatiser certaines personnes sous prétexte qu’elles chercheraient de façon « immature » à rester perpétuellement jeunes. En effet, il n’est un secret pour personne que les femmes âgées ne correspondent pas au modèle esthétique dominant censé s’imposer aux femmes en général : l’on peut donc légitimement supposer que c’est la société dans son ensemble qui n’a pas compris que la vieillesse n’était pas une maladie7. De ce fait, stigmatiser certaines personnes âgées parce qu’elles chercheraient à « rester jeunes » relève du même procédé absurde et destructeur dénoncé dans le paragraphe précédent.

En dernier lieu, il va de soi que la stigmatisation de toutes ces « salopes » qui franchiraient les limites de la décence, se manqueraient de respect à elles-mêmes, ou pousseraient au viol les pauvres hommes pulsionnels ne sert qu’à un but : contraindre les femmes à ne pas faire ce qu’elles veulent faire et à rester bien subordonnées à ce qu’on attend d’elle. C’est ce qu’il est facile de remarquer par le caractère contradictoire des injonctions qui leur sont imposées : de toute façon, elles seront toujours perdantes quoiqu’il arrive. Si elles portent un string ou une mini-jupe, elles sont des « salopes » pousse-au-crime et il faut leur interdire de se découvrir ainsi, c’est honteux. Si elles portent un bandeau dans les cheveux ou un voile, elles sont « dominées » par les hommes, prisonnières de leur « culture » et il faut leur interdire de se couvrir ainsi, c’est honteux.

Il est totalement illusoire de penser qu’un « juste milieu » existe pour une femme qui ne serait ni trop « salope », ni trop « coincée », mais « juste ce qu’elle est », « naturelle ». Ce juste milieu changera selon les contextes, selon les personnes avec qui elle sera en contact, selon les tâches qu’elle effectuera, et il n’est pas une personne « décente » et « pudique » pour sa famille qui ne peut être jugée « renfermée » ou « frustrée » par ses ami-e-s ou à son travail, de même qu’il n’est pas une personne « féminine » et « charmante » pour ses ami-e-s qui ne peut être considérée comme « tape à l’œil » ou « indécente » par son amant-e ou son milieu professionnel.

L’accusation perpétrée envers les femmes dont on juge qu’elles ne trouveraient pas le « juste milieu » dans leur manière de parler, de s’habiller ou de séduire, ne sert qu’à culpabiliser celles qui ne parviennent pas à comprendre et à concilier ce que leurs entourages semblent réclamer d’elles et ce qu’elles devraient faire concrètement pour leur plaire en toutes circonstances. Or, il est tout à fait compréhensible qu’elles n’y arrivent pas car c’est impossible8.

Le problème, ce n’est donc pas que les femmes ne sont pas assez « flexibles » pour s’adapter à ce à quoi elles devraient ressembler en toutes circonstances, ni trop ceci ni trop cela mais attention, au moment où il le faut et avec les personnes qu’il faut…

Le seul problème réel, c’est que la société (et plus spécifiquement la gent masculine) se sent autorisée à dicter aux femmes ce à quoi elles devraient ressembler pour être présentables, et refuse de leur foutre la paix.

Exiger des femmes qu’elles soient « elles-mêmes » au lieu de ressembler à des « salopes » ou à des «filles coincées », ce n’est qu’une manière pudique de les enjoindre à être telles que notre société dominée par les hommes souhaite qu’elles soient, point barre. Et comme les hommes ne sont pas des robots interchangeables mais peuvent vouloir que les femmes aient du maquillage (ça fait sexy) ou n’en aient pas (ça fait naturel), aient les cheveux longs (ça fait princesse) ou les cheveux courts (ça fait rebelle), cette gymnastique qui consiste à exiger des femmes qu’elles soient dans un « juste milieu » par rapport à ce qui sera apprécié est vouée à l’échec et ne fait que les opprimer avec un bonus « c’est-de-ta-faute-si-tu-n’y-arrives-pas ». C’est bien ce qu’indiquent les propos prononcés par la baronne Nadine de Rotschild à la fin de la vidéo mentionnée ci-dessus : « vous savez mesdemoiselles, vous êtes de très jolis paquets cadeaux. Vous avez autour de vous un ravissant ruban qui vous entoure. Alors ne défaites pas ce ruban qui est magnifique trop tôt ». On voit bien ici, premièrement, que l’on peut toujours ramer pour savoir quel est le critère du « bon moment » (auxquels peuvent s’ajouter d’autres critères : la bonne manière, la ou les bonne-s personne-s…), et l’on peut soupçonner qu’il y a de grandes chances que cela soit toujours trop tôt ou trop tard… Et deuxièmement, bien sûr, les femmes sont des « paquets cadeaux » destinés aux hommes, et c’est donc en vertu de ce statut formidable qu’elles devraient essayer d’être « elles-mêmes », « naturelles » et pas des « salopes » : au service des hommes.

L’on voit ici, exprimé très clairement, l’arrière-fond patriarcal de ce type d’injonction.
Et l’on comprend donc bien que le réel problème dans toute cette histoire de « slut-shaming », c’est que les femmes sont stigmatisées dès lors qu’elles emmerdent les hommes, n’ont pas envie d’être des paquets cadeaux, s’habillent, parlent, désirent et couchent comme bon leur semble, avec les personnes qui leur importent, de quelque genre qu’elles ou ils soient.

La solution est donc encore une fois très simple. Lorsque l’on voit une femme qui a l’air de se comporter comme une « salope » ou qui semble être trop « dévergondée », ou à l’inverse « pas assez libérée », ou trop « négligée », et que l’on a très envie d’aller le lui dire afin qu’elle s’améliore, pour qu’elle arrête de « jouer un rôle » ou d’être « excessive », ou afin qu’elle se « mette plus/moins en valeur » et qu’elle soit vraiment « elle-même » au lieu de « se manquer de respect », « belle » sans être « tapageuse », « séduisante » sans être « racoleuse », « pudique » sans être « frigide », voici la démarche à adopter : prendre son courage à deux mains, une bonne inspiration pour se donner du courage, et fermer sa grande bouche.

Un petit rappel nécessaire, pour finir.

Une déformation raciste particulièrement poussée dans la société française pourrait inviter à ne considérer le « slut-shaming » , voire les manifestations de sexisme en général, que comme le fait de petits « caïds de banlieue », probablement parce que l’on suppose qu’ils sont enfants d’immigrés maghrébins, probablement parce que l’on suppose qu’ils sont musulmans, et probablement parce que l’on suppose que leur « culture » va à l’encontre des « valeurs » (typiquement françaises, paraît-il) de l’émancipation des femmes et de la liberté9. Ce sont eux qui seraient exclusivement responsables des phénomènes de « slut shaming » et qui mériteraient donc d’être, eux seuls, condamnés pour cela10. Il va cependant de soi qu’une telle perception est un leurre total. En effet, l’on fait par là même l’impasse sur le fait que les personnes dont on parle (les jeunes « beurs » parce qu’il s’agit toujours d’eux…) sont nées en France, y ont été éduquées, et que le sexisme de certains de ces individus quand il se manifeste, est très certainement le produit de la société française elle-même, bien plus que le résultat d’une influence de la « culture d’origine » d’un pays où ils n’ont pas grandi. Se focaliser sur les exemples de domination masculine dans les « banlieues » effectués par d’effrayants « jeunes à capuche » a ainsi pour effet de faire croire que le sexisme ne se concentre que dans certaines parties du territoire français, et ne concerne que certaines parties de la population. Une telle focalisation permet donc à la fois d’éviter à la société française dans son ensemble de reconnaître et de combattre son propre sexisme, et en même temps de perpétuer la domination raciste envers les personnes immigrées et leurs descendant-e-s.

Pour parvenir à un tel résultat, il est donc nécessaire
-de faire de certaines personnes des étranger-e-s à l’intérieur du territoire français, en utilisant un procédé raciste consistant à faire de leurs réactions des produits de « leur culture »
-de considérer les autres comme de purs individus totalement exonérés de toute influence sociale, et qui eux, nagent onctueusement dans le règne de la Raison, de la Liberté et de l’Universalité.
La focalisation sur le « slut shaming » et les violences sexistes perpétrées par quelques individus issus d’une catégorie bien particulière de la population (les descendants d’immigrés ou présumés tels simplement parce qu’ils vivent en « banlieue ») semble bien être un écran de fumée, qui a pour effet de rendre inattentifs à l’ampleur des violences sexistes dans la totalité de la société.

Ce petit rappel va sans dire mais il va tout de même mieux en le disant.

La chercheuse et militante Christine Delphy effectue sur ce point toutes les clarifications nécessaires dans un article intitulé « La fabrication de l’Autre par le pouvoir ».

    La vérité n’a pas pu être dite. Pourtant elle est simple : l’ensemble des cultures qu’on peut identifier aujourd’hui sur le sol européen sont des cultures qui reposent sur des structures sociales et des idéologies patriarcales et qui engendrent des comportements individuels sexistes. [Note de l’auteure : Par « cultures » j’entends les pratiques et les discours des personnes, regroupées objectivement ou subjectivement en fonction de leur appartenance de genre, de classe, de race, de sexualité, d’âge ou d’autres critères.]

Certains pensent que les Arabes et les Noirs sont plus sexistes que les Blancs ; mais mesurer le sexisme d’un pays pour le comparer à celui d’un autre, a fortiori comparer deux provinces ou encore deux types de population exigerait la mise au point de définitions du sexisme : parle-t-on par exemple du degré de liberté des femmes, de leur degré d’indépendance économique, ou du « machisme » perçu des hommes, ou encore de tout cela à la fois ? Or il n’existe pas d’accord sur la définition du sexisme, , donc encore moins sur les méthodes qui permettraient de le mesurer. Tant que nous sommes dans l’incapacité de mesurer le sexisme d’un groupe ou d’une nation, il faut assumer qu’à l’intérieur d’un même pays, où les grandes structures patriarcales, économiques et légales sont par définition les mêmes, les variations idéologiques et de comportements individuels ne peuvent être grandes ; il faut assumer que les Noirs et les Arabes ne sont pas moins sexistes que les autres, mais aussi, par voie de conséquence, qu’ils ne le sont pas plus.

Je sais que cette assertion va à l’encontre de la perception ordinaire au sein de la population, y compris chez les sociologues. Cette perception est que les Africains en général sont plus sexistes que les « Occidentaux ». C’est cet a priori qui s’exerce à l’endroit des personnes d’origine africaine, quand bien même elles sont nées et ont été élevées en France ou dans un autre pays occidental. Mais nous portons sur ces personnes un regard qui, au lieu de chercher les ressemblances entre elles et les autres Français, cherche les différences : suppose, cherche et trouve des différences, et les met en valeur au détriment des ressemblances.

Ces différences peuvent exister ou être fantasmatiques, ou les deux à la fois. C’est une chose connue, mise en évidence par Letti Volpp [dans son article intitulé « Quand on rend la culture responsable de la mauvaise conduite », paru en 2006 dans Nouvelles Questions Féministes Vol. 25, No. 3, « Sexisme, racisme, et postcolonialisme »] que le même comportement est attribué dans le cas d’un homme blanc à sa psychologie individuelle et dans le cas d’un homme « de couleur » à sa « culture étrangère », ou plutôt présumée étrangère en raison de la nationalité de ses parents ou grands-parents. Dès lors que le sexisme est attribué, via une origine nationale ou ethnique « étrangère », à une culture également étrangère, le sexisme de l’individu est vu comme appartenant à cette culture étrangère, et il est plus mis en relief, plus remarqué que le sexisme ordinaire de notre propre culture, car la culture propre d’une personne, fût-elle sociologue, tend à être naturalisée, à n’être pas vue comme une culture ; le sexisme ordinaire qui fait partie de cette culture tend par conséquence à être minimisé, voire ignoré, comme élément culturel.

Un exemple de cela est que l’assassinat de femmes arabes ou musulmanes, à coups de pierres ou par le feu, par des hommes arabes ou musulmans, nous semble plus horrible que l’assassinat d’une femme blanche par un homme blanc à coups de poing. Nous n’approuvons jamais le meurtre, mais certaines méthodes — le feu, les pierres — nous semblent plus horribles que tuer à mains nues, parce que cette dernière méthode est courante en Occident. Le résultat — la mort — est le même, mais les jurys appliquent des peines beaucoup plus lourdes aux meurtres commis avec des méthodes exotiques qu’aux meurtres commis à mains nues. Cette dernière technique de mise à mort est implicitement vue comme une réaction « humaine », « spontanée », due à un état émotionnel lui aussi « humain » et « spontané » : battre à mort — qu’il s’agisse des gestes ou de l’état émotionnel où doit se mettre le meurtrier pour les accomplir — est vu comme « ordinaire », « pouvant arriver à tout le monde », faisant partie des extrêmes auxquels tout individu peut être conduit dans sa vie, auxquels il peut être conduit par la vie. Ainsi les meurtriers de femmes, tant qu’ils sont « de souche », sont-ils vus comme les protagonistes d’un « drame passionnel » si ce sont des amants ou des maris ou comme des « monstres » (des fous) si ce sont des inconnus, et toujours comme des individus. Les meurtriers non « de souche » sont vus comme des marionnettes — interchangeables — agies par les superstitions archaïques de leur culture. On n’a pas besoin de psychologie avec eux : il suffit de dire : « Ils sont turcs ».

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Pour aller plus loin :
Transcription en anglais de la vidéo de Sarah Sloan McLeod « Slut shaming and why it’s wrong »
Un article de Lady Dylan dans Madmoizelle, contenant la vidéo de Sarah Sloan McLeod « Slut shaming and why it’s wrong »
Vidéo de Laci Green dans Sex + sur le « slut shaming » [sous-titres français disponibles]
– Article de Sophie Heine dans la revue Politique intitulé « Apparence physique, les femmes sont toujours perdantes »
-Article de l’auteure du blog Les questions composent, sur le viol, intitulé « Les victimes coupables. Yaka et Yakapa au dur pays de la réalité »
– Article de l’auteure du blog Les questions composent intitulé « Pourquoi porte-t-elle un petit short au ras du bonbon pour faire son jogging ? »
-Article de l’auteure du blog Crêpe Georgette intitulé « Comprendre la culture du viol « 
-Article de l’auteure du blog Crêpe Georgette intitulé « Psst » [sur l’inégalité entre les hommes et les femmes dans la perception de la manière dont elles et ils s’habillent]
-Article de AC Husson sur Genre intitulé « Parler du viol : la parole des victimes » [dernier d’une série de 3 articles sur le viol, celui-ci s’intéresse à la difficulté pour les victimes d’être entendues lorsqu’elles parlent de leur agression]
-Article de Pierre Tévanian dans Les mots sont importants effectuant la critique des propos de Xavier Darcos mentionnés dans cet article
-Documentaire de Sophie Bissonnette sur l’ « hypersexualisation » des femmes, en particulier dans la publicité, et son impact sur les enfants
-Article de Christelle Hamel intitulé « De la racialisation du sexisme au sexisme identitaire » (portant notamment sur l’attribution exclusive du sexisme aux descendant-e-s d’immigré-e-s maghrébin-e-s en France)
-Article de Christine Delphy sur l’intersection du féminisme et de l’antiracisme

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Sur les Slutwalks :

Les « slutwalks », ou « marche des salopes » sont des défilés de femmes revendiquant leur liberté de s’habiller et de vivre comme elles le désirent, en particulier en ce qui concerne ce qu’elles font de leur sexualité. La première marche de ce type visant à lutter contre le « slut shaming » a eu lieu pour la première fois en 2011 à Toronto.

La question à 1000 euros (que je n’ai pas abordé et ne résoudrai pas) concerne la réappropriation positive du terme « salopes » qui est effectué dans les « slutwalks » par les femmes qui manifestent, et ainsi, la pertinence ou non, en termes de stratégie militante, de défiler éventuellement en petite tenue et en affirmant que l’on est fière d’être une « salope ».

Etant un homme cis11, et étant donc à l’abri de tout « slut shaming » me concernant, je pense n’avoir aucun avis pertinent sur cette question-là. En effet, je n’ai jamais eu à me la poser, et je ne peux de toute façon pas me la poser avec autant d’acuité qu’une personne qui se fait traiter (ou pourrait un jour se faire traiter) de « salope ».

La seule lapalissade que je me sens fondé à dire là-dessus est la suivante.

Les contorsions stratégiques auxquelles sont en proie les groupes féministes pour savoir si l’écho rencontré par une « marche des salopes » sera préférable à d’autres actions qui attireraient moins l’attention des médias dominants ou bien sera préjudiciable à leur dénonciation du « slut shaming », ou encore s’il est judicieux de retourner un stigmate patriarcal contre la société qui l’a produite, ne font que témoigner de la puissance dramatique de la domination masculine dans notre société : pour chercher à être entendues, les féministes sont contraintes de faire preuve d’une hyper-vigilance extraordinaire dans leurs moindres faits et gestes, alors que le premier huluberlu masculiniste qui grimpe sur une grue est reçu par le gouvernement dans les trois jours12

Quelques liens sur les « slutwalks »:
Site officiel de la « Slutwalk » de Toronto
Site officiel du « mouvement Slutwalk » en France
Une présentation et une description des « slutwalks » par Marie Desnos dans un article de Paris Match [l’article présente le contexte de la manifestation de 2011 à Toronto et présente de façon élogieuse les mouvements « Slutwalk »]
Une lettre ouverte des Black Women’s Blueprint aux organisatrices de la Slutwalk de Toronto [elles saluent l’initiative mais affirment ne pas vraiment s’y reconnaître, et doutent de la pertinence de la réappropriation du terme « slut » – en particulier parce qu’elles luttent pour que l’on cesse de considérer les femmes noires comme des femmes « chaudes » avec quiconque]
-Un article de l’auteure du blog Journal en noir et blanc intitulé « Femen, Slutwalk, le féminisme ‘nouvelle génération’ ? » [L’article présente les revendications portées par ces mouvements, les questions ou réserves qu’ils suscitent, et affirme que de toute façon, les féministes auraient toujours tort quoi qu’elles fassent]

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Notes


1 En voici un exemple, dans un article du blog « Les sales gosses » où l’auteure défend l’idée qu’elle se fait du féminisme (^)


2 Cet article de Sylvie Tissot me paraît très éclairant sur le sujet. Il ne porte pas exactement sur le « slut-shaming » mais sur le sexisme de militants qui luttent contre les publicités sexistes, et mon argumentation ici s’inspire directement de ce qu’elle dénonce dans cet article. (^)


3 Une petite vidéo présentant une accumulation de publicités sexistes; photos du catalogue de « Jours après Lunes », été 2011. (^)


4 Par exemple, un homme qui pourfend l’influence néfaste de la télévision, de la publicité, des magazines féminins, des clips (etc…) et qui s’en sert pour traiter de « salopes » ou de « connes sans cervelles » celles qui se réfèrent aux modèles féminins proposés par tous ces médias ne se demande jamais en quoi est-ce qu’il contribue lui-même à perpétuer cette situation qu’il dénonce en apparence : en faisant des remarques à sa copine sur le fait qu’elle devrait « se faire belle » pour lui, en faisant (ou en riant) des blagues sur les gros-se-s ou sur les personnes considérées comme « moches » , en trouvant bizarre qu’une femme sorte avec un homme plus âgé, en consommant des films pornographiques… Par ailleurs, l’idée qu’il soit lui-même « aliéné » par un modèle dominant de ce que devrait être « un homme », modèle qui lui procure tout un tas d’avantages sociaux, et auquel il est sommé de se conformer le plus possible (comme l’indique cet article de l’auteure du blog Crêpe Georgette) lui passe bien sûr totalement au-dessus de la tête. (^)


5 Dans cet article, je me focalise sur les hommes pour deux raisons principales.
1- J’ai vu cette stigmatisation presque systématiquement effectuée par des hommes, ce qui ne me semble pas très étonnant… En effet, comme je cherche à le montrer dans cet article, ce type d’attaques entérine l’idée que ces derniers ont le droit de vivre et de se déplacer comme ils l’entendent alors que le corps des femmes n’existerait qu’en tant qu’objet de désir destiné à leur regard, objet qu’il faudrait pour cette raison surveiller et contrôler. Ainsi, critiquer également les hommes et les femmes revient à mon avis à faire comme si ces dernières tiraient le même bénéfice que les hommes de cette stigmatisation, ce qui relève de la mystification la plus grossière.
2- Je pense discerner plus exactement la manière dont les hommes peuvent stigmatiser des femmes sans aucun scrupule, voire sans s’en rendre compte : en effet, en tant qu’homme, j’ai vu tous ces travers très régulièrement chez beaucoup de mes amis, et j’ai moi-même longtemps cru et adhéré aux discours vomitifs que je dénonce dans cet article (en tout cas, suffisamment pour ne pas être choqué en les entendant, durant des années)… Mais en ce qui concerne les femmes, je préfère ne pas risquer d’hypothèses car je ne comprends pas bien comment certaines femmes peuvent par moments reprendre à leur compte ce type d’insultes patriarcales, et je ne veux pas dire de bêtises à ce sujet. En tout cas, je suis convaincu que l’on ne peut pas considérer comme identiques les mécanismes qui amènent la plupart des hommes et certaines femmes à tenir ce genre de propos stigmatisants, tout simplement parce que les hommes et les femmes ne subissent pas les mêmes contraintes, ne sont ni perçu-e-s ni élevé-e-s de la même façon, et que contrairement aux hommes, les femmes, elles, sont des victimes –au moins potentielles– de cette stigmatisation. De ce fait, je pense que mon point de vue masculin m’empêche de comprendre clairement ce phénomène là, et c’est aussi pour cette raison que je préfère ne pas m’y attarder.
Voilà pourquoi je concentre ici mes critiques sur les hommes, et ne me sers de propos de femmes (la baronne de Rotschild) qu’à titre d’illustration. (^)


6 L’auteure du blog Les questions composent explique ce dernier point d’une façon beaucoup plus précise et convaincante que moi, dans ce superbe article intitulé « Mépris et misogynie ordinaire » (^)


7 Parmi de nombreux autres exemples, on peut se référer à cette tribune rédigée par Pascale Senk parue dans le Monde, et disponible ici sur le site de l’Observatoire de l’Âgisme. P. Senk explique comment la quasi-totalité des journaux féminins français qu’elle a contacté a refusé de publier un article intitulé « L’art de vieillir », contenant des interviews de nouveaux retraités partageant leur expérience, car « on ne peut pas parler comme ça de la vieillesse à nos lectrices ». On peut lire aussi avec intérêt cette interview de Geneviève Sellier qui pointe les inégalités flagrantes (en termes d’âge) pour les rôles au cinéma entre les hommes et les femmes. (^)


8 Un exemple caricatural de cela est fourni par le port de la jupe au collège. Interdite parce qu’elle est trop courte et manifestement provocatrice, et aboutissant à l’exclusion d’une élève parce qu’elle est trop longue et manifestement oppressive. Ces distinctions entre jupe sexy, jupe islamique, jupe qui libère trop et jupe qui enferme, jupe de « salope » et jupe de musulmane qui constitue « un danger », sont pathétiques. On attend toujours la circulaire du ministère de l’éducation définissant la longueur, le tissu et la couleur de la jupe républicaine, décente et laïque. (^)


9 Les « jeunes de banlieue » sont en effet des entités mystérieuses dont on suppose de façon fantasmatique qu’ils sont tous musulmans et d’origine maghrébine et par conséquent (?!), sexistes, violents, bref très dangereux à la différence des autres « vrais » français… Ce délire consistant à assigner arbitrairement de telles caractéristiques à la catégorie floue des « jeunes de banlieue » peut aller très loin dans l’absurde et le ridicule, un exemple rocambolesque étant fourni ici par le sublime Robert Ménard, affirmant dans cette émission-débat de février 2013 (à partir de 23’25) qu’ « 1 enfant sur 2 qui naît en Seine St-Denis est musulman, d’après les statistiques »… (^)


10 Les conditions de vie des femmes sont en effet censées être catastrophiques « dans les cités » (c’est-à-dire seulement là, et nulle part ailleurs), et il y a fort à parier qu’une femme se faisant traiter de « salope » à la télévision ne l’est pas par un ministre ou un député mais généralement par un « jeune de banlieue » dans un reportage… Un petit exemple de dénonciation du « slut shaming » attribué exclusivement à des « jeunes de banlieue » ici, dans un journal télévisé de France 2. Un exemple plus flagrant est constitué par le reportage « La cité du mâle » dont l’unique angle d’approche est la dénonciation des violences dans « les cités » et en particulier en Seine-Saint-Denis où une jeune femme, Sohane Benziane, a été brûlée vive par son compagnon. Le sexisme des hommes que l’on voit dans le reportage est réel et évidemment condamnable, mais le reportage fait explicitement de ce sexisme l’apanage de « la barbarie machiste qui sévit dans les cités », alors que la quasi-totalité des propos nauséabonds et des idées sexistes défendues par la plupart des intervenants de ce reportage auraient certainement pu être constatés n’importe où ailleurs dans notre société (voir la critique de ce reportage effectuée ici par Mona Chollet) . (^)


11 Une personne « cis » ou « cisgenre » (du préfixe latin signifiant « du même côté ») est une personne pour qui il n’existe pas de conflit apparent entre le genre qui lui est assigné dès la naissance par la société en fonction de ses organes génitaux, et celui par lequel elle se définit elle-même. Exemple : je suis né de sexe masculin, je suis perçu et considéré socialement comme étant « un homme », et je me vis et me définis moi-même comme étant un «homme ». (^)


12 Voici un article d’Aurélie Fillod-Chabaud sur ce sujet, décrivant la complaisance avec laquelle cette initiative masculiniste a été médiatisée. (^)

Sexisme chez les geeks : Pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédier

J’aimerais préciser quelque chose. Quand Mar_Lard a publié son article sur Joystick en août dernier sur ce blog, nous avons décidé de publier tous les commentaires afin que tout le monde puisse se rendre compte de la violence des réactions. Je suggère à ceux qui voudraient réitérer ce genre d’exploits (histoire de contribuer à la démonstration de Mar_Lard, merci les mecs) de lire la charte de modération désormais en vigueur sur ce blog au lieu de perdre leur temps.

[EDIT] Devant le nombre de confusions, 2ème précision: ce blog appartient à AC Husson mais l’auteure de cette contribution est Mar_Lard. Si vous voulez la contacter par mail, je transmettrai.

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Attention, cet article inclut de nombreux exemples susceptibles de choquer : images d’une grande violence ou sexuellement explicites, insultes et propos à caractère fortement sexiste/homophobe/raciste, menaces de violences sexuelles et autres.

Six mois depuis mon coup de gueule sur Joystick, où je m’agaçais qu’un journaliste jeux vidéo se tripote publiquement la nouille en projetant ses fantasmes de sévices sexuels sur la nouvelle Lara Croft. Plus de 100 000 vues, 900 commentaires, des discussions enflammées dans toutes les communautés gamers, une polémique reprise jusque dans la presse généraliste…Un passage en particulier a déchaîné les passions : celui où j’évoque le problème bien implanté du sexisme geek. Je cite :

« il s’agit de l’insupportable tribalisme de la geekosphère qui s’applique à exclure méthodiquement quiconque n’est pas un jeune cis-homme blanc hétérosexuel vaguement cynique. (…) Les femmes et les LGBT semblent tout particulièrement insupportables »

Ce paragraphe a suscité des réactions extrêmes. D’une part, j’ai reçu de nombreux messages d’approbation mais surtout, et c’était très surprenant, de gratitude : certains sont allés jusqu’à m’écrire de longs mails pour m’exprimer leur joie de voir le problème ainsi mis en mots. Beaucoup de femmes et personnes LGBT bien sur, mais aussi – et heureusement – de jeunes hommes blancs cishétéros, des geeks de pur pedigree « acceptable » et pourtant tout aussi écœurés par l’esprit de clocher ambiant. Certains me racontent la prise de conscience subite d’un problème qui jusque là ne les affectait pas personnellement.

Et d’autre part, la prévisible levée de boucliers. Des torrents de geeks indignés de se voir ainsi « stigmatisés ». Car évidemment, pointer un problème dans une communauté dont on se revendique fièrement soi-même, c’est faire preuve de haine irrationnelle envers ladite communauté…Ne raconte pas ton expérience du sexisme, femme, les hommes risqueraient d’être mal à l’aise. Et ils le feront savoir ! Des accusations de « misandrie » ou de « racisme anti-geek » (!) aux insultes misogynes les plus crasses, en passant par les menaces de violences sexuelles…

C’est pour toutes ces personnes que j’ai compilé ce nouveau dossier : pour celles qui y reconnaîtront leur expérience, pour celles qui découvrent soudain le problème, pour celles qui refusent de le voir, pour celles qui sont furieuses à la simple idée qu’on en parle. La réalité du sexisme geek, dans le détail. Les communautés anglophones se sont emparées du sujet depuis un moment ; la récurrence des incidents ne laisse plus de place au déni. La presse spécialisée s’est sensibilisée au sexisme, des sites dédiés au féminisme geek ont été créés, même des acteurs majeurs de l’industrie commencent à retrousser leurs manches pour lutter contre la sclérose de l’entre-soi. Hélas le débat ne semble pas pénétrer les frontières françaises. Silence confortable sur l’Hexagone pour les geeks machos qui y perpétuent allègrement leurs pratiques d’exclusion. Ça suffit maintenant, « l’exception française » – il est temps d’avoir cette discussion.

Cet article a l’ambition impossible de proposer un panorama assez complet des différentes formes de sexisme sévissant dans les communautés geeks; le sujet étant extrêmement vaste et protéiforme, l’article est massif en conséquence. Il comprend beaucoup d’exemples tirés du milieu gamer, étant donné que c’est celui que je connais le mieux de par mon travail et mes loisirs, cependant il est essentiel de comprendre que les mécanismes à l’œuvre sont les mêmes dans les communautés voisines – comics, hacking, programmation, JdR, Logiciel Libre… – communément regroupées sous l’appellation « geek ». Installez-vous confortablement, on en a pour un moment.

1. Intro
2. L’industrie
3. La presse
4. La communauté
5. La « Fake Geek Girl »
6. Silenciation et intimidation
7. Phénomènes de groupes
8. Pourquoi ?
9. Qu’y faire ?

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Le problème est dans l’industrie.

J’ai déjà beaucoup parlé des représentations genrées dans les jeux vidéo. Elles ne sortent pas de nulle part ; jetons un œil à la source du problème, chez les créateurs.

Lors d’une conférence de presse, le lead designer de Borderlands 2 surnomme un mode de jeu simplifié pour débutants le « girlfriend mode » – le mode pour ta petite amie nulle aux jeux vidéo.

Fumito Ueda, directeur des merveilleux ICO et Shadow of the Colossus, explique que le héros de son prochain jeu The Last Guardian sera (encore) un garçon, car « les filles portent des jupes, et les joueurs pourraient déplacer la caméra de façon inappropriée » ; « le jeu a beaucoup de phases d’escalade, et une petite fille n’est pas aussi forte physiquement qu’un petit garçon » ; « ce n’est pas facile pour une fille de faire des mouvements acrobatiques – je trouve ça irréaliste » et enfin l’éternel « la plupart des joueurs sont des hommes, c’est plus facile pour eux de jouer un personnage masculin ». Lorsque j’ai appris ça, une de mes idoles est tombée ; mais nul besoin d’aller jusqu’au Japon pour lire des horreurs.

Le créateur français David Cage raconte dans une interview qu’il préfère écrire des personnages féminins : « Ce que j’aime avec les femmes, c’est qu’elles peuvent se battre, elles peuvent s’énerver très fort, elles peuvent être bouleversées, elles peuvent pleurer. Elles ont toute une palette. Elles ont une variété d’émotions plus large que les personnages masculins. J’aime vraiment beaucoup écrire des femmes. Ecrire Kara, par exemple, était un grand plaisir pour moi, parce qu’on pouvait vraiment passer de sa naïveté, à l’humour, puis au pleurs. Et à sa peur. Elles peuvent vraiment exprimer tout ça, alors que nous les hommes, on exprime pas tellement nos émotions en public ».
Pour ceux qui l’ignorent, Kara est un (techniquement superbe) court-métrage qui conte l’histoire d’une femme-robot. Obéissant aux ordres d’une voix masculine hors-champ, elle explique : « Je peux m’occuper de la maison, faire la cuisine, garder les enfants. J’organise vos rendez-vous. (…) Je suis entièrement à votre disposition comme partenaire sexuel. Vous n’avez pas besoin de me nourrir ou de me recharger. (…) Voulez-vous me donner un nom? » … Elle supplie ensuite pour sa vie, en larmes alors qu’elle est démantelée, et ne survit que grâce à la pitié de l’opérateur. L’écriture d’un personnage féminin…

Il n’y a pas que des créateurs isolés. Nintendo France a édité ces publicités pour New Super Mario Bros 2 :

Nintendo est une compagnie énorme. Tout un département marketing a créé et approuvé ces publicités.

Du côté de la concurrence, la dernière pub de Sony pour la Playstation Vita :

Quatre seins, pas de tête. Le sens des priorités.

Je ne croyais pas cela possible, mais la compagnie Deep Silver a fait encore plus fort en annonçant l’édition collector de Dead Island : Riptide :

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Fournie avec votre propre buste de femme, décapité et sanglant.

Quelques exemples parmi les dizaines que nous ont offert ces derniers mois. C’est incessant, invariable, prévisible – chronique. Et on l’observe particulièrement bien lors des salons, que les éditeurs n’ont cesse de transformer en véritables foires aux bestiaux à grand renfort de booth babes.

Non, ce n’est pas le Salon de l’Érotisme :
c’est les stands pros de la Paris Games Week 2011

Ah, les babes. Des jeunes filles à la plastique avantageuse en uniforme mini-mini, déployées par les éditeurs pour attirer le mâle en rut sur leur stand. Une stratégie directement piquée au Mondial de l’Automobile…y’a mieux, comme inspiration. Sans compter qu’en plus d’être sexiste, c’est aussi insultant pour les visiteurs masculins qui a priori viennent par passion du jeu vidéo, pas pour être pris pour des queutards sans cervelle…

J’ai asssisté aux ESWC 2011 (Coupe du Monde du Sport Électronique). Entre les matchs, des danseuses en petite tenue montaient sur scène pour divertir le public (sur la musique « Girls Run The World »…suprême foutage de gueule).

Et lors de la remise des médailles, les drapeaux étaient paradés par des babes en minijupe :

Et après ça vient pleurnicher que l’e-sport n’est pas pris au sérieux.

A la Paris Games Week de cette année, Square Enix a mis en scène les « nonnes sexys » de Hitman Absolutionmalgré le gros scandale provoqué par leur objectification et leur mise à mort outrageusement violente et sexualisée dans le trailer du jeu. A ce niveau, on ne peut plus parler de « maladresse » : la compagnie est tout à fait consciente des problèmes que pose son marketing, mais elle persiste et signe.

A l’occasion de la sortie du jeu Dante’s Inferno, EA a organisé le concours « Sin to Win » : commettez le péché de luxure en vous photographiant avec des booth babes ! La meilleure photo gagne « un diner et une nuit de pêché avec DEUX filles sexy, un service limousine, paparazzi et un coffre plein de trésors ». Vous avez bien lu : EA a encouragé ses fans à harceler sexuellement les hôtesses (pas seulement leurs employées, n’importe lesquelles) et leur proposait des femmes en récompense.

Les femmes qui sont là par expertise ou passion, par contre, sont volontiers traitées comme des intruses. Dans ce témoignage horrifiant et pourtant sans surprise, une journaliste de l’important magazine Kotaku raconte son expérience à l’E3, la plus importante convention professionnelle de l’industrie. Elle explique comment les responsables Relations Publiques d’éditeurs de renom l’ont invariablement prise de haut et soumise à un véritable interrogatoire malgré son badge : « Mais vous, vous ne jouez pas vraiment, si ? A des jeux PC ? A des shooters? » Comment ils lui ont ôté les mains de la borne de test : « Je crois qu’il vaut mieux que je joue pour vous ». Comment l’un d’eux, au lieu de lui parler du gameplay d’un FPS de guerre, a cherché à attirer son attention sur les petits lapins animés dans l’herbe. Comment, lorsque critiqués pour leur attitude, ils répondaient « Bah, d’habitude les filles ne s’intéressent pas vraiment à ce genre de trucs, vous savez ». Elle insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas là d’incidents isolés : c’est la norme.

Le problème est si omniprésent que des professionnelles ont monté l’opération 1reasonwhy : un hashtag permettant de lister les raisons pour lesquelles il n’y a pas plus de femmes dans le milieu. Le tag a connu un succès énorme et fédéré la parole de centaines de personnes.

"Parce qu'on me prend pour la réceptionniste ou une intérimaire dans les salons professionnels"

« Parce qu’on me prend pour la réceptionniste ou une intérimaire dans les salons professionnels »

1reasonwhy6

« Parce que les conventions, où les designers sont célébrés, sont des endroits dangereux pour moi. Vraiment. J’ai étée tripotée. »

"Parce que je ne suis pas là pour décorer, connard. Je fais des jeux."

« Parce que je ne suis pas là pour décorer, connard. Je fais des jeux. »

1reasonwhy5

« Aucune de mes amies développeuses ne lisent les commentaires de leurs interviews, parce que les commentaires sont brutalement dégueulasses »

1reasonwhy7

« Parce que je suis harcelée sexuellement en tant que journaliste jeux vidéo, et en tant que game designer en prime »

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« Parce que tu ne peux pas être simplement une « développeuse de jeux ». Non, tu seras toujours « une femme développeuse de jeux ».

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« Parce que si je réussis, je suis exceptionnelle. Et si j’échoue, je suis la preuve que les femmes ne devraient pas être dans cette industrie. »

Il n’y a pas que les professionnelles qui subissent cette exclusion systématique; toutes les joueuses peuvent témoigner d’expériences similaires, dès lors qu’elles font un pas dans les espaces gamers. Interrogez-les et les expériences affluent. Je pense que beaucoup se reconnaîtront dans cette chronique que j’avais réalisée du temps où j’animais sur Gameradio.fr (le site original est mort, malheureusement). J’y explique comment les vendeurs de magasins spécialisés m’aiguillent systématiquement vers les « jeux de fille », Sims et autres Nintendogs. Comment ils se ruent sur moi dès que je pousse la porte : « vous avez besoin d’aide ? » Comment, à la caisse, la question « c’est pour votre petit ami? » revient beaucoup, beaucoup trop souvent. Et comment l’un d’eux avait tenté de me refiler une carte de fidélité rose « speciale filles » alors que j’achetais God of War.

Bref. Assez parlé de l’industrie gamer ; on retrouve ce doux parfum de machisme dans tous les secteurs voisins.

Les comics. Que dire qui n’ait pas été répété des centaines de fois, sans succès.

Les costumes ridicules, systématiquement sexualisés à outrance pour le plaisir du lecteur masculin hétéro.

Les poses « sexy » anatomiquement impossibles, jusqu’à créer des monstres difformes.

L’inversion des genres est un moyen très efficace de démontrer le double standard et les internautes s’en donnent à cœur joie. Les résultats sont…édifiants :

genderflip

Les femmes tuées, violées, maltraitées pour motiver les protagonistes masculins – un phénomène tellement courant qu’il fait l’objet d’une appelation spécifique, “Women in Refrigerators”.

Les héroïnes réduites au rôle d’objet sexuel pour le lecteur, dans leur propre comic :

Les derniers reboots Starfire et Catwoman

Les diktats physiques uniformes et irréalistes, dignes des pires magazines féminins :

Apprendre à dessiner des comics : diversité masculine…et féminine.
Le commentaire de l’auteur: “Avec les personnages masculins, il est possible de modeler leurs corps de nombreuses façons différentes pour produire une large palette de personnages cools. Ce n’est pas aussi simple pour les femmes. Les femmes dans les comics sont généralement attirantes – même les méchantes. Surtout les méchantes ! La Voluptueuse Coquine et la Mauvaise sont les plus attirantes dans les comics de pointe. Donc vous n’avez pas autant de libertés pour le corps. Vous ne pouvez pas dessiner des femmes brutales ou vous perdrez leur attirance.”

Etc, etc. Des tendances qu’on retrouve – souvent en pire – dans les manga/japanime, la fantasy…Il faudrait des dizaines d’articles pour commencer à effleurer ce problème qui empoisonne toute la fiction geek. Et si encore ça ne concernait que la fiction…tous les espaces technophiles ou autrement considérés « geeks » fonctionnent sur le même schéma, sous prétexte qu’ils seraient « à dominance masculine ».

Yahoo organise chaque année le Open Hack Day – un rassemblement mondial important de hackers. Les divertissements offerts aux participants ? Stripteaseuses et lapdances.

Un tweet officiel de l’édition 2009 : « Le Hack Girls Show a revigoré tous les hackers, retour à leurs ordinateurs ! »

Lorsque le scandale a éclaté, Yahoo a désespérément tenté de faire disparaître toute photo et trace écrite des danseuses…

Même le Messie du Logiciel Libre Richard Stallman se rend coupable de ce genre de dérapages. A plusieurs reprises lors de conférences, voici comment il a expliqué EMACS :

« Nous avons le culte des vierges d’EMACS. Les vierges d’EMACS, ce sont toutes ces femmes qui n’ont pas encore appris comment utiliser EMACS. C’est notre devoir sacré à nous, l’Eglise d’EMACS, de prendre leur virginité ».

Critiqué par une partie du public pour cette « blague », il a totalement refusé d’admettre un quelconque tort.

Dur, dur pour un.e geek.e à sensibilités féministes de garder ses idoles…

Au final, que nous disent tous ces phénomènes ? Le message est clair et unanime : les femmes dans la geekosphère n’existent qu’en tant que jouets, à la disposition des hommes. Objets sexuels dont on se repaît ou objets de mépris dont on se moque, généralement les deux à la fois. Je te désire mais je te crache à la gueule, encore et toujours…

Pourquoi cette attitude ? Par complaisance pour un public qui est considéré à tort comme exclusivement masculin. Masculin, cisgenre et hétérosexuel, évidemment : dans l’esprit du sexiste cela va de soi. Manifestation habituelle du patriarcat – il n’y a que ce public-là qui compte – mais aussi calcul marketing biaisé : tentatives obséquieuses et de plus en plus désespérées pour séduire le cœur de cible traditionnel…quitte à exclure et insulter sciemment toutes les autres populations. Tu n’es pas un jeune homme blanc cis-hétéro vaguement cynique ? Pas de bol : tu es négligeable, insignifiant.e, invisible, inexistant.e. En bref, aux yeux de ton industrie préférée, tu n’importes pas.

La défense de Sony face aux critiques de la publicité qu’on a vu plus haut est extraordinairement parlante à cet égard :

« [Cette publicité] fait partie d’un catalogue distribué lors de la Paris Games Week. Elle est donc destinée aux joueurs attendus. » « Nous préparons un communiqué pour nous excuser auprès des personnes qui auraient été choquées mais à qui la publicité n’était pas destinée. »

Incroyables présupposés sur lesquels cette défense repose :

– La Paris Games Week n’est fréquentée que par de jeunes hommes hétérosexuels – « les joueurs attendus ».

– Lesdits « joueurs attendus » sont des queutards frustrés qui kiffent les pubs sexistes et qui sont tellement obsédés par les seins qu’ils bandent sur un torse de femme difforme et décapitée.

– Les chieuses « personnes qui auraient été choquées » n’ont rien à dire car la publicité ne leur était « pas destinée ».

– Il est parfaitement acceptable d’être sexiste lorsqu’on s’adresse à un public masculin. Tout comme il est parfaitement acceptable d’être raciste quand on s’adresse à un public blanc.

…Une comm’ qui prend soin d’insulter ceux qu’elle cible ET de dégoûter le reste de son public, j’appelle ça une comm’ réussie.

(Qui plus est le communiqué est complètement mensonger : la publicité a été diffusée hors de la convention, dans des stations de ski par exemple).

C’est sexiste (entre autres) et inacceptable. C’est prendre son public masculin pour des cons (et attirer les vrais connards : on a le public qu’on mérite, mais on va y revenir). Et économiquement, c’est un non-sens.

Pourtant, c’est la stratégie en vogue dans le milieu. Il suffit de jeter un œil à la page « Public » du site corporate IGN Entertainment (l’un des principaux portails jeux vidéo au monde) :

« Les meilleurs sites pour hommes. » « Les meilleurs sites pour gamers. » « Les meilleurs sites pour les fans de Halo. » « Les meilleurs sites pour les joueurs de MMORPG. » Notez le baiser sur le front du « gamer », seule présence féminine sur la page.

« Bro-verload » : l’overdose de mecs. La derniere phrase est intéressante : « Grâce à notre créativité révolutionnaire et notre expertise masculine, nous élaborons des campagnes intégrées, ciblées et ambitieuses : le seul moyen de les améliorer serait d’imprimer nos tarifs sur du bacon frit. »

« Prenez du poil à la poitrine rien qu’en lisant ce profil-type »
Notez qu’en dépit de cette stratégie de communication, un tiers du public d’IGN est féminin

Même le site corporate de Men’s Health n’en fait pas tant.

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Le problème est dans la presse.

De concert avec l’industrie, bien sûr : c’est pourquoi, à chaque convention, on a notamment droit aux répugnants dossiers « Le Top des Babes ! »

Reportage Gameblog au TGS 2012 : la classe incarnée

C’est également pourquoi les magazines se font une joie de diffuser le marketing sexiste de produits techniques :

Ou encore pourquoi des chaînes dédiées comme Nolife diffusent ce genre de perles :

Mais ne vous en faites pas, les journalistes se débrouillent très bien tout seuls aussi.

Je déteste laisser quelque chose inachevé, alors replongeons-nous dans le Joystick qui a mis le feu aux poudres. Vous ne croyiez quand même pas que l’article de Deez était un incident isolé ? Un autre article de leur dossier Lara Croft était consacré à un sujet capital : les seins de l’héroïne. Et de pleurer sur leur « fonte dramatique ».

Il était tout simplement impossible de sélectionner les morceaux de bravoure, alors voici l’article entier :

Il faut le voir pour le croire.

Mon dieu. Mondieumondieu.

Donc selon Joystick :

La créature difforme à gauche ressemblerait plus à une femme que la Lara de droite, apparemment une vraie planche à pain. Non, ils n’ont aucun scrupule à écrire ça ; c’est qu’on s’adresse pour un lectorat masculin, et le lectorat masculin, plus il y a de nichons plus il kiffe, c’est bien connu. Au diable l’anatomie élémentaire : il s’agit de flatter la libido du jeune ado en lui assurant que si si, les femmes les vraies ont des melons greffés sur la poitrine. La Lara moderne qui pourrait faire pâlir d’envie n’importe quelle top-model ? Un vrai boudin – on dirait un homme, un rugbyman même, regarde-moi ces pectoraux. Chez Joystick on a une idée très particulière de la diversité physique féminine.

Passons sur les petites piques anti-féministes qui vont bien, ces excitées frustrées sans humour qui n’ont que ça à faire de venir nous gâcher nos jeux vidéo. On est plus à ça près, va.

Le comble ? C’est une femme qui a écrit cet article. Si. Une femme prête à faire de la désinformation crasse sur sa propre anatomie tout en pissant à la gueule du mouvement qui s’est battu pour ses droits, le tout par complaisance pour le lectorat masculin. Classe.

Assez tapé sur l’ambulance Joystick. On peut rappeler que c’est la même maison qui édite Consoles+, qui nous a gratifié en septembre de son hilarant psychotest (entièrement décortiqué par Jeno ici) :

Trois profils sérieux, avec des analyses plutôt pertinentes et des recommandations de jeux. Au masculin. Et puis, le profil « petit coeur »…

« Tu t’es manifestement trompée de magazine. »

Souvenez-vous, dans mon dernier article, j’écrivais :

« [le journaliste] écrit pour les geeks qui lui ressemblent, à l’exclusion de tous les autres publics. A l’heure où 47% des joueurs sont des femmes, la presse JV papier mourante s’accroche désespérément à son cœur de cible, l’ado masculin hétérosexuel travaillé par ses hormones. Ce serait drôle si, dans sa panique, elle n’en arrivait pas à des extrêmes horrifiants comme celui-ci… »

J’ignorais alors à quel point c’était prophétique…Entretemps, l’éditeur de Joystick et Consoles+ a mis la clé sous la porte. Leur ton soi-disant « décalé », « irrévérencieux » ne les a pas sauvés…

Alors, le sexisme chronique serait-il réservé aux mourants ? Pas vraiment…Passons chez Canard PC, magazine jeux vidéo français particulièrement populaire. Quand ce n’est pas de l’« humour gaillard », c’est  du sexisme camouflé par de la pseudo-analyse narrative :

Les femmes fortes, cet insupportable tic à la mode.

Voici pourquoi cet extrait respire la connerie :

  1. L’observation est tout bonnement fausse. J’ai observé plus d’une centaine d’heures de The Secret World. Les personnages sont variés et plutôt bien écrits : on y trouve des badass, des peureux, des bizarres, des sages, des exubérants…hommes comme femmes. Il n’y a – pour une fois – pas de biais de genre. (Le jeu n’est pas exempt de sexisme par d’autres aspects- costumes féminins, scènes de cul gratuites destinées exclusivement aux mecs hétéro…mais en ce qui concerne les personnages, il s’en tire nettement mieux que la moyenne).
  2. C’est marrant, je l’ai vraiment pas vu passer, cette prétendue « mode » des femmes parfaites vs hommes mauviettes. Mais vraiment pas. Pas dans la fiction en général, et certainement pas dans les jeux vidéo. Au mieux, de vagues tentative, souvent maladroites, d’être un peu moins misogynes – mais certainement pas un renversement de la tendance. D’ailleurs…
  3. Je me souviens pas avoir jamais vu Canard PC râler contre le phénomène inverse, pourtant *légèrement* plus répandu. Ce « tic », cette « mode » de faire des persos masculins forts et des persos féminins faibles. Ah non pardon, ça c’est la norme : y’a que l’inverse qui paraît incongrue.

Que peut-on en conclure ? Que le testeur a rencontré la shériff dans la première zone de jeu et qu’il a pris peur pour son zizi. Insécurité masculine face aux vilaines femmes esmasculatrices, encore…On ne penserait pas voir surgir ce genre de conneries chez un journaliste professionnel, et pourtant.

Plus récemment, même magazine :

Canard PC

Visiblement il leur était impossible de parler d’une bonne initiative sans paternalisme condescendant…Là encore, passons sur le petit tacle de circonstance envers les « féministes revanchardes » et leur « sens de la mesure »; intéressons-nous plutôt au mépris envers la créatrice dont il est question. Senior Game Designer de Funcom mais désignée par « la demoiselle » – j’attends de voir un Senior Game Designer désigné par « le petit monsieur », « le damoiseau » ou même seulement « le jeune homme » – qui « y va de sa petite initiative »… Et comme il faut bien trouver un moyen de la décrédibiliser, la conclusion de l’article qui se moque du « français approximatif » d’une citation du site web. A vrai dire je cherche encore ce qu’il y a d’approximatif ou de drôle dans cette citation. « Hahaha, des jeux vidéo pour gonzesses » ?

Au tour de Jeux Actu d’objectifier les cosplayeuses avec ce superbe dossier en Une : « Les plus beaux décolletés de 2012 ». Même plus besoin de la jouer subtile…

Rien d’étonnant à tout cela quand on découvre le genre de mecs qui peuplent les rédactions.

Le 30 juin dernier, le journaliste jeux vidéo Ryan Perez s’en prend sans crier gare à l’icône geek Felicia Day (actrice, scénariste et productrice de web-séries) :

« Est-ce que Felicia Day a un quelconque intérêt ? Je veux dire, est-ce qu’elle contribue quoi que ce soit d’utile à cette industrie, à part entretenir sa persona geek ? » « @feliciaday, je te vois partout tout le temps. Question : as-tu un quelconque intérêt ? Est-ce que tu apportes quoi que ce soit d’utile au gaming, à part ta « personnalité » ? » « @feliciaday, peut-on considérer que tu n’es rien de plus qu’une booth-babe glorifiée ? Tu n’as  pas l’air d’apporter quoi que ce soit d’utile au média. »

Le genre de saletés auxquelles les femmes du milieu font face tous les jours…Sauf qu’ici, il s’agit d’un professionnel qui s’attaque publiquement à un très gros morceau. Hélas pour lui, ça n’est pas passé inaperçu…Wil Wheaton, célèbre acteur de Star Trek, a lui-même réagi en ces termes : « I have fucking had it with idiot asshole men being shitbags to @feliciaday because they’re threatened by her creativity and success » « I’m sick of idiot men giving *any* woman grief in gamer and geek culture. Enough already, we’re better than that. » (« J’en ai foutrement assez de ces idiots de trous du cul de mecs qui emmerdent @feliciaday parce qu’ils se sentent menacés par sa créativité et son succès » « J’en ai assez de ces idiots de mecs qui emmerdent *n’importe quelle* femme dans la culture gamer et geek. Ca suffit maintenant, on vaut mieux que ça. »)

La biographie Twitter de Perez au moment des faits : « Je suis un gamer depuis environ 1.412 secondes. Durant cette période, j’ai écrit pour GamePro, Bitmob, et maintenant j’écris pour Destructoid. J’aime l’odeur des femmes à gros seins. »

Cette présentation professionnelle m’en évoque d’autres que j’ai pu croiser dans la presse française…Ici, le fond Twitter d’un rédacteur important de Canard PC :

pikaboobs

Ici, chez GAME ONE :

Le rapport aux femmes de notre presse.

Oh, et j’ai croisé cette dernière biographie lorsque son propriétaire a tweeté ceci :

Pas de hasard.

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Le problème est dans la communauté.

Ouuuuuh, la communauté. Par où commencer.

En Février cette année, Capcom organisait le Cross Assault, un tournoi d’une semaine opposant des spécialistes du jeu de baston sur Street Fight x Tekken. La compétition était filmée et diffusée en live sur Internet ; un tchat permettait aux spectateurs de commenter les matchs et d’interagir directement avec les participants. Au sein de la Team Tekken, une seule femme, Miranda Pakodzi;  l’équipe est supervisée par un coach, Aris Bakhtanians, qui s’occupe également de l’animation du tchat.

Premier jour.

Aris explique que Miranda, ou plutôt « des parties de Miranda » le distraient.

Il suggère une lutte dans la boue entre Miranda et l’unique autre femme participant au tournoi. « Et je remporte la gagnante ! »

Il s’adresse au tchat : « Quelle est l’odeur de Miranda ? Je vous tiens au courant, les gars. »

Le tchat réclame le tour de poitrine de Miranda. Aris est sur le coup : « Miranda, ils veulent savoir ta taille de soutien-gorge. Dis-leur, c’est tout ! C’est quoi le problème ? Laisse-moi la deviner. Ca doit être du 85D ou du 90D ? » Un autre joueur : « Je peux essayer de deviner, moi aussi ? » Miranda place ses bras devant sa poitrine. « Enlève tes mains, Miranda ! On est une équipe, non ? Alors, j’ai bon ? » L’autre joueur : « T’as raison, t’as raison j’en suis sûr » « 90D, les gars ! Hahaha, c’est la chaîne Harcèlement, ici. Je m’occupe de vous, tchat : vous voulez connaître la taille de poitrine ? Je vous la donne. »

Miranda se lève pour aller aux toilettes. Aris : « C’est la petite ou la grosse commission ? Le tchat doit savoir ! La petite ? C’est la petite, tchat. Tout va bien. On a des caméras dans les toilettes aussi, non ? » Les autres joueurs : « Ouais, des caméras dans les toilettes ! » Aris : « Je veux installer une Mona Lisa avec des trous à la place des yeux dans les toilettes des femmes : WAOUH ! »

Sur le tchat, des spectateurs adoptent des parties du corps de Miranda comme pseudonymes. « Ses seins viennent de parler ! »

« Ouah ! Non, tchat, je peux pas lui demander ça. Je lui demanderai plus tard, mais je peux pas lui demander ça devant les caméras ! Disons que ça concerne…quelque chose que je t’expliquerai quand tu seras plus grande. »

« Miranda, viens voir ici.  Qu’est-ce qui va pas ? Pourquoi tu boudes ? Y’a un problème ? Comment vont tes cuisses ? Elles vont bien ? Tes cuisses vont bien ? Bon. J’ai réchauffé ce siège pour toi ! Respire ce siège ! C’est pour le tchat ! »

« Update sur les cuisses de Miranda. Comment vont tes cuisses, Miranda ? Toujours bien ? C’est pour le tchat, ils s’inquiètent pour toi ! Elles vont toujours bien, les mecs. Les 90D vont bien aussi. »

« Ce match, vous le jouez pour ses cuisses. Ce match, vous le jouez pour les T-Shirts ! Le perdant enlêve son T-Shirt ! C’est moi le coach, Miranda : t’as rien à dire ! Concentre-toi ! Il faut que tu sois capable de jouer pendant qu’on te harcèle ! Enlève ton T-Shirt ! »

« Je voulais lui faire mettre une jupe demain pour vous les gars mais elle n’en a pas amené. Peut-être qu’on va aller t’en acheter une. Sérieusement ! Je vais t’acheter une jupe. Je la paie ! Je vais essayer de lui trouver une jupe pour vous, les mecs. Je m’occupe de vous. De ma propre poche, je lui paie une jupe. Si je peux pas lui acheter une jupe je lui fabriquerai une jupe. Avec des serviettes. Miranda, tu portes une jupe demain. » Le tchat suggère : « Aris, fais lui une jupe avec ta barbe ! »

« La prochaine fois que tu fais une erreur comme ça, je vais te renifler. De très près. Je vais le faire pour ton petit copain. Dédicace à ton petit copain. Je vais dire son nom pendant que je te renifle. » Les autres joueurs renchérissent. « Ouais, ta copine est bonne ! » Aris se place juste derrière Miranda pour la déconcentrer, renifle ses cheveux, son cou. Elle se lève, fuit la pièce. « J’espère qu’elle est allée pleurer aux toilettes. »

Deuxième jour.

Aris s’empare de la caméra. Il zoome sur Miranda, sur ses seins, ses cuisses, ses fesses. Il la harcèle pour qu’elle se lève afin d’avoir une « meilleure vue ». Le tchat réclame un zoom sur ses pieds. « Ils sont jolis ! On dirait qu’elle a fait une pédicure. » Miranda essaie de les cacher. « Oh non, ça c’est pas une bonne position pour tes pieds, ils ne sont pas beaux dans cette position. Tu n’es pas très coopérative. » Le tchat commente la vue. « Montre tes pieds ! Je suis le coach ici, j’ai l’autorité. Lis ce contrat : ‘Vous devez écouter le coach à tout moment. Il a l’autorité de vous retirer du temps d’entraînement.’ Ne marchande pas avec moi ! » Miranda essaie de le raisonner. « Je m’en fous ! Montre tes pieds ! Les pieds, c’est pas mon truc, mais je fais ça pour le public. » Le public confirme; il veut des pieds. « Merci, Miranda. C’est beaucoup plus simple quand tu coopères. »

Les jours suivants sont du même acabit.

Au début, Miranda gère la situation avec des sourires crispés, de grands éclats de rire nerveux. Son inconfort devient de plus en plus palpable. Elle tente de se cacher, évite Aris, proteste à multiples reprises :  « Arrêtez, ça me met mal à l’aise. » « Aris, tu es flippant. » Rien n’y fait.

Au bout du 5ème jour, elle évoque son désarroi sur Twitter :

« Ça ne sert à rien ; Capcom et les équipes du streaming savent et ils s’en fichent. Il faut juste que je tienne encore deux jours. » « Ouais, ça ne s’améliore pas. Je ne me suis jamais sentie si découragée de ma vie. Plus que deux jours avant que ça soit fini. » « Sûrement pas. Je ne pars pas parce que mon contrat m’oblige à rester encore deux jours. Si ça ne dépendait que de moi je serai partie depuis longtemps. »

Une joueuse suffisamment passionnée pour participer à un tournoi officiel, dégoûtée au point de n’avoir plus qu’une envie : que ce calvaire prenne fin. Elle est effectivement piégée à la merci de ses tourmenteurs, à la vue de tous et pourtant sans personne vers qui se tourner.

Le sixième jour, Miranda abandonne; lors de ses matchs, elle refuse d’engager l’adversaire, puis finit par déclarer forfait.

Vous croyez que nous sommes ici face à un cas exceptionnel ? Si seulement…

Les femmes sont suffisamment rares dans les conventions, tournois et autres espaces geeks pour que certains s’imaginent qu’elles sont à leur disposition. Sur le site Our Valued Customers, qui répertorie de véritables conversations entendues dans des magasins de comics, ce genre d’anecdotes apparaissent avec une régularité inquiétante :

« C’est trop bizarre que les filles ne s’habillent pas comme Psylocke
ou Emma Frost ou autres dans la vraie vie »

« C’est nul que les vraies filles de 15 ans ne soient pas aussi sexy que dans les mangas »

« Quoiiiii ? Les comics n’objectifient pas les femmes…Au contraire, ils donnent aux meufs moches des inspirations à qui ressembler »

« Si je travaillais dans un magasin de comics, je me ferai toutes les filles sexy qui y entrent »

Commentaires lourdingues, drague insistante voire tripotageDans ce post sur Tumblr, une cosplayeuse Black Cat raconte sa visite à la Comic Con (la plus importante convention comics au monde) : des hommes posent avec elle sur des photos en faisant mine de lui toucher les seins, mais surtout, un animateur accompagné d’une caméra la fait monter sur scène pour une « interview »…avant d’inciter le public à deviner son tour de poitrine (un jeu populaire il faut croire). Furieuse, elle quitte la scène : silence choqué, surprise du public. Après tout, « c’était juste pour s’amuser »…

Ici, une invitée à une fête officielle Minecraft harcelée puis agressée sexuellement.

Ici, un Youtuber se filme à la Eurogamer Expo en train de harceler et de tripoter les visiteuses et les hôtesses.

Les hôtesses…Je me souviens avoir lu au moins un témoignage de babe qui racontait comment elle devait régulièrement se badigeonner les épaules de déodorant, à force d’aisselles suantes passées autour. Sans sa permission, évidemment. Après tout, « elles sont là pour ça »…

Sur le web, l’anonymat aidant, ça devient systématique. Au point qu’il existe plusieurs sites entièrement dédiés au phénomène : Not in the Kitchen Anymore propose des enregistrements audio du harcèlement systématique auquel fait face UNE SEULE gameuse jouant au micro et Fat, Ugly or Slutty documente les charmants messages reçus par les joueuses qui ont le malheur de ne pas camoufler leur genre en ligne. Toutes les gameuses collectionnent avec émotion ces merveilles de poésie :

« Tu es une fille ? » « Si oui, je peux voir tes seins ? »

« Tu veux baiser ? »

« Retourne dans la cuisine salope »

« Laisse-moi lécher ton petit trou du cul asiatique s’il te plaît !! »

« Je vais t’arracher le cou et baiser le trou béant et finir dans tes yeux »

Et oui, si vous en doutez, c’est la même chose en français. Dans cette vidéo, le pseudo « Laurie-Girl » suffit à rendre fou une bonne partie des joueurs présents, au point qu’ils se désintéressent complètement du jeu :

Comme vous pouvez l’entendre, ça commence jeune…

Et plus récemment, une twitteuse m’a montré cette perle :

Le phénomène est si prévalent qu’il commence à faire l’objet d’études – ici, une passionnante enquête menée dans des communautés de jeux en ligne par questionnaires sur une durée d’une semaine, ayant reçu 874 réponses :

« Le sexisme est-il très présent dans la communauté gamer ? » « 79,3% répondent Oui » « Les hommes étaient 2 fois plus susceptibles de répondre Non que les femmes – un résultat éloquent sur la façon dont le point de vue affecte l’opinion »

« Les femmes étaient 4 fois plus susceptibles que les hommes d’avoir fait l’expérience de moqueries ou du harcèlement – 63,3% de toutes les femmes interrogées répondaient par l’affirmative. Les histoires que m’ont raconté ces femmes étaient conforme à ce qu’on peut s’imaginer sur le sujet : « Cunt », « bitch », « slut » and « whore » [que l’on pourrait traduire par « chatte », « pétasse », « salope » et « pute »]  étaient des insultes communes. Les menaces évoquaient majoritairement des agressions sexuelles. Une grande partie du harcèlement consistait à demander ou exiger des faveurs sexuelles ou à faire des remarques à propos des rôles genrés traditionnels et des comportements stérotypés des femmes dans la société occidentale. De nombreuses insultes concernaient le poids du sujet ou son apparence physique. »

Effectivement, après un peu de temps passé en ligne il devient aisé d’établir une typologie du harcèlement : insultes sexistes, présumée grosse, présumée moche, promiscuité sexuelle, cuisine/vaisselle/sandwich, menaces de viol/mort. Les harceleurs sont généralement très fiers de leur verve, mais ils manquent un peu d’imagination…

« 15,7% des hommes ont aussi rapporté avoir subi des moqueries, du harcèlement ou des menaces concernant leur genre en jouant aux jeux vidéo. Bien que ce soit minoritaire, cela compte tout de même comme sexisme. Toutefois, les remarques adressées à ces joueurs diffèrent de celles adressées aux joueuses de façons très révélatrices. La plupart des joueurs qui apportèrent des précisions à leur réponse ont subi des remarques concernant leur inadéquation au rôle genré masculin. Ces hommes étaient souvent traités de « pédés » ou de femmes, comparés à des femmes et désignés par des mots stéréotypiquement féminins. (…) Pour les femmes, le sexisme subi concerne leur féminité. Pour les hommes, il concerne leur inadéquation à un standard de masculinité. En bref, ce sexisme place le « masculin » comme genre normatif et « pas masculin » ou « insuffisamment masculin » comme raisons d’insultes, d’humiliations et de brimades. »

Du côté des hommes, on retrouve la même logique :  misogynie et homophobie. Rien de pire que d’être comparé à une femme, de ne pas être « suffisamment viril »…De fait, l’homophobie est particulièrement présente dans le langage de nombreuses communautés gamers – et comment s’en étonner lorsque des stars du milieu comme le Joueur du Grenier utilisent volontiers des termes comme « tapette », « tarlouze »…

« Avez-vous déjà fait l’expérience du sexisme en jouant aux jeux vidéo ? »
Oui : Homme ~15% Femme ~62%. Non : Homme ~80%, Femme ~30%.

Lorsque les femmes évoquent ce harcèlement systématique, une remarque revient sans cesse : « Oui, mais c’est Internet, c’est comme ça…si tu laisses entendre que tu es une fille, aussi… » Ben voyons. Pour vivre heureuses, vivons cachées ? Après tout, il « suffit » de prendre un pseudo et un avatar masculin, d’utiliser une grammaire masculine, de ne surtout pas utiliser de micro ou de visioconférence…il suffit juste de cacher toute une partie de son identité pour espérer respirer un peu dans la cour des petits machos.

Le guide Fat, Ugly or Slutty pour être une femelle respectable en ligne…c’est pourtant si simple !

Ah, elle est belle, la culture inclusive 2.0…la culture geek qui se veut accueillante pour les exclus de tout poil. C’est Internet, tu peux être qui tu veux, dire ce que tu veux, où tu veux ! (à condition de te conformer au modèle du geek blanc mâle cis-hétéro vaguement cynique)

Et pourtant, excédées, on en vient à l’accepter, à se camoufler pour tenter de profiter un tant soit peu de nos loisirs préférés sans subir le déluge dégueulasse…et ce faisant, l’illusion d’homogénéité masculine chez les geeks s’en trouve renforcée. « There are no girls on the Internet ! » pleurnichent-ils. On se demande bien pourquoi…

"Avez vous déjà dissimulé votre genre pour éviter le harcèlement ?"

« Avez vous déjà dissimulé votre genre pour éviter le harcèlement ? »
Oui : Hommes ~5%, Femmes ~67%. Non : Hommes ~95%, Femmes ~30%.

C’est ça ou risquer, à l’usure, d’être dégoûtée à jamais de la communauté qui pourtant partage nos centres d’intêrets. C’est un risque très réel : les tweets de Miranda en témoignent. Joueuse professionnelle, elle n’a plus qu’une hâte, que le tournoi se termine pour qu’elle puisse fuir la porcherie. Un exemple extrême qui illustre un mécanisme insidieux d’exclusion des femmes.

Comme énormément d’autres joueuses, j’ai abandonné l’idée de jouer au micro en salon public : multi entre amis, seulement, ou jeu solo. C’est ça ou bien harcèlement, propositions obscènes par la dizaine, blagues lourdingues mille fois entendues, « Ouah, une fille ! »… Adieu les MMO, aussi (bon, c’est pas une grande perte).

Des exemples non-gamer ? Ok.

Fut un temps, j’ai fréquenté des chans de programmation sur IRC. Seule femme parmi la vingtaine d’habitués. Je suis devenue « la fille » – sujet de toutes les blagues grasses, « Tits or GTFO ! », « Fais péter les photos! », « C’est quoi tes mensurations ? », « Je parie qu’elle est jolie/moche », propositions affamées en messages privés, des mecs qui prétendaient avoir couché avec moi et inventaient des scénarios pour se vanter auprès des autres utilisateurs…Mon genre sans cesse remis sur la table alors que je venais parler programmation. J’ai arrêté d’y aller. Une femme de moins chez les programmeurs, retour à l’homogénéité masculine.

La communauté du Logiciel Libre est particulièrement active et réputée plutôt accueillante. Moi-même linuxienne bidouilleuse, j’ai dû me rendre à deux reprises sur des forums de support technique pour soumettre des problèmes que je n’arrivais pas à résoudre. Les deux fois, j’ai commis le crime d’écrire au féminin. Dans un cas, réponse misogyne particulièrement violente; dans l’autre, paternalisme insupportable envers « la p’tite dame ». Depuis, je me débrouille toute seule quand je fais sauter ma distrib’ (et je ne m’en porte pas plus mal, merci). Une femme de moins chez les linuxiens, retour à l’homogénéité masculine.

J’ai participé une fois à un vidéochat public sur le thème de l’hacktivisme. Seule femme parmi la centaine d’utilisateurs présents – ou en tout cas, la seule assez inconsciente pour utiliser sa webcam et son micro. En moins de deux heures, des dizaines de propositions obscènes, en privé ou sur le chat public, ainsi que d’innombrables commentaires totalement décomplexés sur mon physique. Je n’y suis pas retournée. Une femme de moins chez les hacktivistes, retour à l’homogénéité masculine.

Quant au JdR, on a toutes connues le joueur de bon goût qui se créée « une elfe blonde super-bombasse nymphomane » et la joue de la façon la plus horriblement stéréotypée possible. Dans un autre registre, le rôliste relou qui s’amuse beaucoup à incarner un vicelard et inflige ses frasques sexuelles à tout le reste du groupe. Pour peu qu’on ait le malheur de jouer un personnage féminin…Visiblement on ne subit pas assez le harcèlement sexuel dans la réalité, il faut qu’on y ait droit même lors de nos escapades fictives, assorti des blagues grivoises des autres joueurs et des encouragements du MJ qui récompense « le bon roleplay ». En cas de protestation : « ce n’est qu’un jeu », « il joue comme il veut », « c’est réaliste ». Le petit plaisir du pervers plus important que notre capacité à profiter du jeu en paix. Écœurée, on lâche l’affaire : une femme de moins chez les rôlistes, retour à l’homogénéité masculine.

« Les femmes ne s’intéressent pas aux trucs geeks ! » Ouais, continuez à vous dire ça.

Notez qu’il n’y a même pas besoin d’être geeke investie pour être victime de ces crevards. Sur des forums hackers publics, des sections entières sont parfois dédiées à l’espionnage de femmes à travers leurs webcams. Ils les appellent leurs « esclaves », les échangent, les monnayent, diffusent leurs photos…le tout dans l’impunité la plus totale. Paysage normal de la communauté, acceptation et complicité tacite. « Tant qu’elles ne s’en rendent pas compte, on ne leur fait pas de mal… »

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À tout ceci s’ajoute un mythe extrêmement répandu, délicieuse invention née de la rencontre entre la misogynie et le snobisme geek : la Fake Geek Girl – la Fille Faussement Geek.

Dans un superbe délire paranoïaque, le dessinateur de comics professionnel Tony Harris nous décrit cette maléfique créature :

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« Je ne sais plus si je l’ai déjà dit avant, mais je vais le dire quand même. Je m’en fous. J’apprécie une jolie fille comme n’importe quel autre mâle hétéro. Parfois même, j’apprécie des trucs assez coquins (je reste pudique pour ma Dame) mais bon sang, bon sang, bon sang, j’en ai ai tellement marre de toutes ces Nanas-en-Cosplay. J’en connais quelques unes qui sont en fait assez cool – et, ÇA ALORS, aiment et lisent des comics. Elles sont l’exception à la règle. Voilà ce que je veux dire à propos de LA RÈGLE : « Hey ! Fille-presque-jolie-PAS-sexy, tu es plus pathétique que les VRAIS nerds, ceux que TU penses secrètement VRAIMENT PATHÉTIQUES. Mais tu ne nous trompes pas. Quelques-uns d’entre nous se rendent compte qu’au quotidien, tu es juste bof. Mais tu as quelques atouts. Tu es prête à te mettre presque complètement Nue en public, et tu es plutôt mince (enfin, la plupart d’entre vous CROYEZ l’être) ou tu as de Gros Seins. Tu remarques que j’ai pas écrit des SUPERS Seins ? Tu es ce que j’appelle « SEXY POUR LA CONVENTION ». Enfin, pas pour moi, mais pour BEAUCOUP de fans de comics dans la moyenne qui parlent RAREMENT ou JAMAIS aux filles. Certains Puceaux, TOUS mal à l’aise avec les filles, et la SEULE chose qu’ils ont tous en commun ? Ils sont TES proies. Tu as ce besoin d’attention maladif, que les gens te disent que tu es jolie, ou Sexy, et l’idée que des mecs se branlent sur le souvenir de toi et de tes lèvres à gloss entrouvertes, leur promettant la Lune et les Étoiles du plaisir, ça te fait vibrer la tête. Après de nombreuses années à avoir observé cette merde toutes les trois secondes devant ma table à N’IMPORTE QUELLE convention du pays, je l’ai compris. Enfin, pas que moi. Nous sommes LÉGION. Et voilà, LA RAISON POUR LAQUELLE TOUT CA, nous rend malade : PARCE QUE TU NE CONNAIS RIEN AUX COMICS, AU DELÀ DE TA RECHERCHE GOOGLE IMAGE POUR TROUVER DES RÉFÉRENCES POUR LE PERSONNAGE LE PLUS MAINSTREAM AVEC LE COSTUME LE PLUS RÉVÉLATEUR POSSIBLE. Et aussi, si N’IMPORTE LEQUEL de ces types auxquels tu t’accroches essayaient de te parler en dehors de cette convention ? Tu ne leur prêterai aucune attention. Tais toi foutue menteuse, non, tu ne leur prêterai pas attention. Menteuse, sale menteuse. Tu n’es pas les comics. Tu es juste la chose qui attire toute la presse comics et généraliste aux conventions. Et la vraie raison pour cette convention, et ces foutus costumes dans lesquels tu parades ? Ce sont les Dessinateurs de Comics, et les Écrivains de Comics qui inventent toute cette merde. »

Voilà : la Fake Geek Girl, cette salope, cette succube inculte et malveillante qui infiltre les bastions sacrés de la geekerie, cette prédatrice qui se nourrit des pauvres petits geeks sans défense. (Des geeks forcément timides et puceaux, évidemment…quand on vous dit que cette merde est aussi insultante pour les mecs…) Notez aussi qu’il se déchaîne contre les femmes qui portent des costumes d’héroïnes de comics…des costumes qu’en tant que dessinateur, il contribue lui-même à hypersexualiser. Bref…

La Fille Faussement Geek a des caractéristiques bien définies :

– Elle n’y connaît rien. Elle ose revendiquer le noble titre de « geek » alors qu’elle [ne joue que sur PC / n’a pas lu l’édition originale du volume 148 d’Iron Man / utilise une distribution Linux graphique, pas console / programme en C++ et pas en Lisp / ne sait pas qui est Steve Wozniak / autre condition complètement arbitraire]. Inculte, n00b, imposteuse, fausse geek. Comment peut-elle prétendre aimer Le Seigneur des Anneaux alors qu’elle n’a pas lu la trilogie en version originale complète et annotée ? Comment peut-elle se prétendre gameuse alors qu’elle a commencé sur Nintendo 64, pas sur SNES ? Heureusement, les Preux Chevaliers du Snobisme sont là pour délivrer les Brevets de Geekerie : ils se feront un plaisir narquois d’interroger, de harceler, de creuser jusqu’à trouver LA faille pour remettre l’imposteuse à sa place. Loués soient ces héros qui protègent la consanguinité pureté de leur petit cercle couillu.

"Cool, ton T-Shirt Green Lantern, mon pote !"

« Cool, ton T-Shirt Green Lantern, mon pote ! » « Merci, mec »
« Est-ce que t’es au moins capable de nommer des Green Lanterns ? » « Euh…Bien sûr. Guy Gardner, Hal Jordan, John Stew… » « Tu  viens de regarder sur Wikipédia ?? » « Euh, non…Je lis… » « Je parie que tu ne lis même pas les comics récite le serment des Green Lantern puis nomme tous les groupes de Lanterns puis… »

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« Franchement – si seulement je pouvais trouver une nana aussi geek que moi. » « Ouais, trop dommage que les filles ne sont jamais aussi geek que les mecs. » « Hé Doug, tu veux venir chez moi et jouer à Final Fantasy III ? » « Oh…Mon…Dieu… » « Regarde moi cette Fille Faussement Gameuse, mon pote ! Hé, fille faussement gameuse – Final Fantasy III est en fait Final Fantasy VI, mais comme Final Fantasy II, III et V ne sont jamais sortis en Amérique, il a été renommé III pour ne pas embrouiller les américains incultes comme toi. Pourquoi tu ne vas jouer aux « Zeldas » et me raconte à quel point ta famille dans Sims 3 est épique ? » « Retourne dans la cuisine ! »
[Dans la main, elle tient le VRAI Final Fantasy III – en version japonaise importée]

Cet insupportable snobisme geek touche tout le monde, mais comme par hasard plus particulièrement les femmes…Voir cet article anglais intitulé « Chère Fille Faussement Geek, va-t-en s’il-te-plaît », celui-ci « 10 signes que votre copine est une fausse gameuse » , ou encore ces exemples absolument éclatants en français : « Écoute-moi bien, espèce de pétasse ! » et « Les filles c’est cheaté sur Internet ». Ici, un Tumblr entièrement dédié à indiquer à de pauvres âmes « Non, tu n’es pas un.e Geek », qui ça alors semble viser à 80% des femmes…Il existe même un meme fortement répandu, Idiot Nerd Girl, consistant à ridiculiser ces crétines de Filles Faussement Geek :

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« Je suis trop une geek de l’ordinateur – Utilise Internet Explorer » « Fait la queue à 9h du matin pour une séance Harry Potter à minuit – N’a lu aucun des livres » « Écoute DEADMAU5 et Skrillex – LOL je suis trop une geek de la techno »

Ce meme a fait l’objet d’une récupération par des geeks féministes excédées :

Idiot Nerd Girl Feministe

« Explore un nouveau média et la sub-culture associée avec enthousiasme – Chassée par des connards territoriaux » « Aime quelque chose avec enthousiasme sans répliquer précisément ta base de connaissances – Factice » « Porte une réplique parfaite d’un costume de superhéroïne – Traitée de pute pathétique par les mecs qui l’ont dessiné »

Bref, si vous êtes une femme aux centres d’intérêts geeks, préparez-vous à devoir être i-rré-pro-cha-ble :

« Oh non ce mec me regarde jouer. Je suis nulle à ce jeu. Si je perds il va se dire que je ne sais pas jouer parce que je suis une fille. » « Il va croire que j’ai seulement emprunté la PSP de mon copain ou un truc comme ça. Si je perds ce sera une perte pour TOUTE LA GENT FÉMININE. » [Game Over Metal Gear Solid] « J’ai personnellement ramené le féminisme 10 ans en arrière. Je suis désolée. J’ai failli à toute ma famille. »

Tout en sachant que quoi vous fassiez, vous ne serez JAMAIS assez bien – il y aura TOUJOURS des connards prêts à tout pour vous exclure sous n’importe quel prétexte.

Après mon dernier article, un certain nombre de mecs ont cherché par tous les moyens à me décrédibiliser. L’un d’eux, après avoir tenté  l’interrogatoire habituel « À quoi tu joues ? Sur quelles machines ? Depuis quand ? », est venu me chercher des noises à propos de mon fond Twitter, sur lequel on voit mon avatar Korra en train de jouer à mon jeu préféré, un obscur Action-RPG japonais de 1995 sur la SNES. Ledit fond a été dessiné par une amie qui ne connaissait pas la console et avait par inadvertance branché la manette dans le port du Joueur 2; au premier abord, je ne m’en étais pas rendue compte. Le type aurait pu me le faire remarquer cordialement, mais il ne pouvait évidemment pas rater l’occasion : « Un vrai gamer s’en serait aperçu tout de suite. »

Ouais.

Pourquoi cette volonté de discréditer les femmes à tout prix ? Parce que…

– La Fille Faussement Geek s’infiltre dans les communautés geeks pour une seule raison : se repaître de l’attention de pauvres hommes sans défense face à ses charmes maléfiques. Comment, vous pensiez peut-être qu’elle fréquente des espaces geeks…parce qu’elle en partage les centres d’intérêts ? Quelle idée ! Il est de notoriété publique que les femmes vivent, respirent, se nourrissent du regard masculin : tout ce qu’elles font, elles le font pour attirer l’attention des hommes. Évidemment. La Fake Geek Girl n’est qu’une forme plus évoluée de prédatrice : elle choisit volontairement un territoire où elle a peu de rivales et où ses proies seraient particulièrement vulnérables.

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« Le zénith à Savane Convention. » « La Fille Faussement Geek…a FAIM. » « PROIE » « Elle revêt son camouflage… » « …et rampe plus près. » « Plus près… » « Elle frappe ! » « ELLE SE NOURRIT. »

Je ne caricature même pas : observez le discours tenu par Tony Harris. Toutes ces cosplayeuses qui ont passé des jours entiers à fabriquer leur costume à la main, avec soin, pour ressembler au plus près au personnage qu’elles ont choisi d’incarner ? Tout ça dans un seul but : se repaître des geeks vulnérables (qu’elles méprisent par ailleurs, évidemment, parce que sans paranoïa c’est pas drôle). Eh oui, les mecs : croire à cet incroyable mythe de la Fille Faussement Geek, c’est considérer les hommes comme des créatures faibles, à la merci des sortilèges de ces succubes de femmes ; c’est aussi prendre pour argent comptant les stéréotypes les plus éculés sur les geeks, tous timides, puceaux, incapables de relations sociales et encore moins de séduction… Vous croyez vraiment que la « misandrie » et la « stigmatisation des geeks » émanent des féministes ? Regardez donc dans un miroir pour trouver les coupables. Par votre misogynie, vous insultez jusqu’à vous-mêmes.

Juger les femmes à l’aune d’idéaux inatteignables et contradictoire est l’un des symptômes du patriarcat. Qu’elles choisissent de travailler ou non, de materner ou non, de séduire ou non, quoi qu’elles fassent, les femmes doivent se sentir inadéquates, jamais assez bien. La geekerie a répliqué ce charmant mécanisme en imposant l’idéal de la « Vraie Geek Girl » face à cette imposteuse de « Fake Geek Girl »…et en rendant cet idéal parfaitement inatteignable dans les faits, comme on l’a vu.

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« ça suffit cette image de cette foutue stupide nana hipster dans un T-shirt Star Wars elle a sans doute même pas vu tous les films » « Quoi ? Celle-ci ? D’abord ce n’est même pas Star Wars c’est ‘Stop Wars’. Ensuite, j’espère sincèrement que tu plaisantes parce que c’est Nathalie Portman. Elle a joué dedans. »

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« J’aime les ‘Girl Gamer’ [les ‘vraies gameuses’] mais je hais les ‘Gamer Gurls’ [les ‘fausses’], et je ne mettrai pas leurs chattes sur un piédestal »

"Pas sûr si Gameuse...ou juste Attention Whore"

« Pas sûr si Gameuse…ou juste Attention Whore »

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« Chère fille qui prend des photos dans des vêtements de salope en portant des lunettes puis écrit en dessous « geek lol », tu n’es pas une geek : tu es une pute qui a trouvé des lunettes. »
[Image postée par Dirk Manning, un auteur de comics professionnel, sur son Facebook personnel]

"Ceci n'est pas une gameuse. C'est une salope avec une manette"."Ceci est une gameuse"

« Ceci n’est pas une gameuse. C’est une salope avec une manette. »
« Ceci est une gameuse. »

Comme on construit la figure de la Fake Geek Girl afin de légitimer un déchaînement de haine misogyne à son encontre. N’est pas omnisciente, invincible, irréprochable dans la pratique de son hobby ? Imposteuse. Trop jolie, sexy, séduisante ? Imposteuse.  N’est pas en tout point conforme aux critères arbitraires du moment ? Imposteuse. Et lesdits critères peuvent être édictés par le premier connard venu, automatiquement légitimé par sa bite.

Beaucoup de femmes tentent de mériter leur entrée dans le petit club fermé en jouant le jeu de la misogynie : « Je suis pas comme toutes ces salopes moi, je suis l’un de vous, les mecs ! ». Et tentent de donner le change de toutes leur forces, de se plier à toutes les exigences dans l’espoir d’être acceptées dans le cercle masculin…Je l’ai fait, aussi. Jusqu’à ce que je comprenne que ce n’était qu’un miroir aux alouettes. Leur « Vraie Geek Girl » n’est qu’une vague illusion, un idéal à géométrie variable dans le seul but de nous exclure. Quoi qu’on fasse, ce n’est jamais assez bien : notre chatte nous reste en travers de la gueule. Ne rentrez pas dans leur jeu. C’est un piège.

« Il n’y a pas de Fake Geek Girls. Il y a seulement des femmes à différents niveau d’engagements dans ce que la société considère généralement comme la ‘culture geek' ».

Voilà, en gros, à quoi font face les femmes dans la geekosphère. Il faut bien comprendre que les aspects qui peuvent la rendre attractive pour le geek standard, cette atmosphère viriliste macho décomplexée « entre mecs », est précisément ce qui contribue à exclure tous ceux et celles qui ne rentrent pas dans ce moule étriqué. Autrement dit, une femme qui aime les comics/la japanimation/le jeu de rôle/la fantasy/le cosplay/les wargames/les jeux vidéo… les aime *malgré* le machisme rampant. Et pourtant on a encore et toujours des abrutis pour nous traiter de « fausses geekes ».

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Il manque encore une ombre au tableau : ce que subissent les femmes qui osent refuser et dénoncer cet état de faits.

Anita Sarkeesian est une féministe américaine spécialisée dans l’étude des représentations genrées dans la pop-culture. Elle a créé l’excellente chaîne « Feminist Frequency », une série de courtes vidéos proposant des analyses sociologiques, féministes et critiques de divers médias et produits culturels, le tout d’une façon simple et accessible au grand public. (Ses vidéos disposent généralement de sous-titres en français).

En Mai dernier, Anita a annoncé sa prochaine réalisation : une série de vidéos étudiant les représentations des femmes dans les jeux vidéo. Elle a lancé un Kickstarter afin de réunir les fonds pour ce nouveau projet plus ambitieux que les précédents.

Tropes-vs-videogames

Une idée intéressante et inoffensive, non ? Une certaine population de gamers ne fût pas de cet avis…Qu’une femme critique *leur* média sacré, qu’elle soulève des problèmes que tous connaissent mais prennent soin d’ignorer; la simple annonce d’un tel projet leur fut insupportable. Et ce fut l’hallali.

En quelques jours, une campagne massive et coordonnée de cyber-harcèlement fut organisée contre Anita. Ses vidéos furent inondées de commentaires haineux :

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« Je déteste les ovaires avec un cerveau assez gros pour poster des vidéos. Sans rire, elle a complètement oublié que tous les mecs dans les jeux vidéo sont stéréotypés aussi. Est-ce que tu nous vois en faire un drame ? Non chérie, ce sont des jeux vidéo. » « Elle a besoin d’un bon coup de bite, mais bonne chance pour le trouver. » « Pourquoi tu te maquilles, si tout est sexiste ? Pourquoi tu ne te rases pas la tête, arrête de te maquiller et arrête de porter tes énormes boucles d’oreilles de salope. Tu es une foutue salope hypocrite. » « Elle est JUIVE » « J’espère que tu attraperas le cancer 🙂 » « Allez vous faire foutre féministes vous avez déjà l’égalité. en fait vous l’avez meilleure que la plupart des mecs, sois heureuse de ce que tu as pétasse, et tu veux l’égalité, on parle aux mecs comme ça aussi, alors va te faire foutre pédé…je veux dire lesbienne »
[La capture d’écran est inéditée et montre une infime fraction de plusieurs milliers de commentaires du même acabit]

Des milliers d’insultes, de menaces en tout genre : un véritable éventail de haine misogyne, homophobe, antisémite, raciste, anti-féministe etc. Sa chaîne Youtube a étée reportée en masse comme « terrorisme anti-hommes » dans l’espoir de la faire bannir. Un contre-projet fut même organisé : « La misandrie dans les jeux vidéo » (depuis, ce projet a disparu dans la nature avec l’argent…).

La page Wikipédia d’Anita fut vandalisée de façon systématique par un gang coordonné se relayant sur plusieurs jours :

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« Bunitar Sarkereszian, d’ascendance juive, est une négresse dans la cuisine et une pute… » L’image est un dessin pornographique la représentant, légendé « Activités quotidiennes ».

Ses photos furent éditées pour inclure insultes et messages obscènes avant d’être postées sur son mur Facebook, son Twitter, ou encore disséminées sur Internet :

À gauche, la photo originale

À gauche, les photos originales où Anita brandit des messages positifs : « Filmer The Last Airbender avec un casting entièrement blanc n’était pas une amélioration », « Je veux que les personnages féminins soient des êtres humains entiers et complets ! ». Les trolls ont édités les pancartes pour y rajouter les messages de leur choix : « Donne-moi de l’argent, porc sexiste », « Je veux que les femmes sucent ma bite », « Je lèche des chattes pour de l’argent », ou des images pornographiques.

"Je poste

« Je poste toutes mes vidéos quand j’ai mes règles » « N’a jamais été dans une cuisine » « Veut l’égalité des droits – N’est pas égale » « Tu énerves mon vagin » « J’aime tellement la bite – Je lève les mains en l’air » « Je ne suis pas hypocrite – Je suis une femme »

Elle a notamment reçu de nombreux dessins pornographiques la représentant violée par des personnages de jeux vidéo :

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Un jeu Flash permettant de la tabasser virtuellement fut mis en ligne : le joueur clique sur une photo de son visage pour la couvrir de blessures.

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Son site a été hacké et rendu inaccessible à de multiples reprises; plusieurs mois après, il fait encore l’objet d’attaques régulières. Les haters ont évidemment tenté de récupérer et disséminer ses informations personnelles telles que son adresse et son numéro de téléphone; heureusement, à ma connaissance ces tentatives sont restées sans succès.

Côté « positif », toutes ces horreurs n’ont pas manqué d’attirer l’attention. L’affaire a mis le sexisme geek sur le devant de la scène en Amérique où les médias geeks comme généralistes se sont emparés du sujet. Anita a reçu des messages de soutien du monde entier; son projet a été inondé de dons pour finir par récolter plus de 150 000  dollars, soit 25 fois le montant prévu à l’origine. Elle a également donné de nombreuses conférences et interviews pour évoquer le sexisme des espaces geeks et le harcèlement dont elle a été victime.

Dans cette intervention à TEDxWoman2012, elle explique comment les agresseurs coordonnent leurs attaques à la façon d’un jeu. 4chan et Reddit sont devenus leurs bases d’opération : sur ces forums anonymes et non-modérés célèbres pour recueillir la lie d’Internet, des milliers d’hommes adultes s’encouragent mutuellement à l’escalade de violence contre la grande méchante féministe qui ose parler de leurs jeux vidéo.

Sans surprise, cette intervention fut également la cible d’une masse de commentaires haineux, au point que TED a dû exceptionnellement fermer les commentaires. Peu importe : ses détracteurs se sont fait une joie de reposter la vidéo un peu partout pour pouvoir la haïr à loisir, comme ici.

De larges campagnes de désinformation et de diffamation furent également mises en place pour faire circuler la rumeur qu’Anita s’était enfuie avec l’argent et que les vidéos ne verraient jamais le jour. Un photomontage visant à faire croire qu’Anita avait dépensé l’argent en chaussures a abondamment circulé, relayé par des gamers trop heureux d’y croire.

La première vidéo de Tropes vs Women in Video Games vient de sortir, et toute la série s’annonce passionnante et instructive. Évidemment, la campagne de haine à son égard a repris de plus belle.

Le cas d’Anita Sarkeesian est particulièrement impressionnant, mais il n’est nullement isolé. En fait, le schéma est parfaitement prévisible : toute femme qui évoque le sujet du sexisme dans le milieu geek fait immanquablement face à une vague de haine misogyne.

Plusieurs féministes critiquent le jeu Fat Princess pour l’utilisation d’humour misogyne et grossophobe. Elles deviennent immédiatement la cible d’un océan de trolls.   On leur recommande de « retourner faire la lessive de leur mari »; on met en cause leur poids et leur intelligence. L’une d’elles se retrouve assaillie de photomanipulations qui lui sont envoyées encore et encore par des centaines de personnes.

Une photo de Jennifer Hepler, scénariste jeux vidéo chez Bioware, apparaît sur Reddit avec le surnom « Hamburger Hepler » et la légende « CANCER INFECTION VERRUE VERMINE MALADIE ÉGOUTS PESTE DÉCHET ». Elle est accompagnée de la capture d’écran d’une interview donnée par Hepler 5 ans auparavant, où elle explique préférer l’histoire au combat dans les jeux vidéo. Le post lui attribue faussement d’autres propos : un extrait des forums Bioware ou un autre scénariste défend la possibilité de jouer un personnage gay dans Mass Effet 3 et raconte les efforts de l’équipe pour écrire une romance gay intéressante, ainsi qu’une citation de source inconnue expliquant « En écrivant Dragon Age 2, nous ne voulions pas créer une autre histoire de fantasy générique qu’on penserait écrite par un vieux mec blanc. (…) Nous voulions écrire le genre d’histoire qui réunit toutes les populations ». Tout ceci est donc posté sur Reddit avec le commentaire « Voilà le cancer qui tue Bioware ». Hepler est accusée de détruire les jeux vidéo en voulant en retirer tout le combat au profit d’histoires politiquement correctes; elle souhaiterait « forcer les joueurs à créer des personnages gays » par fétichisme personnel; crime encore plus grave, elle voudrait élargir le public des jeux vidéo au-delà des seuls hommes hétéros blancs. Le post a un succès énorme sur Reddit et la campagne de haine s’organise. Le compte Twitter de Jennifer est inondé d’insultes portant sur son sexe, son poids, son intelligence, sa sexualité...A d’innombrables reprises, on lui suggère de se suicider pour assainir l’industrie du jeu vidéo; la scénariste rapporte même avoir reçu des appels téléphoniques menaçants directement chez elle. Notez que dans ce cas, Jennifer n’a strictement *rien* fait pour mériter ce déchaînement, largement basé sur la diffamation : elle fut un bouc émissaire pour des centaines de gamers trop heureux de déverser leur haîne paranoïaque et misogyne.

La game designer Courtney Stanton a écrit une série d’articles sur la culture du viol dans les jeux vidéo. Elle a reçu des centaines d’insultes, là encore sur son sexe, son poids et sa sexualité, en plus de quoi on lui a souhaité le viol à de multiples reprises. Elle a analysé la violence reçue de manière très exhaustive et intéressante sur son blog :

"J'espère

« J’espère que tu te feras violer. » « J’espère que tu te feras violer par [animaux divers] » « J’espère que tu te feras violer à nouveau. » « J’espère que tu te feras violer puis assassiner. » « J’espère que tu crèveras dans un incendie, attention whore » « J’espère que ta mère se fera violer » « J’espère que ta fille se fera violer »

La critique et journaliste Maddy Myers écrit un article sur le machisme terrifiant de la communauté des jeux de baston : mépris, exclusion, paternalisme, refus de jouer ou rage de perdre face à « une gonzesse »… Sans surprise, des centaines de commentaires et d’e-mails de mecs indignés. C’est elle qui invente le problème, c’est elle qui est sexiste, c’est elle qui stigmatise la communauté, c’est un problème mineur, « tu aurais dû… », accusations de misandrie, les joueurs se sentent « trahis »…Refrain connu. Elle évoque aussi d’innombrables e-mails de la part d’hommes trentenaires lui expliquant « Quand j’étais jeune, les femmes ne jouaient pas aux jeux vidéo et on était pas emmerdés ». Ben tiens.

La journaliste Asher_Wolf écrit un article sur le sexisme qui l’a dégoûtée de la communauté hacker, au point qu’elle abandonne l’organisation des Cryptoparty. Les représailles ne se font pas attendre : le site est hacké à multiples reprises afin de rendre l’article inaccessible, ses informations personnelles (nom complet, adresse, téléphone…) sont répandues sur Internet…Ses comptes personnels sur divers sites sont également attaqués, ainsi que les différents projets auxquels elle est liée. Là encore, commentaires injurieux par la dizaine…

Sans compter tous les cas similaires dont je n’ai sans doute pas entendu parler.

Et bien entendu, je n’ai pas été épargnée à l’échelle française. Si vous vous en souvenez, j’avais prévu dans le texte que mon dernier article n’allait pas manquer d’attirer les insultes de geeks outrés. Ce que je n’avais pas prévu, c’était l’ampleur que l’affaire allait prendre…et l’ampleur de la violence qui s’ensuivit, proportionnelle.

Inondation d’insultes dans les commentaires de l’article, sur mon Twitter personnel, par e-mail, sur les forums geeks…J’ai compilé un petit best-of (au passage, un grand merci à celles et ceux qui m’ont aidé à screener tout ça).

Sans surprise, déferlante de misogynie, homophobie surgie de nulle part, renvois à mon apparence et à ma sexualité supposées, et bien sûr anti-féminisme primaire.

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Tanguy Varrasse (Shimaire) on Twitter

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« Détraquée », « connasse », « grognasse », « folle », « pintade », « gonzesse », « lesbienne », « donzelle », « moche », « grosse », « harpie », « cinglée », « enragée », « chienne », « pétasse », « malade », « cagole », « dinde », « morue », « frustrée », « gouine », « mal-baisée », « hystérique », tout y est passé. Notez que quelques-uns de ces messages proviennent de professionnels du milieu, tout à fait à l’aise pour envoyer ces horreurs sous leurs vrais noms, depuis des comptes associés à leurs employeurs.

On m’a aussi souhaité le viol, la mort, la stérilisation forcée et autres violences diverses :

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Chakaboudinov (Chakaboudinov) on Twitter

twitArticle de Joystick sur Tomb Raider - Polémique • Forums Gamers.fr 2Geeknstuff

Certains ont fait usage de leurs talents d’artistes pour me tirer le portrait :

Mar_Lard-meme

« Accuse les gamers de discriminer les femmes – Discrimine les gamers »
Grosse, moche, mal-baisée et poilue – les poncifs anti-féministes ne font pas dans l’originalité

D’autres étaient suffisamment énervés pour m’envoyer des lettres d’amour de plusieurs pages, comme celle-ci (lecture absolument édifiante croyez-moi) ou celle-ci . Un type s’est mis à stalker mon Twitter pendant des semaines pour déverser sa bile sur TOUT ce que j’y écrivais, sur son blog; je suis devenue un de ses tags, dans la catégorie « Méprisables ». Il a même changé l’en-tête de son blog de « Geekeries, femelles, and stuff » à « Making feminists puke since August 2012 ». Il a trouvé sa nemesis…

D’autres encore ont déterré quelques photos personnelles pour les répandre sur le net :

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« Hippie Kruger » est le meilleur surnom qu’on m’ait jamais donné cela dit = adopté

Et un type a même réussi je-ne-sais-comment à dénicher mon numéro de téléphone pour m’envoyer des SMS vaguement inquiétants.

Tout ça parce que j’ai évoqué le sexisme geek. C’est vraiment trop gentil d’en faire la démonstration, les gars.

Derrière ces spectaculaires et systématiques levées de boucliers se cache d’abord une bonne dose de misogynie, comme en témoigne la nature des attaques. Le fait que les hommes soient considérés plus légitimes que les femmes pour s’exprimer sur des questions de sexisme est également révélateur. En Septembre, peu après mon article, Usul de JeuxVideo.com m’a contactée pour que je l’aide à écrire une chronique humoristique et pédagogique sur la virilité dans le milieu jeu vidéo, ce qui m’a attiré une nouvelle vague de réactions intéressantes. De nombreux mecs qui ne m’avaient pas repéré au générique sont venus m’indiquer ladite chronique à peu près en ces termes : « Eh la folle, regarde, LUI il dit des choses intelligentes ». D’autres ont bien identifié mon pseudonyme, mais ont sincérement pensé qu’il figurait là…en tant qu’attaque ironique envers moi. « Hahaha Usul, trop bon d’avoir cité l’autre hystéro ! » Cela alors même que notre propos est identique et que plusieurs exemples dans la chronique sont tirés directement de mes articles. Étonnant, cette différence de réception…Qu’une femme raconte les discriminations dont elle est victime, et c’est perçu comme une attaque mensongère et insupportable; qu’un homme évoque les mêmes sujets et c’est reçu comme un brin amusant d’auto-dérision, « haha ouais c’est vrai qu’on est comme ça ».

La violence impressionnante des attaques est aussi symptomatique d’une certaine panique à l’idée que l’on aborde en face un problème dont, au fond, ils ont vaguement conscience mais essaient soigneusement d’ignorer. Chaque femme qui évoque de près ou de loin le sexisme du milieu est perçue comme une menace envers l’homogénéité confortable du petit club masculin. D’où la nécessité de noyer le poisson par le déni, la diversion, la décrédibilisation…et de faire taire les pétasses trouble-fêtes par l’intimidation.

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Voilà donc où on en est, en tant que communauté. Harcèlement, sexisme, exclusion et silenciation massive de celles qui prennent la parole.

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Bien sûr, tous les geeks ne sont pas d’immondes machos; bien sûr, toute cette merde est le fait d’une minorité très active (enfin, j’espère. J’avoue qu’à force de tomber sur ce genre de choses absolument tous les jours, on finit par douter.) Mais – et c’est là tout le fond du problème – il s’agit d’une minorité complètement tolérée, voire encouragée par la communauté.

Revenons un instant sur l’affaire Cross Assault. Le coach Aris Bakthanians est évidemment le premier en faute; c’est lui qui s’est rendu coupable de harcèlement sexuel répugnant et incessant. Cependant, observons l’environnement dans lequel il a agi…Les autres membres de l’équipe témoins de la situation n’ont strictement rien fait, n’ont manifesté aucun inconfort. Pire, ils sont parfois devenus participants directs par leurs rires et leurs commentaires salaces. Il en va de même pour le tchat : les spectateurs se sont faits complices actifs du calvaire en encourageant explicitement Aris, en applaudissant ses initiatives et en réclamant toujours plus. Si Aris est à l’origine du problème, c’est la communauté masculine geek dans laquelle il évolue qui l’a laissé faire et même poussé à l’escalade, au détriment de sa victime qui s’est retrouvée exclue et dégoûtée. Un ami anglais a mis un mot très utile sur ce type de phénomène : « brosogyny » (de « bro », expression virile d’amitié, et « misogyny »). Dynamique de groupe masculin-hétéro homogène consistant à tisser des liens de connivence virile par la sexualisation objectifiante des femmes et la misogynie, notamment dans l’humour. Un phénomène qui a permis au harceleur de se déchaîner sur Miranda pendant presque une semaine en toute impunité et même avec la bénédiction d’une grande partie des autres hommes présents.

Un seul de ces témoins a émis une objection, au bout du 5ème jour : le responsable du site de streaming qui diffuse le tournoi, un homme qui est donc extérieur au groupe. Aux alentours de 1h45 dans cette vidéo, on l’entend exprimer quelques réserves vis-à-vis du langage, du sexisme et de l’ambiance peu accueillante de la communauté jeux de baston. La conversation qui s’ensuit est extraordinairement révélatrice.

« On a grandi, non ? Tu veux vraiment continuer à traîner avec une bande de mecs de 20 ans qui ne savent pas traiter les gens avec respect ? »
Indignation parmi les joueurs, soupirs exaspérés, « Rohlala… »

Puis Aris prend la parole.

« Je ne suis pas vraiment concerné, mais…si tu n’aimes pas les oignons, tu choisis un sandwich sans oignons, mec ! C’est la communauté jeux de baston, ici ! »

« Je peux pas avoir mon Street Fighter sans harcèlement sexuel ? »

« Non, tu peux pas. Tu peux pas parce que ça va ensemble. C’est une communauté qui a 15 ou 20 ans, et le harcèlement sexuel fait partie d’une culture, et si tu enlèves ça de la communauté jeux de baston, ce n’est plus la communauté jeux de baston. (…) On dirait que tu essaies de transformer la communauté en quelque chose qu’elle n’est pas et qu’elle ne sera jamais. Ca n’est pas correct; c’est immoral. Je sais ce que tu penses, tu te dis ‘Qu’est-ce que tu en sais, de la morale ? Tu dis des trucs racistes et sexistes.’ Mais ce sont des blagues, et si tu faisais vraiment partie de la communauté, tu le saurais. Tu saurais que ce sont des blagues. »

« Alors, faire en sorte de dégoûter toutes nos spectatrices…c’est moral ? »

– (…) « Tu essaies de me mettre en tort alors que je ne suis pas en tort. Je sais ce que tu veux : tu veux transformer les jeux de baston en quelque chose d’énorme, quelque chose que tout le monde puisse apprécier, quelque chose de familial…Mais tu peux pas faire ça ! Tu peux pas faire ça ! »

– « Parce que tu ne permets pas que d’autres personnes se sentent accueillies. »

– « C’est pas le problème ! C’est la beauté de la communauté, et tu devrais le savoir; elle est fondée sur l’inhospitalité. C’est la beauté du truc, c’est l’essence du truc. »

Miranda essaie de prendre la parole : « Ca fait du mal à la communauté… » Les autres joueurs la font taire.

La discussion dérive sur Starcraft et d’autres communautés de jeux vidéo; Aris et son équipe soulignent que le harcèlement sexuel y fait tout autant partie des « traditions », que ce n’est pas une spécificité des jeux de baston mais une partie de la culture gamer en général.

Cependant le critique ne se laisse pas démonter : « Quand je vais aux régionales de Soul Calibur et que je vois [personnage féminin] se faire démonter sur la scène principale, et qu’il y a un type dans le public qui gueule « Salope ! Salope ! » chaque fois qu’elle prend un coup, et « Ouais ! Viole cette salope ! » quand elle est tuée, c’est acceptable ? Vraiment ? Vraiment ? Tu vas me dire que c’est acceptable ? »

Les joueurs éclatent de rire. Aris : « Enfin, mec. Qu’est-ce qu’il y a d’inacceptable là-dedans ? Il n’y a rien d’inacceptable là-dedans. C’est les gens, on est en Amérique, mec, c’est pas la Corée du Nord. On dit ce qu’on veut. Les gens se laissent emporter. (…) C’est comme si tu débarquais dans la maison où j’ai vécu toute ma vie et que tu disais ‘Cette maison est dégueulasse’. Tu veux pas vivre ici ? Va chez le voisin ! Enfin, mec, on a l’habitude, on fait ça depuis 15, 20 ans : comment peux-tu nous demander de changer ça ? »

Et de conclure : « Tu dis que les gens sont choqués par le harcèlement sexuel et tout. Eh bien moi, je suis tout aussi choqué par des gens comme toi qui essaient de changer quelque chose qu’on aime. Profondément. »

Un harceleur dégueulasse qui se sent totalement validé par sa communauté. Pire : qui défend le harcèlement sexuel, la misogynie, l’inhospitalité comme impératifs moraux, pour préserver une sorte de culture sacrée du machisme qui serait partie intégrante de ladite communauté. Qui conçoit les espaces geeks comme des bastions de saine virilité où sexisme, racisme, homophobie peuvent s’exprimer de façon totalement décomplexée, loin de tout ce foutu « politiquement correct ». Quelqu’un émet une objection ? « Tu n’es pas des nôtres, tu peux pas comprendre. Et si ça ne te plaît pas, va voir ailleurs. »

Hé, amis geeks masculins. Ça ne vous dérange pas que ce soient des mecs comme ça qui vous représentent ? Ça ne vous dérange pas qu’ils se sentent parfaitement à l’aise pour décrire vos communautés ainsi ? Ça ne vous dérange pas que les connards se sentent chez eux tandis que leurs victimes sont dégoûtées et exclues ?

Apparemment non, et c’est le plus flippant dans l’histoire. Quand l’affaire Cross Assault a éclaté au grand jour, les gamers ont massivement soutenu Aris. C’est Miranda qui fut mise en cause : « Pourquoi elle s’est laissée faire ? Pourquoi elle ne s’est pas plainte plus que ça ? Elle riait, elle appréciait toute cette attention. » Sur les forums, on trouve des commentaires comme celui-ci, de la part d’un membre éminent :

« Pour Aris et beaucoup d’autres gens (principalement des mecs, mais ça peut inclure des femmes, aussi), la communauté jeux de baston est une chance d’être relax, d’être soi-même, loin d’une société folle, politiquement correcte.
Pour certains mecs, être soi-même veut dire faire des commentaires un peu libidineux ou des blagues racistes. Maintenant, une bande d’idiots font l’amalgame exagéré entre ça et être vraiment raciste ou sexiste. C’est vraiment foutument stupide, parce que ce n’est pas du tout la même chose.
Il y a une différence entre dire à une joueuse de sucer ta bite et/ou la toucher, et juste la commenter à propos de ses foutues cuisses. Si cette dernière option est aussi inacceptable pour vous, trouvez-vous une autre communauté. »

Dans le même genre :

« C’est une partie de qui nous sommes et c’est ce qui rend notre communauté meilleure – les petites fiottes ultrasensibles ne sont pas les bienvenues (…) Les gens en font une montagne alors qu’il n’y a pas de problème, il n’y en a jamais eu, et à moins qu’une bande de fiottes pleurnichardes en créent un il n’y en aura pas. Quoi qu’il en soit, nous sommes qui nous sommes, et quiconque prétend que ce genre de chose est inacceptable ne sait foutrement pas de quoi il parle. »

Ou encore :

« Je parierai de l’argent que Miranda n’aurait pas été aussi offensée si Aris était plus beau, c’est ça qui est triste. »

Etc, etc; l’essentiel des réactions sont du même acabit. Discussions de mecs qui se rassurent, se justifient, s’auto-congratulent entre eux de l’inhospitalité de leurs communautés. Plus loin, l’un des rares membres féminins du forum tente d’intervenir pour donner un avis contraire, ce qui donne lieu à un autre échange très révélateur de l’esprit en vogue :

– « Aris tente de justifier son sexisme en disant ‘Nous avons toujours été sexistes alors nous ne devrions pas changer !’ J’aimerais bien le voir être une femme un moment, qu’il voie ce que c’est de subir sa merde. Miranda a même tenté de dire qu’elle trouvait que la communauté était trop sexiste. Elle est la personne la mieux placée pour en parler dans cette discussion et ils l’ont fait taire, ont parlé à sa place et lui ont dit de subir sans rien dire. Classe… »

– « Nous étions là les premiers. Arrête de vouloir changer notre communauté; dégage si elle n’est pas assez « gauchiste » pour toi »

–  » ‘Nous les racistes, homophobes, machos étions là d’abord ! Yeehaw ! Tu ne peux pas nous changer, tant pis pour les sentiments de tous ceux qui ne sont pas des hommes hétéros blancs !’ Très classe. »

– « En fait, oui, on s’en fout de tes sentiments très franchement. Parce que tu as tort. Les cultures ne changent pas juste parce qu’elles ne te plaisent pas. »

À chaque discussion de ce genre dans les communautés geeks, on retrouve la même levée de boucliers. Des types qui cherchent à tout prix à noyer le poisson (« Pourquoi on parle de ça ? On s’en fout »), à nier le problème (« Meuh non les geeks n’ont pas de problème de sexisme, là c’est juste un incident isolé »)…et surtout une masse de mecs prêts à défendre les connards avec ferveur, au nom d’une prétendue « liberté d’expression » et d’un refus du « politiquement correct ». La « liberté d’expression » signifiant ici la liberté d’être sexiste, homophobe, raciste…sans devoir affronter aucune conséquence ou opposition, apparemment. Celles et ceux qui osent s’insurger sont accusés « d’intolérance » (!), copieusement moqués (« U MAD ? »/ »Oooh, Butthurt! »), réduits au silence et exclus. Une culture de la « liberté d’expression » qui se résume en réalité à une culture systématique de la discrimination, du cynisme, de la méchanceté.

Voici un autre exemple tout récent qui illustre à merveille ce phénomène. Une de mes proches amies a subi une agression sexuelle alors qu’elle partait en vacances. Pour s’en libérer, elle en parle sur Twitter en ces termes (lire de bas en haut) :

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Elle en parle également sur son blog dans ce texte absolument essentiel sur la peur du viol.

Mais l’affaire n’était apparemment pas assez glauque pour ce charmant gentleman qui s’est empressé de réagir avec bon goût :

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Par la suite, non content de donner des leçons sur la façon « adéquate » de réagir à une agression sexuelle, il la minimise, met en doute la parole de la victime, moque sa peur, se trouve des alliés pour l’insulter un peu plus, déplore le « manque de recul » des femmes en colère face à son approche « rationnelle », fustige les « pseudo-féministes » et bien entendu les accuse de misandrie pour se dire victime de « sexisme anti-hommes ». Bref, un imbécile masculiniste comme il y en a tant…sauf que.

Romain Devouassoux est un ancien candidat du Parti Pirate aux législatives de 2012 – choisi comme représentant politique du parti, donc, pour une circonscription de 106 000 personnes. Il écrit ces horreurs depuis son « compte officiel » aux couleurs du PP :

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Tourner les agressions sexuelles en dérision, humilier et moquer les victimes, que voilà un noble discours politique.

On retrouve le connard haut placé et tout à fait à l’aise pour tenir ce type de discours public au nom de sa communauté. Le Parti Pirate, parti des geeks par excellence : défense des libertés numériques, de l’open-source, du partage de données…Un parti qui se veut nouveau, jeune, libre, progressiste, à mille lieux de la sclérose politique. Nul doute que de tels propos tenus en leur nom leur seront insupportables, que la condamnation sera unanime ?

Pas vraiment.

Deux comptes du Parti Pirate, PP Alsace et PP Breton, réagissent de façon adéquate en blâment fermement les propos tenus…et sont immédiatement désavoués par des membres et même le compte national du Parti pour avoir exprimé des « opinions personnelles » avec leurs comptes officiels (!)

Après quoi le compte national du PP s’en prend à…la victime, @_LaMarquise, qui a eu l’audace de considérer qu’un représentant de parti représentait son parti :

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Un ancien candidat qui s’exprime depuis un « compte officiel » = « un membre isolé qui n’a rien à voir avec le Parti », ouiouioui…

Prise à parti de la victime et des indignés donc, mais pas de condamnation des propos de Devouassoux. Au contraire, voilà que des voix s’élèvent pour le défendre au nom de la « liberté d’expression », évidemment : « Notre parti est libre ! Nous ne censurons pas l’expression des membres ! » Quand je vous dis que pour ces mecs là, la « liberté d’expression » signifie la liberté pour les haineux de vomir leur merde sans devoir affronter la moindre opposition, la moindre conséquence. Et de protéger les ordures en silenciant ceux qui les dénoncent. Liberté d’expression unilatérale. Intéressant pour le parti auto-proclamé défenseur de la liberté d’expression de manifester une telle ignorance du concept : le droit de s’exprimer implique la responsabilité de ses dires et ne protège pas de toute contradiction.

Mais voilà, quand un candidat officiel tourne les agressions sexuelles en dérision en portant les couleurs Pirates, il est légitime et c’est aux indignés de se taire. Il eut sans doute plutôt fallu que Devouassoux dise un truc du style « Hadopi protège les artistes » ou « le piratage tue la création » pour susciter une réaction…

Face à l’outrage, le PP décide finalement d’auditionner Devouassoux en interne, et c’est là que le foutage de gueule se révèle pleinement. Le compte-rendu complet est disponible ici et il est à se taper la tête contre les murs.

Seul Devouassoux est convié à exprimer son point de vue; entretemps, il a effacé ses tweets les plus problématiques et s’est bâti une défense complète à partir de bouts de conversations trafiquées et reconstruites à son gré, afin de prouver qu’il fut la pauvre victime d’une horde de harpies misandres. La discussion est menée entre mecs, comme il se doit…Plus préoccupés par la mauvaise presse que ces vilaines féministes indignées font au PP que par le fond du problème, ils invoquent « l’état émotionnel » de @_LaMarquise et la nature du réseau Twitter pour expliquer l’incident, fustigent la « violence » des réactions aux propos de Devouassoux, estiment qu’il fut victime d’un « procès d’intention » pour « un cas mineur de trolling »…Et tombe la motion :

La Coordination Nationale demande à Romain de reconnaître publiquement l’erreur de jugement sur l’état psychologique de la personne sous pseudo (La Marquise) qui lui est reprochée.
L’erreur de jugement sur l’état psychologique de la personne. Parce que les propos de Devouassoux ne sont pas condamnables en soi, non non : c’est @_LaMarquise et son émotivité de femelle son état psychologique après son agression qui sont à la source de l’incident. Parce qu’évidemment, dans n’importe quel autre contexte elle aurait reconnu la valeur des remarques de Devouassoux, mais là son état irrationnel ne lui permettait pas d’apprécier l’humour et la finesse de la réflexion. Évidemment. Le seul tort de Devouassoux en fait, c’est que du haut de sa rationalité et de sa sagesse supérieure de mec il n’ait pas su ménager la pauvre créature déboussolée en proie à ses émotions. Ses propos ne sont aucunement problématiques, le pauvre fut simplement victime d’une meute de féministes assoiffées de sang masculin (sur la mailing-list interne du PP, on parle de « menaces hystériques »…)
À l’énoncé de la motion, Devouassoux s’inquiète : « On est bien d’accord que ce ne sont pas des excuses ? Uniquement une constatation du fait que mon message a été mal pris ? » Les autres acquiescent. Rideau. Pas de problème, même pas une tape sur la main, juste une déclaration de principe pour apaiser les femelles hystériques.
Pourritures.
Voilà comment, au lieu de saisir l’occasion de se positionner clairement sur les violences sexuelles, le Parti Pirate a préféré démontrer qu’il accueillait les masculinistes à bras ouverts, au point de les défendre contre toute remise en question. Ce qui aurait pu être une opportunité d’engager les femmes pour un parti écrasamment masculin s’est transformé en orgie de privilège masculin, le fait de jeunes hommes confortables dans leur ignorance des questions de genre. Et évidemment, au lieu de remettre en question leur gestion de l’affaire, ils préfèrent en imputer le tort aux méchantes féministes qui ont soulevé le problème. C’est ainsi qu’ils ont réussi à s’aliéner un peu plus le public féminin et à dégoûter leurs membres sensibles à la question :
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Ces derniers tweets sont le fait d’un membre particulièrement actif et convaincu du Parti Pirate pour qui cette affaire fut une véritable désillusion. Sur son blog, il relate les faits vus de l’intérieur et conclut ainsi :

« Je n’ai plus la force.

La résistance rencontrée au sein du Parti Pirate face aux tentatives de le sensibiliser au féminisme, ainsi que la défense systématique de propos misogynes et cautionnant le viol auront eu raison de moi.

Je me suis battu pendant un an contre les « démotiveurs », j’ai demandé à chaque personne qui démissionnait par épuisement de reconsidérer sa décision afin de ne pas laisser les opposants seuls aux commandes et voila que moi aussi j’ai perdu espoir.

Je me sens trop petit, les problèmes de sexisme sont ancrés trop profondément, des remarques sont venues en trop grand nombre, les plus douloureuses étant celles de personnes que j’estime. Je me sens pas la force, même accompagné, d’arriver à faire bouger ne serait-ce qu’un peu les choses de ce point de vue.

Je ne peux pas rester impliqué dans une communauté qui foule aux pieds l’égalité des personnes. Alors je m’en vais, j’abandonne.

Et je me sens coupable d’abandonner, de dire que c’est peine perdue. Parce que si c’est pas moi, si c’est pas d’autres adhérents féministes qui mettent cette conviction de côté pour militer sur d’autres sujets ou qui n’osent pas trop en parler parce qu’ils ne se sentent pas non plus les épaules pour le faire ? Si c’est pas nous, qui c’est alors qui va empêcher les idées Pirates d’être associées à la domination masculine ?

Je lâche l’affaire, mais j’espère que d’autre adhérents aux reins solides persévèreront et arriveront eux, à laver l’image de Parti Patriarcal que le PP s’est construit. S’ils ont besoin d’aide, je serais là, mais en tant que soutien extérieur. »

Evidemment, il est considéré comme un traître au sein du parti pour nuire ainsi à son image. Encore et toujours, l’opprobre tombe sur ceux qui ont l’audace de soulever le problème…

Sur le forum du Parti Pirate, une féministe a retroussé ses manches pour faire de la pédagogie…et se heurter immédiatement à un mur de déni, d’ignorance et de clichés en tous genres. Elle aussi a jeté l’éponge, découragée. Elle en parle ici.

Ainsi se fait l’épuration : on dégoûte soigneusement les membres sensibilisés au sexisme jusqu’à se retrouver avec un petit groupe de mecs bien homogènes et confortés dans leur ignorance, persuadés d’être inclusifs et irréprochables. L’entre-couille renforcé. Magie ! « Mais engagez-vous si vous voulez qu’on parle de ces sujets au PP, nous sommes ouverts ! »  Bah voyons : c’est pas leur faute si ils sont sexistes les pauvres agneaux, personne ne veut les éduquer, les femmes ne viennent pas et les membres féministes baissent les bras, excédés. On se demande bien pourquoi. (Leur excuse officielle : il n’y a pas de femmes en politique).

Sur cette affaire, voir aussi cet article et ce thread du forum PP qui regroupe les avis ô combien édifiants des membres.

Encore un exemple tout frais de cette silenciation massive : la présentation de la PS4 par Sony. Pur défilé d’hommes blancs : pas une femme sur scène, pas même un développeur japonais…Une compagnie internationale qui ne cherche même pas à donner l’illusion de la diversité, démontrant à quel point le problème est à mille lieux de leurs préoccupations. L’homogénéité était si ostensible que certains commentateurs ne purent s’empêcher de la relever…pour se heurter immédiatement à un mur de réactions défensives :

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« Félicitations, pas une seule femme sur scène ! #playstation2013 » – « OUAIS TRANSFORMONS TOUT EN DISCUSSION SUR LE SEXISME ! IL Y AVAIT FORCÉMENT DE LA MÉCHANCETÉ DANS LEURS CHOIX MASCULINS ! grandis » « Qu’est ce qu’on en a à foutre ? Sérieusement. » « C’est du sexisme inversé, mec. » « Ouais, ces vilains directeurs qui osent être mâles. Quels connards. » « Y’a t’il une seule femme qui soit directrice ou du niveau de n’importe lequel des développeurs majeurs présentés à cette conférence ? » « Pourrais-tu fermer ta gueule et jouer aux jeux vidéo ? Bordel. »

Partout où l’absence de femmes est remarquée, les commentaires sont du même acabit. La simple évocation du problème suffit à mettre le petit club masculin en ébullition et attire donc un déni frénétique, massif et violent. Vite, faire taire ceux qui ont l’audace d’interroger le statu quo; tous complices dans le silence, garant d’un entre-soi confortable.

4chan, Reddit, 9gag et affiliés…Parfaitement symptomatiques du phénomène; des communautés qui aiment à se représenter comme libérées, diverses, audacieuses…en réalité très convenues et prévisibles, fréquentées par une population largement homogène de jeunes hommes blancs cis-hétéros de classe moyenne, aux opinions unilatérales et unanimes. Au point que des contre-sites se sont formés, spécifiquement dédiés à dénoncer la culture puante qui règne dans ces communautés : Shit Reddit Says, Reddit_Txt, STFU9gag

Les sites où les commentaires fonctionnent par votes fournissent d’excellentes illustrations : un coup d’oeil aux top-commentaires dans divers discussions donne une bonne idée de l’état d’esprit en vogue. Exemples sur Reddit :

[À propos du viol collectif d'une enfant de 14 ans] "Alors, o

[À propos du viol collectif d’une enfant de 14 ans] « Alors, où est le lien pour la vidéo ? » 250 points positifs

"Confession - Mon amour des nichons passe après ma haine pour les femmes qui cherchent l'attention à tout prix"

« Confession – Mon amour des nichons passe après mon dégoût pour les femmes qui cherchent l’attention à tout prix » 995 points positifs

reddit5

« Les Noirs sont vraiment plus bruyants et malpolis que la plupart des autres personnes généralement. » 90 points positifs

[Sur pourquoi une femme ne peut pas atteindre l'orgasme] "Elle est peut-être inconsciente"

[Sur pourquoi une femme ne peut pas atteindre l’orgasme] « Elle peut être évanouie » 1860 points positifs.

"Ces filles

« Ces filles sont la raison pour laquelle de nombreuses femmes sont vues comme des objets sexuels. Et bon sang, comme je coucherais bien avec ces 3 objets. » 61 points positifs. 

Idem dans les recoins les plus geeks de Youtube. Ici, les top-commentaires d’une série de vidéos techniques sur Linux, présentées par une femme :

"Supers nichons"

« Supers nichons » « Je viens de me mettre à Linux, merci pour tes nichons 😀 »

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[Commande d’installation sous Linux Debian] « apt-get install beauté »

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« Tes yeux sont beaux » [se moque de la prononciation de la présentatrice] « Je m’en fiche que tu sois chaudasse c’est « sudo » pas « sue do » !!!!!! « 

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« Nichons. » « TÉTONS!!!!!! »

Dans le même temps, les messages qui vont à l’encontre du machisme généralisé sont censurés, ridiculisés…

"Je poste dans des espaces réservés aux femmes parce que...

« Je poste dans des espaces réservés aux femmes parce que…on ne me demandera pas « montre tes seins ou dégage » » [75 points négatifs] « ‘Pour te sentir en sécurité ?’ Tu te fous de moi ? … Tu tiens le genre masculin entier pour responsable d’une minorité d’ados excités » [46 points positifs]

"[Pédé] est une

« [Pédé] est une insulte dégoutante. Tu devrais avoir honte. » [38 points négatifs] « Bienvenue sur Internet…pédé. C’est une blague, au cas où tu ne comprendrais pas. 80% de l’Internet utilise pédé comme insulte, je ne pense pas quiconque le pense vraiment. » [28 points positifs]

 Ici, mon collègue s’exprime sur l’une de ses chaînes jeux vidéo préférée, lassé de l’humour de plus en plus en misogyne employé :

"

« Je vous souhaite le meilleur. Malheureusement je trouve le sexisme intolérable et cela m’empêche d’apprécier vos vidéos qui à part cela sont très bien produites et solides. Bonne continuation. » Réactions : « C’est un peu extrême…quelqu’un n’a pas d’humour » « Bon sang mec, c’était des blagues ! » etc.

Comme vous le voyez son commentaire a été « signalé en tant que spam » – c’est à dire qu’un grand nombre d’utilisateurs ont marqué ce message comme indésirable. Puis l’inévitable marée de commentaires le tournant en dérision.

Tout récemment, un super-papa a hacké le vieux jeu Donkey Kong pour sa petite fille de 3 ans, qui voulait que ce soit Pauline qui sauve Jumpman pour une fois. Quelques mois auparavant, un autre super-papa réécrivait tous les dialogues de Zelda : The Wind Waker pour transformer Link en femme et ainsi permettre à sa fille d’incarner une héroïne. Initiatives formidables dans un média où elles sont si rares, non ? Et même si vous ne trouvez pas ça génial, quoi de plus inoffensif que ces deux pères qui bricolent un peu un jeu pour faire plaisir à leurs filles ? Mais évidemment les gamers ne l’entendirent pas de cette oreille. Dans les deux cas, torrents de messages hurlant au sacrilège – changer le sexe du héros porterait apparemment un coup irréversible à l’intégrité des œuvres (c’est marrant, je vois pas autant de protestations quand il s’agit de hacks pour mettre Lara Croft à poil…). Sur la vidéo Donkey Kong, un message souhaite la mort de la petite fille : « ça rendrait service au monde, une féministe de moins ». Pensez-y une minute. Une petite fille de 3 ans souhaite incarner une héroïne qui lui ressemble, des hommes adultes trouvent cela insupportable, certains lui souhaitent la mort. Venez encore me dire qu’on a pas de problème de misogynie.

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Communautarisme machiste et esprit de corps pour ignorer, rejeter, ridiculiser la critique au lieu d’adresser le problème. Pourquoi un tel décalage entre la réalité et l’image que ces communautés ont d’elles-mêmes – libérées, égalitaires, ouvertes à tous les exclus ?

Dans une discussion intitulée « Pourquoi est-ce que Reddit est si anti-femmes ? », des membres de Shit Reddit Says soulèvent quelques bonnes raisons qui peuvent à mon avis s’appliquer à la culture geek dans son ensemble :

"

« En de nombreux aspects le ‘Redditeur typique’ fait partie des plus privilégiés de la planète et s’arrête rarement pour considérer ce que ça veut dire et comment il pourrait sortir de sa propre tête. » « Je ne pourrais pas approuver plus. Autant que j’apprécie Reddit, on dirait un culte de mecs athéistes-geeks qui préfèrent rire à des memes [blagues] unilatéraux qu’engager des conversations significatives. Reddit essaie d’avoir l’esprit ouvert quand il s’agit de la Foire Aux Questions d’un professionnel du divertissement, mais ils échouent misérablement à rendre cet endroit moins sexiste. Nous avons tout à gagner d’un changement d’attitude. »

"La culture geek.

« La culture geek. Vraiment, c’est la culture geek. Sentiment que tout leur est dû ? Check. Glorification de l’immaturité ? Check. Complexe de martyr ? Check. Manque de contacts avec des femmes ? Check. Assurance de leur propre intellect tout-puissant ? Check. Mélangez et ça fait du ragoût de misogynie. »

"Je suis d'accord

« Je crois que [message du dessus] a raison à propos de la culture geek, mais il y a un aspect important qu’elle a oublié : manque d’éducation à propos de la société. Les mecs sur Reddit viennent typiquement de domaines scientifiques – beaucoup d’ingénieurs, beaucoup de programmeurs. Je crois vraiment que le manque complet de compréhension basique de la justice sociale sur Reddit, le manque de compréhension de la façon dont des oppressions passées continuent à exercer leur force sur le présent, reflète un échec plus large dans l’éducation aux humanités. (…) Leurs cursus scientifiques ne nécessitent pas beaucoup de bases en humanités ou en sciences sociales, alors ils grandissent complètement non-équipés d’outils pour penser la société de façon critique, et complètement inconscients de la façon dont les structures sociales influencent la vie de tout le monde – et ça leur est particulièrement invisible en tant qu’hommes majoritairement blancs, de classe moyenne, hétérosexuels, à qui l’ont dit que leur expérience et leur identité représente la norme. Beaucoup de Redditeurs pensent que si tu ne peux pas en écrire une équation, c’est de la merde sans valeur. Donc malgré leur peu de connaissances sur la question, ils ont confiance en leur propre jugement « éduqué », et ignorent la sociologie, la littérature, l’anthropologie etc en tant que « simples opinions » et rejettent tout ce qui ne correspond pas à ce qu’il leur est immédiatement intuitif – ce qu’ils ne feraient jamais pour des sciences dures. »

Régulièrement j’ai des gentils geeks blancs-hétéros-classe-moyenne qui viennent me parler de « l’oppression des geeks » – parce qu’on se serait moqué d’eux au lycée et que la fille dont ils étaient amoureux n’a pas voulu sortir avec eux. Ils parlent souvent de « nerdface » à propos de la série The Big Bang Theory, comme parallèle au « blackface » – les caricatures racistes du 19ème siècle. Un pote intelligent par ailleurs a insisté pour tirer des parallèles entre l’oppression des noirs, l’oppression des homosexuels…et l’oppression des geeks. Ils se sont mis à plusieurs pour parler d' »oppression institutionnalisée » à propos du fait que l’Etat utilise des formats Flash non-libres sur les sites publics. Voilà de quoi il s’agit quand on parle de complexe de martyr et de déconnexion des réalités : de jeunes hommes blancs cis-hétéros de classe aisée parfaitement ignorants de toute sociologie, aveuglés par leurs privilèges au point de se percevoir sincèrement comme opprimés par la société quand ils en forment la classe dominante.

Un terrain fertile pour les pires idées masculinistes qui circulent allègrement et sans contradiction dans ces espaces homogènes. Voici par exemple en quels termes 4chan « débat » du viol :

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« Le seul but de la chevalerie était de prévenir violence et viols envers les Femmes. Aux temps médiévaux, le fils ainé héritait tout, l’argent et la terre, les fils plus jeunes n’avaient rien et n’avaient donc aucune chance d’obtenir une femme. Les chefs médiévaux des débuts savaient bien que si de jeunes mâles hétérosexuels n’avaient pas accès à des femelles, violences et viols se produiraient et la société médiévale s’effondrerait. Alors, avec génie, ils créèrent la chevalerie, quelque chose à faire pour les jeunes hommes au lieu de violer. Mais dans les temps modernes, merci le féminisme, toutes les femelles baisent une sélection réduite de mâles alpha. Pour couronner le tout, elles prétendent aussi que tout acte de chevalerie est un viol. Ceci a mené à un nombre croissant de mâles hétérosexuels sans femelle (ceux qui deviennent homosexuels sont négligeables). Alors pourquoi ne devrais-je pas violer ? Et combien d’années pensez-vous que ça prendra à la société occidentale pour s’écrouler, à cause de jeunes mâles hétérosexuels agressifs et frustrés sexuellement ? » « Le viol est une fonction naturelle, les humains n’ont pas de libre arbitre. Le besoin de procréer est plus fort que le respect ou l’empathie pour les femmes. La société enseigne aux jeunes femmes à coucher avec 20% des mecs au lieu de chercher d’autres traits que le leadership et la force physique. 80% des hommes doivent violer parce qu’il n’y a pas d’autre moyen. »

…Tu la sens mon ignorance complète de toute histoire, sociologie, science humaine ? Tu la sens, la deshumanisation pseudo-savante ? Ma misogynie, mon anti-féminisme, l’apologie du viol au service d’un pathétique apitoiement sur moi-même, parce que je me sens terriblement lésé que les femelles ne se bousculent pas à mes pieds et que comme ça ne peut pas être ma faute c’est forcément celle de la société ? Le mythe habituel que les hommes sont des clébards en rut violents et dirigées par leurs bites, que je perpétue soigneusement parce que ça me fournit une excuse confortable pour me comporter comme un porc ? (Mais à part ça, c’est les féministes qui sont misandres, évidemment).

Et pourtant ils sont sûrs d’eux, ils en sont si persuadés, de la toute-puissance de leur intellect.  Voilà ce que ça donne sur un forum hacker, mêlé à la misogynie la plus crasse : « Quand tu recrutes pour un job qui requiert le top 1% de l’intelligence, c’est normal que tu te retrouves avec plus d’hommes que de femmes. »

La glorification de l’immaturité ne poserait pas tellement problème en soi si elle ne transformait pas des hommes trentenaires en perpétuels ados couillus et paillards, obsédés par les nichons mais terrifiés à l’idée qu’une femme infiltre leur petit boy’s club. Le genre de T-shirts humoristiques qu’on peut croiser en convention Linux…

Quant au sentiment que tout leur est dû…Je vais laisser cet extraordinaire message posté sur les forums Bioware parler de lui-même :

« Pour résumer, dans le cas de Dragon Age 2, BioWare a négligé sa démographie principale : le Gamer Mâle Hétéro.
Je ne pense pas que beaucoup me contrediraient sur le fait que l’écrasante majorité des joueurs de RPG sont effectivement hétéro et mâles. Bien sûr, il y a un nombre substantiel de femmes qui jouent aux jeux vidéo, mais généralement elles jouent à des jeux comme les Sims, plutôt qu’à des jeux comme Dragon Age. Je ne suis pas en train de dire qu’il n’y a pas un nombre significatif de femmes qui jouent à Dragon Age et que Bioware devrait laisser tomber complètement l’option de jouer un personnage féminin, mais il aurait dû y avoir beaucoup plus d’attention portée sur notre bonheur à nous, gamers masculins.
(…)
C’est ridicule que je doive même employer un terme comme « Gamer Mâle Hétéro » quand dans le passé j’aurais seulement eu à dire fans, mais c’est comme si lorsque les designers décidaient de comment allouer leurs ressources limitées, au lieu de penser « Nous avons des fans qui ont trouvé que Morrigan était géniale et d’autres qui ont trouvé que c’était une pétasse, et nous avons des fans qui ont aimé le combat et des fans qui ont détesté le combat mais aimé l’histoire. Comment contenter tous ces groupes ? » Au lieu de dire ça on dirait qu’ils ont pensé « Nous avons des hommes hétéros, des femmes hétéros, des gays et des lesbiennes. Comment contenter tous ces groupes ? »
Dans tous les jeux Bioware précédents, j’ai toujours senti que presque tous les compagnons du jeu étaient créés pour plaire au gamer masculin.Dans Dragon Age 2, il m’a semblé que la plupart des compagnons étaient conçus pour plaire en priorité à d’autres groupes, Anders et Fenris pour les gays et Aveline pour les femmes étant donné le manque de femmes fortes dans les jeux, et que le gamer mâle hétéro était une considération secondaire. C’est très dérangeant quand vos compagnons masculins n’arrêtent pas de flirter avec vous. Le fait qu’une option « Pas d’Homosexualité », qui aurait pu être implémentée facilement, fut omise prouve mes dires. Je sais qu’il y a certains gamers mâles hétéros que ça ne dérange pas et je le respecte. Quand je dis que Bioware a négligé le gamer mâle hétéro, je ne dis pas qu’ils ont ignoré les joueurs masculins. Les options romantiques, Isabella et Merrill, furent clairement créées pour le gamer mâle hétéro. Malheureusement, ces choix sont « exotiques ». Ils plaisent à une sous-catégorie de gamers masculins et même si c’est vrai qu’on ne peut pas créer une option romantique qui plaise à tout le monde, avec Isabella et Merrill on dirait qu’ils n’ont même pas essayé de faire quelque chose qui plaise à la plupart des hommes. Alors qu’ils auraient pu. Ils avaient les ressources pour ajouter une autre option romantique, mais à la place ils ont choisi d’implémenter une romance gay avec Anders.
Je suis sûr que certains vont déclarer « Mais c’est juste ! » mais soyons honnêtes. Je vais être généreux et supposer que 5% de tous les joueurs de Dragon Age 2 sont vraiment homosexuels. Je vais être encore plus généreux et supposer que la romance avec Anders a étée appréciée par tous les homosexuels. Allez-vous vraiment me dire que vous n’auriez pas pu écrire une autre romance hétéro qui aurait contenté plus de 5% de vos fans ?« 

Oui, c’est un vrai message. Extraordinaire ironie : observations féministes pertinentes sur l’uniformité hétéro-masculine du jeu vidéo, mises au service du pleurnichage indécent du fameux Gamer Hétéro Mâle qui tremble de voir ses privilèges remis en question au sein d’une culture qu’il considère comme sa propriété exclusive. Un gamer qui trouve intolérable de ne pas trouver de personnage féminin parfaitement à son goût dans le jeu et blâme les femmes & les personnes LGBT pour ce manquement terrible. Un gamer à qui la simple idée de romances homosexuelles optionnelles dans SON jeu donne des boutons. Qui trouve anormal que les développeurs cherchent, pour une fois, à contenter un public plus large que d’habitude ; après tout il n’y a que les hommes hétéros comme lui qui importent. Qui déplore que le mot « fan » ne regroupe pas seulement des gens qui lui ressemblent. Quand je vous dit qu’ils aiment leur petit club fermé…Heureusement, un écrivain Bioware s’est montré à la hauteur dans sa réponse :

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« Les romances du jeu ne sont pas pour le « gamer mâle hétéro ». Elles sont pour tout le monde. Nous avons beaucoup de fans, beaucoup d’entre eux ne sont ni mâles ni hétéro, et illes ne méritent pas moins d’attention. Nous avons de bonnes données, après tout, sur le nombre de personnes qui ont effectivement utilisé ce même type de contenus dans Dragon Age Origins [le jeu précédent de la série] et ainsi nous n’avons pas besoin de nous en remettre à des anecdotes pour prouver qu’elles ne sont pas insignifiantes…sans compter le fait qu’elles ont autant le droit de jouer comme elles le souhaitent que n’importe qui d’autre. Les « droits » de chacun sur un jeu sont au mieux nébuleux, mais quiconque adopte cette position doit l’appliquer également à la minorité comme à la majorité. La majorité n’a pas de « droit » inhérent à plus d’options que n’importe qui d’autre.
(…)
Si il y a un doute quelconque sur pourquoi [l’opinion précitée] peut être reçue avec hostilité, c’est une question de privilège. Vous pouvez balayer cela comme du « politiquement correct » si vous voulez, mais la vérité c’est que le privilège est toujours du côté de la majorité. Elle a tellement l’habitude qu’on la chouchoute qu’elle voit l’absence de chouchoutage comme une injustice. Elle ne voit aucun problème à ce que tout soit organisé pour leur plaire, quel est le problème ? C’est comme ça que ça devrait être et tous les autres devraient être habitués à ne pas avoir ce qu’ils veulent.
(…)
Et la personne qui dit que la seule façon de leur plaire est de restreindre les options des autres est, à mon avis, celle qui en mérite le moins. Voilà mon opinion, exprimée aussi poliment que possible. »

Notez comme cet exemple et d’autres cités précédemment reposent sur une illusion extrêmement répandue mais fallacieuse : les hommes hétéros « étaient là avant », « étaient les premiers », et auraient donc un droit inhérent et supérieur sur la culture et les communautés geeks. Un mythe dont les petits caïds d’Internet aiment se régaler, comme en témoigne cette image qui a fait la frontpage de Reddit tellement elle recueilli de partages et votes positifs :

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« Une histoire des femmes et des jeux vidéo à travers les années » Les 10 premières années, femmes méprisantes : « Regarde ce loser et ses jeux vidéo ». Puis femme en mal d’attention, imposteuse s’appropriant les codes de la culture sans les comprendre (Fake Geek Girl…). Enfin, femmes exigeant que les jeux vidéo se plient à leur volonté. En bref : ces vilaines femelles qui nous méprisaient veulent maintenant s’accaparer NOS jeux vidéo.

C’est faux sur toute la ligne. Ces mecs ont commodément oublié que c’est grâce au travail d’innombrables chercheuses qu’ils peuvent aujourd’hui jouer aux cracks de l’informatique et que leurs soeurs ont grandi manettes en main, exactement comme eux.

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Même si cette fabulation était vraie, en quoi cela justifierait-il leur refus d’accueillir de nouveaux publics ?

« La geekerie est définie par la joie de partager une passion. C’est la grande différence entre le geek et le snob, vous savez : quand un snob voit quelqu’un d’autre aimer ce qu’il aime, il dit ‘oh non, voilà que les mauvaises personnes aiment ce que j’aime’. Quand un geek voit quelqu’un d’autre aimer ce qu’il aime, il dit ‘OH MON DIEU TU AIMES CE QUE J’AIME AIMONS-LE ENSEMBLE’. N’importe quel connard peut aimer quelque chose. C’est le partage qui rend la geekerie formidable. »

Et pourtant, on en est arrivé à une culture exclusive de mecs pour des mecs, viriliste à crever, discriminante. Pour certains ce ne sera visiblement jamais assez :

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Alors qu’y faire ? Si vous êtes arrivé.e jusqu’ici, on peut espérer que vous soyez au moins un peu convaincu.e de la réalité du problème, mais comment l’adresser ? Comment traiter un mal si pervasif, si bien implanté qu’il en devient presque invisible aux membres du système ?

C’est attaquer l’océan à la petite cuillère, il faut bien le dire. C’est bien pour ça qu’il est important qu’on soit nombreux.ses à s’y mettre, et fort heureusement, il y a une myriade de possibilités pour agir à votre niveau.

Identifier les problèmes. C’est la première étape, la plus importante : reconnaître les situations problématiques pour ce qu’elles sont, ne pas les nier ou leur chercher des excuses à tout prix. Ouvrir les yeux et accepter le souci, en bref. Combien d’instances de machisme gras avez vous ignorées, tellement habitué.e que vous ne les voyez même plus ? Combien de fois avez vous ri, franchement ou avec inconfort, devant quelque chose qui à y repenser était plus répugnant que drôle ? Combien de fois, confronté.e au sexisme dans vos espaces geeks, vous êtes vous dit quelque chose du genre « c’est Internet, c’est comme ça », « c’est pas si grave », « c’est juste de l’humour » ? Soyez honnête : ça vous a trotté dans la tête tout au long de cet article. C’est extrêmement inconfortable d’accepter qu’il y a quelque chose de pourri dans un média, une communauté qu’on aime (mais c’est une preuve d’amour que de chercher à régler le problème). Même si rien dans cet article ne vous a convaincu, si d’ici quelques temps vous vous trouvez dans une situation qui vous fait penser « tiens, ça plairait pas à l’autre chienne de garde hystérique, ça », vous aurez identifié le sexisme; c’est un premier pas.

Informez-vous. Corollaire évident du point précédent…Les sciences sociales sont précisément cela : des sciences, pas des opinions de comptoir. Sociologues, anthropologues, historiens et féministes ont mis au jour les dynamiques sociales avec des concepts et un vocabulaire précis permettant de théoriser les oppressions sur la base de faits objectifs. Aujourd’hui grâce à Internet ces savoirs sont plus accessibles que jamais et deviennent applicables à la culture populaire…En anglais,  de très nombreux sites entièrement dédiés à l’analyse féministe de la culture geek ont fait surface : The Mary Sue et Geek Feminism Wiki constituent d’excellentes portes d’entrée généralistes sur la question et une simple recherche vous permettra de trouver d’innombrables blogs sur le sujet qui vous intéresse. En français, tout reste à construire mais l’intérêt pour le sujet est croissant. Le blog de sociologie de Denis Colombi fournit des bases théoriques solides, le tout nouveau blog collaboratif Cultures G(enre) rassemble des analyses sur les sujets les plus variés et inattendus…Twitter regorge également de féministes francophones & anglophones extrêmement actifs.ves sur la pop-culture : écriture et partage d’articles, analyses, débats…Vous pouvez également jeter un oeil à ce Pearltree collaboratif, extrêmement fourni bien qu’un peu bordélique, qui saura vous fournir des heures de lecture sur le sujet qui vous intéresse. Et bien entendu, j’ai pris soin de parsemer cet article d’une multitude de liens qui de clic en clic vous mèneront de plus en plus loin…Les portes vous sont ouvertes.

Intervenir en situation problématique. C’est bien entendu la forme d’action la plus directe et aussi la plus difficile – exprimer publiquement son désaccord avec ce qui se passe, expliquer le problème, dire clairement « ceci est inacceptable ». Je sais, c’est très inconfortable, ça peut vous mettre en porte-à-faux avec des gens qui vous tiennent à cœur, vous êtes timide etc… Souvenez-vous cependant : si vous gardez le silence, vous n’êtes pas neutre. Pour reprendre les mots de Desmond Tutu : « Si vous êtes neutre en situations d’injustice, vous avez choisi le camp de l’oppresseur. Si un éléphant a le pied sur la queue d’une souris et que vous vous prétendez neutre, la souris n’appréciera pas votre neutralité. » Encore une fois, la tolérance généralisée valide tacitement les comportements nauséabonds. Personne ne vous demande d’être irréprochable, d’élever la voix à chaque fois, de vous brouiller avec tous vos groupes d’amis; mais souvenez vous que votre silence a un poids. Souvenez-vous aussi que la possibilité de rester observateur silencieux est déjà un privilège que ne partagent pas ceux – ou en l’occurrence, celles – contre qui l’agression est dirigée. Alors exprimez votre désaccord de la façon qui vous convient, mais autant que possible, ne restez pas sans rien dire. Cet article (en anglais) propose quelques pistes : analyser et interroger la situation (« Pourquoi agir ainsi ? Pourquoi c’est considéré comme drôle ? »), essayer de renverser la perspective (« Tu en penserais quoi si tu étais une femme qui subit ça au quotidien ? »), employer l’humour (dénoncer par le sarcasme, ridiculiser le sexisme permet d’inverser la vapeur de façon puissante), expliquer que tolérer le sexisme nuit à toute la communauté, employer son propre privilège (si vous êtes reconnu dans le groupe, on vous écoutera plus aisèment; de même si vous êtes un homme, que d’autres hommes écouteront plus volontiers qu’une femme même – surtout – sur des questions de sexisme !)

Témoigner du soutien. Si vous n’avez pas le courage d’intervenir en public, signifiez au moins aux victimes d’agressions sexistes que vous êtes de leur côté. Il est extrêmement décourageant, face au rejet et à la discrimination, de se retrouver sans soutien face à une foule silencieuse. Qui ne dit mot consent, et c’est ce qui est le plus excluant au final : savoir que la situation ne choque personne, que la présence des connards est préférée à la votre. Un simple message du style « c’est pas cool ce qu’il t’a dit », « ne te laisse pas décourager » remonte le moral et aide à se sentir moins seul. Si c’est toute l’étendue de votre action, ne vous étonnez pas cependant si vous êtes reçu avec agacement : un simple soutien moral exprimé en privé est une position bien confortable pour soulager votre conscience, mais ne vous engage pas vraiment…Vous ne pouvez pas prétendre lutter contre la discrimination sans jamais prendre position contre elle.

Réagir aux contenus. Avoir un recul critique sur vos médias préférés est une preuve d’amour : relever les contenus sexistes, racistes etc n’est pas une trahison mais une volonté d’amélioration. Vous êtes les consommateurs, les clients de ces industries créatrices : exigez des contenus de qualité. Vous n’achèteriez pas un comic mal imprimé, un jeu vidéo bourré de bugs…mais les mêmes truffés de contenus nauséabonds, sans problème ? Exprimez-vous, discutez les contenus problématiques sur les réseaux sociaux, sur votre blog…Il y a plus de façons de se faire entendre que jamais auparavant, profitez-en pour contribuer à l’amélioration de vos médias. Il n’y a pas de mal à apprécier des contenus problématiques, mais il est redoutable de nier leurs défauts. Faites comprendre aux créateurs que vous attendez mieux de leur part…et si vous vous sentez, votez avec votre argent.

Exigez des communautés saines. Ceci vaut aussi bien IRL que online. Faites établir le refus sans ambiguïté du sexisme, racisme, homophobie et autres discriminations dans les chartes de conduite des espaces que vous fréquentez et, surtout, faites les appliquer. Dans les espaces privés tels que les conventions, forums et autres, ces chartes font office de loi : pas de passe-droit pour les membres de statut élevé, et certainement pas pour les modérateurs qui doivent être exemplaires. Voici un formidable exemple de modération qui ne tolère pas le sexisme – l’un des seuls dont j’ai jamais été témoin en espace geek. Une joueuse de Dredmor, un roguelike extrêmement difficile, réussit un exploit au sein du jeu et se rendit sur le forum de la communauté pour en discuter, expliquer comment elle avait fait…Il suffit d’une journée pour qu’un connard l’envoie à la cuisine.  N’importe où ailleurs, cette « blague » serait passée comme une lettre à la poste, le blâme serait tombé sur la joueuse indignée : « pas d’humour… » « second degré… » « politiquement correct… » Mais pas sur ce forum. Voici la réaction du modérateur :

"

« Bon, ça c’est fait. Bannissement temporaire, et je me retiens considérablement. Je ne tolérerai pas cette « blague sandwich » foutument stupide qui marginalise les joueuses dans la communauté et dans la vie en général. C’est précisément l’inverse de l’environnement que nous voulons créer ici. Je laisse tous les messages en guise d’avertissement pour l’instant, mais j’effectuerai un bombardement orbital si le sujet refait surface. Circulez, plus rien à voir ! (…) »

Il a également posté un message d’excuse au nom de la communauté sur le blog de la joueuse, puis pris le temps d’expliquer les choses plus en détail au membre en faute :

"

« Salut [membre], imagine à quel point ça serait aliénant si la première réponse que tu avais sur tous les forums était une « blague » qui dit que toi et tous les gens comme toi ne sont bons qu’à être des servants en cuisine – tu n’as pas le droit de participer ou d’exceller, rien que tu dises n’a d’importance. (Ça peut être pire – au moins, ce n’était pas l’odieux « Nichons ou dégage »). Oui, le sexisme ordinaire et irréfléchi est vraiment si omniprésent dans de nombreuses communautés gamer. // Tu as déjà été harcelé ? Tu as sûrement déjà eu droit à de telles « blagues » sous une forme ou une autre. Tu joues le jeu, tu prétends pathétiquement qu’elles sont drôles pour apaiser le harceleur, dans l’espoir de te faire apprécier pour que peut-être il arrête ? Ils arrêtent ? Et ça te fait te sentir comment, de te soumettre à ta propre moquerie; c’est exaspérant très, très vite. // Je sais que ce n’était pas ton intention, pour toi c’est juste un peu d’humour léger, mais c’est vraiment très pénible quand on en est la cible et ça donne le ton pour la communauté en général, même sans faire exprès. Et la blague « sandwich » est si courante que c’est le titre d’une conférence à GeekGirlCon, regarde : [description d’une conférence à une conférence geek-féministe, sur le harcèlement sexuel en ligne].  Ou regarde Fat, Ugly or Slutty pour voir comment sont traitées les femmes qui jouent sans cacher leur genre. Je pourrai continuer – une simple recherche « sexism in gaming communities » ou quelque chose du genre te donnera plein de sources pour comprendre ma réaction ici. // Voilà. Et pour être clair je n’en débattrai pas parce que j’ai épuisé ma patience pour les non-débats sur Internet il y a très, très longtemps. Maintenant que, bizarrement, j’ai participé à créer un jeu et que ce jeu a un forum, je ne tolérerai pas un ton qui aliène quiconque de traditionnellement oppressé par les communautés gamers, que ce soient les femmes, les personnes LGBT, etc. – même inconsciemment. D’où ma rage instantanée et le bannissement. // Toutefois j’apprécie ton désir de te faire pardonner. J’espère que tu comprendras ma position sur ce sujet. // [Joueuse] n’a pas à te répondre si elle ne le souhaite pas et elle ne te doit rien; si elle ne veut plus jamais avoir affaire à toi c’est son droit et ce sera respecté. »

 C’est un peu triste que j’aie envie d’envoyer des fleurs à ce type tellement ce genre de prise en main efficace est exceptionnel.

Servez-vous des outils mis à votre disposition…ou créez les. « Le bouton Signalement ne sert à rien ! » Oui, parce que personne ne l’utilise. Et pourtant il est là pour une raison. Les membres peuvent généralement contribuer à assainir l’espace communautaire en utilisant les moyens mis à leur disposition à cet effet; hélas, dans de nombreux cas le problème est si omniprésent que de nombreuses personnes renoncent à les employer, découragés ou sous l’impression fallacieuse que « c’est normal ». « C’est normal » précisément parce que toléré sans représailles – les comportements dégueulasses fleurissent au point de devenir monnaie courante, considérés comme partie inhérente de l’expérience. Reprenez le pouvoir sur les trolls ou leur comportement continuera à salir les communautés qui vous tiennent à cœur. Si les outils disponibles pour cela sont insuffisants, retroussez-vous les manches ! Pour pallier à l’absence totale de charte et de contrôle anti-harcèlement sexuel en convention par exemple, des geek-féministes américaines ont mis en place la distribution de « Creeper Cards », des cartons jaunes et rouges pour signaler les comportements inappropriés de façon simple et claire. L’initiative s’est montrée efficace et s’est répandue dans de nombreuses conventions aujourd’hui. En ligne, les moyens d’action sont encore plus simple à mettre à place mais doivent faire face à plus de résistances et de mauvaises volontés en raison de la culture d’impunité du web…En ce qui concerne le jeu en ligne par exemple, cette vidéo suggère de nombreuses pistes intéressantes : muter par défaut le micro des joueurs mutés anormalement souvent par les autres joueurs, mettre en place des jauges de réputation communes pour les guildes et autres teams afin que les comportements répréhensibles impactent l’ensemble du groupe et soient ainsi découragés en interne…Les possibilités sont extrêmement nombreuses, manque juste un peu de bonne volonté pour les mettre en place.

Ces suggestions sont volontairement généralistes afin d’être adaptables à la culture geek dans toute sa variété. Le principal – et ce qui manque le plus – c’est la volonté claire et honnête d’améliorer la situation, de bousculer ce statu quo puant qui règne sur notre culture. Sortez la tête du sable – vous pouvez faire partie du problème, ou faire partie de la solution.

whoareyou

Un immense merci à toutes celles et ceux qui m’ont aidé à rassembler le matériel pour ce dossier, et à @A_C_Husson, @_LaMarquise, @placardobalais, @Gugli_, @uneheuredepeine et @Ptit_Cheminot pour la relecture.

Joystick : apologie du viol et culture du machisme

Retour de Mar_Lard, pour un coup de gueule contre Joystick, un magazine de référence sur les jeux vidéo.

(TRIGGER WARNING : Cet article contient des références explicites au viol et aux agressions sexuelles.)

EDIT: le magazine Joystick a publié une réponse sur sa page Facebook.

Laissez-moi vous conter une histoire.

Hier, alors qu’en route pour visiter sa Mère-Grand elle attendait innocemment son train, la douce et pure @NeukdeSogoul s’aventura dans la forêt obscure du kiosque à journaux. Au lieu de se diriger immédiatement vers le rayon Féminins comme une bonne petite fille, elle s’est égarée du coté des magazines de jeux vidéo, la vilaine. Et tel le délicat papillon attiré par l’ampoule chauffée à blanc, sa morbide curiosité se trouva aiguisée par cette couverture de si bon goût :

L'ile de la Punition : TOMB RAIDER. Fini l'innocence : Lara a vu le loup !

Et elle fut édifiée.

Comme elle sait que je kiffe la misogynie et encore plus dans mes jeux vidéo, elle m’a signalé le dossier en question.

Ca vous donne une idée si je vous dis qu’en tant que gameuse passionnée ET féministe j’ai une certaine habitude de la misogynie bien enracinée dans le milieu, mais que pour lire ces dix malheureuses pages j’ai dû m’y prendre à plusieurs fois tellement j’avais envie de gerber ?

Donc on va en parler. En détail. Disséquer la charogne.

On va pas discuter de la misogynie bien puante du dernier Tomb Raider ; d’abord parce que j’en ai déjà touché un mot à la fin de cet article et surtout parce que beaucoup l’ont fait mieux que moi.

Non, aujourd’hui on cause du climat toxique soigneusement perpétué par l’industrie, la presse et les communautés du jeu vidéo pour exclure nos vagins crados de leur joyeux petit club macho. Ce climat d’entre-couilles, qui considère des articles comme la bouse qu’on va étudier, ou celle-ci, parue la même semaine, comme acceptables et même hilarants.

Ouais Joystick tu vas un peu prendre pour tout le monde là. Faut dire t’as poussé le bouchon un peu loin.

Tomb Raider, c'était hype en 1996 et déja ringard en 1998. Il était temps que ça change ! Et tant pis si, pour aboutir à un résultat séduisant, il faut malmener l'héroïne autant que peut l'être une actrice de gonzo SM.

Ouf, la couverture n’était pas un incident isolé, on va en avoir pour notre argent. On commence donc avec cette comparaison très classe entre Lara Croft, icône vidéoludique par excellence du personnage féminin fort et indépendant, et une actrice de porno gonzo. Le gonzo étant, pour ceux qui ne partageraient pas cette référence culturelle de haute volée, une forme de pornographie particulièrement hardcore et souvent extrêmement macho (ouep, encore plus que la pornographie standard, c’est dire). Au moins ça annonce la couleur. Notez également la référence au SM, on va y revenir.

Objet féministe à la base (le fameux "girl-power" qu'on nous avait vendu à l'emporte-piece), Lara a progressivement été transformée en sex-symbol pour puceaux. Tres vite, il n'a en fait plus été question de Tomb Raider mais uniquement de Lara Croft.

Et on entame par un epic fail en connaissances vidéoludiques, ça la fout mal pour un journal spécialisé. Comme je l’ai expliqué plus en détail ici, non, Lara Croft n’a pas été pensée comme « objet féministe » (j’aime bien l’antinomie) à la base. Elle a été modelée avec amour pour flatter l’œil du joueur masculin hétéro. Lorsqu’interrogé sur ses raisons pour faire d’une femme l’héroïne d’un jeu d’aventure 3ème personne, son créateur Toby Gard répondit : « Si le joueur va regarder un cul pendant des heures et des heures, autant que ce soit un joli cul.» Sans parler du marketing qui s’en est donné à cœur joie dès le premier opus pour exploiter l’aventurière comme un objet sexuel. N’en déplaise à l’auteur, Lara Croft est un pur produit patriarcal, un « sex-symbol pour puceaux » de la première heure, et non un brulôt de l’affreux lobby féministe. Notez au passage la petite attaque latérale : « Haha elles nous ont bien fait chier avec leur girl-power hein ».

Un reboot. Une remise à plat de toute la série, comme une à l'encontre d'une héroine-starlette qu'il faut remettre à sa place, quitte à humilier et à la souiller sans aucun ménagement. Ca, c'est l'image que j'avais du futur jeu avant de le voir tourner pendant une bonne heure il y a quelques jours. Et sans vouloir me vanter autant qu'un Eddie Walou devinant tout The Elders Scrolls Online avant l'heure, la séquence entrevue n'a fait que confirmer ma prédiction de gros vicelard. Oui, Lara prend cher dans Tomb Raider (titre brut de décoffrage). Et oui, tout cela est concoté sciemment des mains de tous ces pervers qui officient en tant que développeurs chez Crystal Dynamics. Mais ca tombe bien : pervers, je le suis aussi.

Ca se précise. Lara Croft est une femme trop forte, trop indépendante, trop sexy ; sa puissance, attribut typiquement viril, dérange le male peu sûr de lui.

Ce gros dégoutant ferait bien de profiter de ses dernieres secondes de virilité

Faut dire, la virilité selon Joystick : mettre à terre une femme ligotée et la menacer avec un pistolet.
On a les standards qu’on mérite…

« Papa va te la rectifier, ta bite mentale », écrivait Despentes. Comment ose-t-elle exercer un tel pouvoir sur les hommes ? Non, vraiment, il faut la « remettre à sa place (de femme), quitte à l’humilier et à la souiller sans ménagement ». Le vocabulaire vous évoque celui de l’agression sexuelle ? L’auteur ne s’en cache pas, au contraire ; « gros vicelard », « pervers » assumé, il se frotte les mains (la bite) à l’idée de participer à la punition. Briser les idoles, faire tomber la déesse de son piédestal, la foutre à quatre pattes au milieu d’une bonne tournante et lui gicler au visage, la salope. Hé, c’est pas moi qui ai parlé de gonzo en premier.

Allez, je me lance dans une théorie fumeuse. Pour moi, Tomb Raider est concu comme un "rape and revenge", genre cinématographique qui, comme son nom l'indique, présente en premier lieu le calvaire charnel d'un personnage avant de mettre en scene sa vengeance. Bon, ici, il n'y a pas de viol a proprement parler. Mais les mésaventures de Lara sont suffisamment éloquentes et suggestives pour qu'on puisse y voir des métaphores obscenes. En gros, Tomb Raider, le reboot, nous permet de découvrir l'héroine toute fraiche et pimpante. Elle a 21 ans. Elle arbore un visage juvénile, des formes tout ce qu'il y a de plus décentes et un accent de snobinarde anglaise qui la rend a la fois sexy et insupportable.

Puisqu’on est dans le porno, l’auteur se fait un plaisir de nous présenter l’actrice, ou plutôt ses attributs principaux : son âge, son corps…sa baisabilité quoi. C’est marrant, j’aurais juré qu’on parlait d’une archéologue-aventurière,  héroïne de l’une des plus célèbres franchises de tous les temps, dans un magazine appelé Joystick et non Playboy. J’ai dû me tromper.

« A la fois sexy et insupportable » ? On retrouve l’attitude bien assumée plus haut : je te désire mais je te crache à la gueule. Sois belle et tais-toi, salope.

Mais ce qui m’intéresse le plus ici, c’est surtout l’expression « calvaire charnel ». Immonde euphémisme pour occulter la réalité du viol. Ça ne fait que fantasmer dessus pendant tout l’article et ça n’a même pas le courage d’appeler un chat un chat. Comme deux mots peuvent en dire long ! Petit florilège de réactions :

(Cliquer pour agrandir)

Méconnaissance, minimisation et même érotisation.  Réduire le viol à sa dimension physique, c’est éclipser totalement la violence psychologique qui fait toute la particularité de ce crime : rapports de domination, humiliation sexuelle, traumatisme. L’expression employée ici a aussi l’avantage de faire disparaître l’agresseur : à croire que la victime s’inflige d’elle-même son « calvaire », mot généralement associé aux martyrs religieux ! Comme c’est confortable d’éclipser toute notion d’agression criminelle…

“Calvaire charnel” n’est pas une expression de victime qui décrit son viol, ni une expression des femmes qui craignent la réalité du viol au quotidien. C’est une expression d’homme hétérosexuel qui fantasme sur une idée érotisée du viol. Et nul ne met mieux le doigt dessus que ce pigiste de chez Joystick venu défendre son collègue :

En revanche, il s'enflamme (peut-etre) maladroitement pour une esthétique SM et le fait qu'on malmene une icone du jeu vidéo...

Ouep. Apparemment chez Joystick ils font l’amalgame viol/SM. De fait, tout l’article fait appel au champ lexical du porno, sans compter la référence explicite dans le chapeau.

Ça m’effraie un peu de devoir te le faire remarquer, Joystick, mais t’as pas l’impression de zapper une distinction essentielle là ? Mais si tu sais, ce détail qu’on appelle le consentement. Le truc qui fait que pour le SM on parle de partenaire alors que pour le viol on parle de victime. Le sexe ça se pratique à deux, Joystick (ou plus mais là n’est pas le sujet) : passer outre et prendre de force ce qui n’est pas donné, ça ne relève plus de la sexualité mais de l’agression. C’est la non-considération du consentement, la négation de la volonté de l’autre qui fait du viol un crime, tu vois. Et c’est pour ça que parler d’agressions sexuelles comme si il s’agissait simplement de sexe un peu hardcore, c’est très grave, Joystick. C’est irresponsable pour un magazine dont le lectorat est majoritairement constitué de jeunes hommes d’occulter complétement la question du consentement, tu trouves pas ? Oui, même quand tu parles d’un personnage fictionnel, c’est pas le problème.

Mais passons...apres s'etre échappée et s'etre rafistolée tant bien que mal, Lara est a nouveau capturée par les bad guys. Et encore une fois, la tension sexuelle malsaine et à son comble. La miss est plaquée au sol, les mains attachés dans le dos. Je ne peux pas croire que Crystal Dynamics ait obtenu ce résultat innocemment. Surtout que l'ambiance sonore est saturée des gémissements de la belle et des insultes grivoises proférées par ses agresseurs. Franchement, en termes de mise en scene, Tomb Raider part dans une direction que je trouve a la fois culottée (ahah) et originale. Faire subir de tels supplices à l'une des figures les plus emblématiques du jeu vidéo, c'est tout simplement génial. Et si j'osais, je dirais meme que c'est assez excitant. Le Croft Fort Mais dans "Rape and Revenge", il y a "rape" mais il y a aussi "revenge". Hé ouais ! Concretement, dans Tomb Raider, on peut estimer que le calvaire de Lara va s'étaler sur les deux premieres heures de jeu. Le reste du temps est consacré a sa vengeance, la belle souhaitant rendre au centuple tout ce qu'elle a subi au début de l'aventure. Mais avant de devenir une vraie guerriere et d'émasculer a tour de bras, Lara doit avant tout réussir certains rites de passages. Des "premieres fois", en quelques sorte. Tout d'abord, pour trouver de quoi manger, elle tue un daim. Cette séquence, qui n'est en fait rien d'autre qu'un tutorial pour apprendre à se servir de l'arc, est là aussi tres symbolique. Elle représente la fin de l'innocence...

On arrive au point d’orgue là. L’auteur s’est bien chauffé sur quatre pages, il se sent plus, il jouit ouvertement à l’idée de voir une femme violentée sexuellement par une bande de brutes. « Et si j’osais, je dirais même que c’est assez excitant » : vouep, c’est bon mec, avec le nombre d’allusions libidineuses que tu nous sors depuis le début on avait compris que ça te faisait bander. Et tant mieux pour toi, hein, si la violence et la soumission c’est ton kiff ; encore une fois j’espère juste que dans la vraie vie tu as une vague notion du consentement. Parce qu’à te voir te branler ainsi sur des agressions sexuelles évidemment non-sollicitées,  tu me pardonneras mais c’est pas évident.

Ce qui me dérange déjà plus c’est que tu le fasses de façon publique et assumée : qu’il t’ait paru parfaitement acceptable d’étaler ton foutre dans les pages d’un magazine grand public, orienté jeunes et qui a pour sujet les jeux vidéo. Ce qui me fait franchement chier, c’est que tu le fasses de façon si assumée, sûr de toi, assuré de la complicité de ton public : tu parsèmes ton article de blagues vicelardes et de clins d’œil grivois, comme si tu étais certain que ton lecteur partage tes goûts et qu’il allait lui aussi partir d’un gros rire gras à l’évocation d’une femme abusée. Et ce qui m’emmerde au plus haut point, c’est que pas un seul de tes collègues, relecteurs ou rédac-chef n’ait haussé un sourcil à l’idée de publier ça.

Il y a plusieurs raisons à ce dérapage improbable.

La première c’est la misogynie ordinaire. Parce qu’étrangement, je ne crois pas que l’auteur se permettrait les mêmes commentaires à propos d’un héros masculin. J’attends le magazine qui nous pondra 6 pages du même acabit sur Nathan Drake. On le présenterait seulement  en ces termes : « Il a 29 ans. Il arbore un visage basané, des muscles tout ce qu’il y a de plus décent et une attitude insolente américaine aussi sexy qu’insupportable ». « Sa bite bien moulée dans son jean émoustille les jeunes ados ces dernières années ! »

Et pas seulement parce que sa paire de tétés pointus a émoustillé le tout jeune adolescent que j'étais au siecle dernier.

J’invente rien : 3eme phrase de l’article

On se réjouirait de voir l’impertinent héros « remis à sa place », « humilié » et « souillé »   par les multiples sévices qu’il subit, auxquels on prêterait forcément un caractère sexuel. « On met Nathan au court-bouillon ! » On le comparerait à un acteur de porno gay qui se ferait gang-banger. On se taperait dans le dos entre « vicelard(e)s » et « pervers(e)s » à voir ce mec torturé pour notre plaisir. On chercherait des interprétations pseudo-freudiennes à ses moindres actions : « il escalade une tour, c’est un symbole phallique, il accède a la virilité ». On trouverait sa « vulnérabilité » touchante, parce que ça donne envie de l’ « aider », de le protéger. D’ailleurs on le désignerait par des petits mots affectueux du style « le mecton », « le p’tit gars », « le godelureau ». Et pour parler d’une scène où Nathan se retrouve plaqué au sol, attaché et à la merci de ses ennemis : « L’ambiance sonore est saturée des gémissements du mignon et des insultes grivoises proférées par ses agresseurs. Franchement, en termes de mise en scène, Uncharted part dans une direction que je trouve à la fois couillue (ahah) et originale. Faire subir de tels supplices à l’une des figures les plus emblématiques du jeu vidéo, c’est tout simplement génial. Et si j’osais, je dirais même que c’est assez excitant. »

Non, en fait, je veux vraiment, vraiment pas lire ça non plus. Parce que quel que soit le sexe concerné, c’est insultant, dégueulasse, horrifiant et ça n’a rien à faire dans un magazine un tant soit peu professionnel. Et pourtant, envers les femmes, c’est non seulement parfaitement accepté mais très courant. « Nul sexisme là-dedans », nous expliquent les mecs qui pondent ce genre de choses à longueur de temps en guise « d’analyse » : « c’est tout simplement une question d’appréciation esthétique ! » Ben voyons…*toussetousse*patriarcat*toussetousse*

Au passage, notez qu’une femme forte, guerrière est forcément castratrice. Evidemment. Qu’est-ce que ça pue, l’insécurité masculine…

La deuxième raison, c’est la Rape Culture – la culture du viol. C’est-à-dire le mécanisme écrasant qui minimise, tolère, esthétise voire même encourage le viol dans une société patriarcale, et dont l’article de Joystick est donc un triomphant représentant. La Rape Culture, c’est la raison pour laquelle on estime qu’au moins une femme sur cinq dans le monde est victime d’agression sexuelle, et pourquoi malgré ce chiffre énorme le problème semble toujours bien lointain à ceux qui n’en sont pas victimes (1 sur 5, ça veut dire que dans votre entourage proche, vous connaissez au moins une femme qui a été victime de violences sexuelles dans sa vie. Forcément. Même si vous ne le savez pas.) C’est la raison pour laquelle subsistent tant de mythes et d’ignorance sur le viol, qu’on envisage encore largement comme le fait d’inconnus, dans une ruelle sombre la nuit (et donc comme un hasard inéluctable et malheureux dont il faudrait se prévenir, comme la foudre, au lieu d’un phénomène social intégré à notre culture et à notre éducation), alors que 80% sont le fait de proches, dans des lieux familiers.  C’est la raison pour laquelle l’immense majorité des agressions ne sont jamais signalées (et donc pourquoi on estime que le chiffre d’une sur cinq est encore largement en dessous de la réalité) : parce que le viol est le seul crime pour lequel on soupçonne la victime et non son agresseur. Car une victime qui avoue s’inflige un deuxième traumatisme : celui de voir son comportement décortiqué, sa parole mise en doute (« Elle portait une jupe, elle l’a un peu cherché », « Tu es sure que tu ne le désirais pas, au fond ? Tu lui as peut-être envoyé des signaux contradictoires… »), et de se voir stigmatisée a jamais, de devenir « la violée » – définie par son viol, réduite à ce qu’elle a subi. C’est la raison pour laquelle on éduque les femmes dans la peur, qu’on leur apprend à se terrer, à restreindre leurs libertés au lieu d’apprendre aux hommes à ne pas violer. C’est la raison pour laquelle on voit des pubs comme celle-ci et qu’on peut entendre des conneries pareilles sur Inter : le viol fait l’objet d’une esthétisation comme nul autre crime. C’est la raison pour laquelle l’idée du viol comme initiation, rite de passage pour un personnage féminin n’a rien d’original ou d’osé – c’est simplement un schéma paresseux qui évite aux scénaristes d’écrire des personnages féminins complexes et intéressants. C’est la raison de l’existence du genre cinématographique « Rape & Revenge » évoqué dans l’article, que Despentes analyse fort bien dans King Kong Théorie : en plus de permettre au réalisateur de mettre en scène son fantasme du viol, il calque dessus une réaction typiquement virile (la vengeance) et ainsi adresse aux femmes le message accusateur « Mais pourquoi vous ne vous défendez pas plus violemment ? » Et c’est la raison pour laquelle l’auteur Joystick s’est non seulement permis une phrase comme « Faire subir de tels supplices à l’une des figures les plus emblématiques du jeu vidéo, c’est tout simplement génial », mais qu’en plus il en était suffisamment fier pour la faire figurer en citation vedette :

Le fond de la Rape Culture ? Les victimes de viol sont à 91% des femmes, les agresseurs sont à 99% des hommes. Problème de gonzesse… *toussetousse*patriarcat*toussetousse*

La troisième raison est plus spécifique : il s’agit de l’insupportable tribalisme de la geekosphère qui s’applique à exclure méthodiquement quiconque n’est pas un jeune cis-homme1 blanc hétérosexuel vaguement cynique. La notion même de « geek » s’est construite sur un ressenti d’exclusion sociale : le geek est un marginal, et le revendique.  La communauté, soudée et légitimée par cette expérience commune, se replie dans cette position de martyr qui devient soudain flatteuse : « nous sommes différents et incompris ». Les activités typiquement geek ne correspondent pas vraiment aux idéaux de virilité traditionnels : sédentaires, plus portées sur l’intellect que le physique…  D’où le cliché du « nerd » gringalet, boutonneux, timide, dévirilisé. Et la geekosphère de s’emparer de ce stéréotype pour le transformer en mesure de prestige : etre « le plus gros geek », celui qui est le plus accroc à son écran, celui qui sort le moins, celui qui cumule le plus gros uptime, celui qui n’a pas couché depuis le plus longtemps…une autre forme du concours de bites. On parle de « covert prestige » : une nouvelle valorisation de soi au sein d’un groupe social peu prestigieux dans l’absolu. Bref, cette communauté pourtant définie par un sentiment d’oppression et d’aliénation vis-à-vis des injonctions sociales traditionnelles eut tôt fait de les répliquer en son sein…Et comme souvent, le persécuté devint lui-même persécuteur. Plus que le non-geek auquel il oppose une méprisante indifférence, le geek hait ce qu’il considère comme le « faux geek » – l’ imposteur qui a l’audace de partager ses centres d’intérêts sans se conformer parfaitement aux codes de la communauté. Le « casual » qui n’investit pas autant de temps et de passion que lui dans son loisir, le « n00b » qui débute, le « kevin » qui est trop jeune pour geeker « correctement »…Les femmes et les LGBT semblent tout particulièrement insupportables, car il n’est pas pire macho que celui qui est en mal de virilité. C’est pourquoi « gay » continue à être l’insulte par défaut dans les communautés gamers et jusque dans les jeux eux-mêmes, pourquoi les produits continuent à s’adresser exclusivement au male hétéro a la sexualité adolescente, pourquoi les femmes sont victimes de harcèlement sexuel systématique online sans que quiconque ne hausse un sourcil, pourquoi les plus grandes professionnelles du secteur sont traitées comme de la merde à cause de leur sexe, pourquoi certains affirment sans aucun problème que le harcèlement sexuel fait partie intégrante de la culture geek, pourquoi l’industrie et la presse spécialisée se permettent régulièrement des dérapages sexistes parfaitement gratuits, et pourquoi les femmes qui osent protester de cet état de faits sont victimes d’attaques massives et immondes (on en aura d’ailleurs un petit aperçu dans les torrents d’insultes que cet article ne va pas manquer d’attirer dans les commentaires, sur mon Twitter, et dans ma boite mail ; j’en ai fait l’expérience avec mes précédents articles, et de toute façon ça a commencé dès que j’ai annoncé l’écriture de celui-ci). Et après ça on s’étonne que les femmes ne s’intéressent pas plus au jeu vidéo. Ah oui, et l’excuse magique « c’est de l’humour » ? Elle ne colle pas : l’humour est l’un des moyens d’exclusion sociale les plus efficaces. Bref, détailler l’effroyable sexisme du milieu mérite largement un article à part ; quoi qu’il en soit, comment s’étonner qu’un article tel que celui qui nous préoccupe aujourd’hui passe comme une lettre à la poste ? Le climat d’entre-soi (d’entre-couilles) est tel que nul ne voit un problème à ce qu’un journaliste se tire publiquement la nouille sur les supplices d’une bimbo virtuelle : il écrit pour les geeks qui lui ressemblent, à l’exclusion de tous les autres publics. A l’heure où 47% des joueurs sont des femmes, la presse JV papier mourante s’accroche désespérément à son cœur de cible, l’ado masculin hétérosexuel travaillé par ses hormones. Ce serait drôle si, dans sa panique, elle n’en arrivait pas à des extrêmes horrifiants comme celui-ci…

On a envie d'aider Lara dans son périple. Il y a une vraie jubilation à la voir passer du statut de victime terrorisée à celui de déesse vengeresse qui enfonce des piolets dans les gorges mécréantes.

Personnellement, je me sens attiré par cette Lara-là comme je ne l'avais plus été depuis une bonne quizaine d'années. C'est là toute la bizarrerie de la chose. En devenant plus faible, plus vulnérable, la donzelle n'a étonamment jamais semblé aussi forte. Bref, la nouvelle Lara, je l'aime et j'attends despérément la sortie du jeu pour pouvoir souffrir à ses cotés. Je vous avait dit que j'étais un peu pervers.

Puisqu’on vous dit que la femme, c’est l’étranger. On touche ici à un point que j’ai déjà assez largement abordé à la fin de cet article : un personnage féminin n’est pas incarné, il est regardé. Il ne vient même pas à l’esprit de l’auteur qui écrit ces lignes de *devenir* Lara en jouant : il adopte le rôle de voyeur extérieur, éventuellement de protecteur bienveillant. Jouer un plombier italien, un commandant spartiate de l’espace ou un grec déicide enragé, sans souci, mais une aventurière-archéologue ? Jamais ! Et le pire, c’est que c’est exactement l’intention des créateurs, comme l’explique sans complexes le producteur Ron Rosenberg :

« Quand tu vois [Lara] face à ces obstacles, tu te prends d’affection pour elle, peut-être plus que tu ne te prendrais d’affection pour un personnage masculin…Quand les gens jouent Lara, ils n’ont pas vraiment envie de se projeter eux-mêmes dans le personnage. Ils sont plutôt « J’ai envie de la protéger ». Ca instaure cette dynamique « Je pars à l’aventure avec elle et je vais essayer de la protéger. » Cette capacité à la voir comme une humaine est plus attirante pour moi que la version sexualisée d’auparavant. En partant de rien, elle devient une héroïne…on la construit petit à petit et juste quand elle prend confiance en elle, on la brise à nouveau. Elle est vraiment transformée en un animal acculé. C’est un grand pas dans son évolution : elle est forcée à se battre ou mourir. »

Assise pres du feu, à essayer de capter un signal radio, Lara dégage une vulnérabilité touchante

Les grands esprits se rencontrent…

Si le joueur (sous-entendu masculin) apprécie Lara, c’est forcément qu’elle excite ses instincts de chevalier blanc protégeant la demoiselle en détresse. Evidemment. Quant à la joueuse…qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Industrie de mecs, pour des mecs… *toussetousse*patriarcat*toussetousse*

"Ciel, un bandit crasseux et suant me veut du mal. Chéri, c'est affreux"

Ne crains rien ma mie, je vais appuyer sur un bouton pour te libérer !
Et après, j’imaginerai encore que tu m’appelles chéri, ma poupée ❤

Bon, bah je crois qu’on a fait le tour de ces 6 pages d’anthologie. Vous remarquez de quoi on a pas du tout parlé ? Du jeu. Dans un magazine spécialisé jeux vidéo. Il n’y en a que pour l’héroïne, ou plus précisément, pour son cul. *toussetousse*patriarcat*toussetousse*

Mais le probleme, c'est que l'ile est peuplée de loubards de la pire espece : des gros sagouins venus d'Europe de l'Est. (...) Il semble que ces "Autres" ne soient pas qu'une bande de Slaves libidineux et avides de jeunes filles en goguette.

Ah non pardon, un p’tit zeste de racisme ordinaire aussi

A l’origine j’avais l’intention de traiter de l’article suivant aussi, un morceau de bravoure dans un autre genre. Parce que si il y a un truc encore plus kiffant que les hommes qui font l’apologie du viol, c’est bien les femmes qui font de la désinformation sur leur propre anatomie et de l’anti-féminisme primaire (c’est vrai quoi, ces connasses qui m’ont obtenu le droit de vote). Mais je crois que je me suis assez énervée comme ça pour aujourd’hui, et on me souffle à l’oreille que quelqu’un d’autre pourrait bien s’en charger…A suivre !

Les vêtements et la police du genre

Il paraît que, dans une dimension parallèle, il y aurait du machisme au Parlement de la République Française. Heureusement, il ne s’agit que d’une fiction colportée par des esprits mal tournés. Une fiction qui a cependant bien alimenté la presse ces derniers jours.

Rappelons les faits, d’une importance fondamentale: Cécile Duflot, ministre EELV de l’Egalité des territoires et du Logement (dans cette dimension parallèle, bien sûr), a osé se présenter à l’Assemblée Nationale pour la sessions des questions au gouvernement du 17 juillet vêtue d’une ROBE. Je vous jure. Quelle effronterie.

Alors évidemment, comment s’étonner que des exclamations et des sifflements se soient élevés des bancs UMP. Mais attention:

1) « Nous n’avons pas hué ni sifflé Cécile Duflot, nous avons admiré. »

Patrick Balkany, député UMP qu’on ne saurait une seconde accuser d’être malhonnête de mauvaise foi.

2) « Enfin, on peut regarder une femme avec intérêt sans que ce soit du machisme! »

Le Même.

3) « Elle a manifestement changé de look, et si elle ne veut pas qu’on s’y intéresse, elle peut ne pas changer de look. D’ailleurs, peut-être avait-elle mis cette robe pour ne pas qu’on écoute ce qu’elle avait à dire. »

Balkany, mon idole.

Et PAF! Remise à sa place, la Duflot. Une robe à l’Assemblée Nationale, non mais je vous jure. D’ailleurs « il y aurait eu le même type de chahut si un homme avait porté une cravate fluo orange [sic] ». Dixit Laurent Wauquiez, cette fois, parce que Balkany n’a pas le privilège de la bêtise. Bah oui, une robe à fleurs, une cravate orange fluo, même combat: c’est extravagant, inapproprié. Cela ne rentre pas dans le moule gris et couillu de l’Assemblée. « On » s’est donc chargé de remettre Mme Duflot à sa place.

Robe déplacée? Pantalon interdit? Mettez-vous d’accord!

Petit flash-back: nous sommes en 1972, Mme Michèle Alliot-Marie vient d’être élue députée. Et là, horreur, malheur: elle se présente à l’Assemblée Nationale en pantalon. Un garde tente de l’empêcher d’entrer. Elle aurait alors répondu: « Si c’est mon pantalon qui vous gêne je l’enlève dans les plus brefs délais ». L’histoire est rapportée par l’historienne Christine Bard dans Histoire politique du pantalon. Il se trouve que ce garde, sans doute peu habitué à voir des êtres humains pourvus de vagins dans les couloirs prestigieux du Palais Bourbon, était effectivement en mesure de lui interdire l’entrée de l’Hémicycle: une ordonnance de police du 26 brumaire an VIII (17 novembre 1799), toujours en vigueur, interdit en effet aux femmes de porter un pantalon, à moins de disposer d’une autorisation spéciale de la police.

Qu’est-ce qui s’est donc passé pour qu’en 40 ans exactement, la norme vestimentaire pour les femmes devienne le pantalon, et non plus la jupe ou la robe? L’interdit social portant sur le pantalon pour les femmes est resté très fort jusqu’aux années 1960; ma grand-mère, ancienne institutrice, n’avait pas le droit d’en porter à l’Ecole normale. Quand elle a commencé à enseigner, à la fin des années 50, l’interdit social était implicite mais très clair: aucune de ses collègues ne portait de pantalon, et elle ne se souvient pas en avoir porté dans les années 60. En revanche, elle se souvient clairement avoir arboré à l’école où elle travaillait, au début des années 70, un pantalon en soie verte; elle se souvient surtout des remarques d’une collègue, outrée qu’elle ose faire une chose pareille.

La police du genre

Les vêtements font en effet partie des éléments régulateurs de l’ordre social et du système du genre, pour les hommes comme pour les femmes. La réflexion de cette institutrice est révélatrice: l’interdit qui pèse sur toute transgression des limites assignées au genre est complètement intégré par les individus eux-mêmes. L’anglais dispose, pour désigner ce phénomène, de l’expression gender police, qu’on peut traduire par « police du genre ». Elsa Dorlin, philosophe et professeure à l’Université Paris VIII, reprend à son compte cette expression pour penser la question des violences de genre ou encore de la régulation des rapports sociaux entre les sexes (la régulation du genre, donc). Dans un article intitulé « Les putes sont des hommes comme les autres » (Raisons politiques 3/2003), elle écrit:

La domination de genre consiste […] à contraindre hommes et femmes à se comporter socialement comme leurs identités sexuées leur prescrivent de le faire, selon un principe coercitif d’adéquation entre le sexe et le genre, sous peine d’être stigmatisés ou bien comme « putes » ou bien comme « pédés ».

Dans le même article, elle définit la « police du genre » comme un ensemble d' »instruments de contrôle sexiste »; sa réflexion concerne la régulation du féminin, mais cela vaut évidemment aussi pour les hommes. La collègue de ma grand-mère se faisait l’écho d’un interdit social, aujourd’hui disparu, pesant sur le port du pantalon (vêtement identifié comme masculin) pour les femmes. Les femmes ont aujourd’hui (du moins le pensait-on jusqu’à cette semaine) conquis le droit de s’habiller comme elles le voulaient; c’est-à-dire, du moment que cela reste dans les limites de la féminité traditionnelle, qui proscrit par exemple les vêtements jugés indécents. Les hommes, en revanche, disposent d’un choix vestimentaire beaucoup plus restreint. Il n’est pas admis, dans notre société, qu’un homme s’habille en jupe, cette attitude relevant forcément du travestissement. Un homme portant une jupe suscitera le rejet et/ou des moqueries portant sur sa non-conformité à son genre.

Voilà comment fonctionne la « police du genre »: elle se fonde sur le poids de la norme et du tabou que constitue la transgression des limites traditionnellement assignées au féminin et au masculin.

Dans l’article cité plus haut, Elsa Dorlin explique en outre qu' »initialement, l’idée d’une police du genre a été utilisée pour décrire le fonctionnement de l’homophobie, les pratiques et les discours homophobes ayant pour fonction principale de dissuader, de condamner ou de punir tout ce qui peut être considéré comme une transgression de genre ». « L’un des effets de l’homophobie » serait ainsi de « bétonner les frontières du genre ». Elle emprunte cette définition à Daniel Welzer-Lang (« Pour une approche proféministe non homophobe des hommes et du masculin », dans D. Welzer-Lang (dir.), Nouvelles Approches des hommes et du masculin, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1998, p. 121). La police du genre n’est pas seulement sexiste: elle est évidemment homophobe, lesbophobe et transphobe, garante du système d’hétérosexualité obligatoire.

Le vêtement est politique

En ce qui concerne les vêtements féminins, la norme ne suffit pas à la régulation de genre: on est allé jusqu’à légiférer pour garantir une distinction stricte entre les hommes et les femmes. Il faut noter que cette législation se traduit par un contrôle accru sur les femmes, de la part de législateurs qui étaient tous des hommes: il n’existe pas, à ma connaissance, de loi interdisant aux hommes de porter des robes, même si le poids du tabou est tout aussi élevé. On a jugé essentiel, en revanche, de distinguer le féminin en lui imposant des bornes claires, juridiques. La police du genre pèse sur les hommes et les femmes, mais se double pour ces dernières d’un appareil répressif et législatif qui n’est que récemment devenu obsolète.

Le vêtement est donc politique, en plus d’être un élément essentiel de l’attirail du genre. Christine Bard explique pourquoi la société française révolutionnaire a ressenti le besoin de légiférer sur les vêtements des femmes:

La percée politique du pantalon [pour les hommes] correspond à l’avènement de la citoyenneté en 1792. Dans la pensée dominante du temps, celle des philosophes, des savants naturalistes, des hommes politiques, il y a une grande, une énorme différence de nature entre les sexes. On invoque le respect de la loi naturelle aussi bien pour empêcher les femmes de porter le pantalon que pour interdire leur activité politique. Sous Napoléon, la domination masculine se renforce, et pour longtemps, avec le Code civil ainsi que dans le Code pénal. […] En 1800, période de retour à l’ordre après les troubles de la Révolution, une ordonnance de police de la préfecture de Paris interdit aux femmes d’adopter le vêtement masculin.

Il faut ajouter que les femmes ont tenu un rôle important dans la Révolution française, bien que ce rôle n’ait été reconnu que récemment par les historien.nes et qu’il ne leur ait pas permis l’accès au droit de cité. Mais ce rôle actif, outrepassant les limites de la féminité traditionnelle, pose problème: l’historienne Michèle Riot-Sarcey écrit ainsi que « selon les partisans du rétablissement de la puissance paternelle, les troubles, pour l’essentiel, auraient été liés au désordre des familles » (Histoire du féminisme, La Découverte, p. 20; sur le rôle des femmes dans la Révolution, cf. chap. 1 « Des femmes en révolution », p. 5-19). Le retour à l’ordre moral passe donc par la réaffirmation de l’ordre patriarcal et des frontières entre les genres.

Les femmes politiques: une menace?

Dans un article passionnant intitulé « Performances de genre: images croisées de Michèle Alliot-Marie de Roselyne Bachelot » (Histoire@Politique 2/2012 (n° 17), p. 69-86), Christine Bard, toujours elle, s’interroge sur le parallèle frappant que l’on est forcé d’établir entre la mutation du rôle de l’image politique depuis les années 1970 et la place grandissante des femmes dans les cercles du pouvoir, en particulier au gouvernement. Elle analyse les relations de Michèle Alliot-Marie et Roselyne Bachelot à leur genre et l’usage qu’elles en font, et note qu’au fil de leurs longues carrières politiques, « la crainte de masculinisation des femmes s’est estompée ». Autrement dit, on accepterait mieux aujourd’hui les femmes politiques car plusieurs décennies ont montré que l’exercice du pouvoir ne menaçait pas la frontière traditionnelle entre féminin et masculin: les femmes peuvent faire de la politique… tout en restant des femmes.

L’accession des femmes au pouvoir politique a en effet été vécue comme une menace pesant sur le système du genre, qui a été compensée par une tendance, justement, à ramener les femmes politiques à leur « féminité ». Dans le même article, Christine Bard évoque le cas d’Alice Saunier-Seïté, ministre chargée des Universités entre 1976 et 1981:

Le président de la République Valéry Giscard d’Estaing avouera qu’elle le faisait fantasmer : « Son corps est musclé, avec des mouvements d’une aisance féline, et des jambes qui me paraissent bronzées. Une pensée bizarre me traverse : quand elle faisait l’amour, elle devait y mettre la même véhémence. » La « femme la plus insultée de France » est surnommée la « tigresse », la « panthère ». Elle représente, selon Jacques Chancel, un mélange de fermeté et de « charme », un qualificatif omniprésent qui évoque d’autres charmes, ceux qui se vendent, ceux qui qualifient certains magazines.

Ce qui me ramène aux propos cités plus haut de M. Balkany: bien sûr qu’il ne s’agit pas seulement d' »admirer ». Une femme, politique ou non, n’est pas là pour qu’on l’admire, n’en déplaise à ceux de ces messieurs qui essaient de nous réduire au rôle de potiches vaguement décoratives. Siffler une ministre parce qu’elle porte une robe à l’Assemblée ne veut pas dire autre chose que ceci: vous avez beau être une femme politique, une ministre, vous êtes avant tout une femme dans une société patriarcale. Une façon de la ramener à sa condition de femme (comme si c’était un abaissement!), d’assurer la police du genre et de garantir l’intégrité du système. Et les vaches seront bien gardées.

AC Husson

Pour aller plus loin:
Christine Bard, Une histoire politique du pantalon, Seuil, 2010.
Christine Bard, Ce que soulève la jupe, Autrement, 2010.
Mona Chollet, Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, chap. 1 « Et les vaches seront bien gardées. L’injonction à la féminité », en particulier la section « Pour des femmes en jupe et des hommes qui en ont » (p. 18-22), La Découverte, 2012.
EDIT: sur la question connexe du travestissement (merci pour les suggestions):
Le numéro « Femmes travesties : un “mauvais” genre » de la revue Clio, dirigé par Nicole Pellegrin et Christine Bard (suggéré par Julien en commentaire)
Sylvie Steinberg, La confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à la Révolution, Fayard, 2001 (suggéré par Au fil du texte)
L’émission « Les femmes qui s’habillent en hommes » (19/02/2012) – « Les femmes, toute une histoire », programme animé par Stéphanie Duncan le dimanche sur France Inter.

Bingo féministe et « mansplaining »

Hier, Sophie Gourion, une féministe que j’apprécie et que je suis sur Twitter, a eu un long débat à propos du marketing genré. Elle a écrit, il y a quelques mois, un article pour Slate sur cette stratégie « qui consiste à segmenter l’offre produit en fonction du sexe », »une façon indirecte de démultiplier les intentions d’achat, deux produits sexués devant ainsi se substituer à un seul produit mixte au sein d’un ménage ». Une des personnes avec qui elle discutait n’y voyait pas de sexisme et, surtout, pas un sujet de préoccupation pour les féministes; d’où ce tweet (écrit par un homme):

Précisons que cette personne, avec qui j’ai discuté ensuite, se considère comme féministe et que mon objectif n’est pas de lui contester cette appellation. Ce qui me dérange, dans ce tweet, c’est son ton paternaliste, et surtout, surtout, sa façon d’expliquer à une féministe, qui réfléchit et écrit beaucoup sur le sujet, ce qu’est « le vrai combat du féminisme ».

On trouve en fait dans ce tweet un combo: il mêle un bel exemple de mansplaining et une case du bingo féministe. Je m’explique.

Le terme mansplaining est ce qu’on appelle un mot-valise, formé des mots anglais man (homme) et explainer (qui explique). On en trouve une bonne définition sur ce blog, qu’on pourrait traduire ainsi:

Le mansplaining ne désigne bien sûr pas seulement un homme qui explique; de nombreux hommes parviennent tous les jours à expliquer des choses sans insulter en quoi que ce soit ceux/celles qui les écoutent.

Le mansplaining, c’est quand un mec vous dit à vous, une femme, comment faire quelque chose que vous savez déjà faire, ou pourquoi vous avez tort tort à propos de quelque chose quand vous avez en fait raison, ou vous parle de « faits » divers et inexacts à propos d’un sujet que vous maîtrisez un milliard de fois mieux que lui.

Des points bonus s’il vous explique que vous avez tort de dire que quelque chose est sexiste!

Pensez aux hommes que vous connaissez. Est-ce que l’un d’eux fait preuve de ce mélange divin de privilège et d’ignorance conduisant à des explications condescendantes, inexactes, délivrées avec la conviction inébranlable qu’il a raison (…) parce qu’il est l’homme dans cette conversation?

Ce mec-là est un mansplainer.

(EDIT: Sur twitter, @celinelt, dans un éclair de génie, propose de traduire mansplaining et mansplainer par « mecsplication » et « mecspliquer ».)

Tu crois que je suis en train de faire du mansplaining? Je vais t’expliquer pourquoi tu as tort.

Alors, vous voyez ce que je veux dire? On en connaît toutes et tous, des comme ça. Un très bon exemple nous est offert par un commentaire au précédent article paru sur ce blog. Rappelons qu’il s’agit d’une série sur les jeux vidéo, écrite par une spécialiste de la question. Morceaux choisis du commentaire:

Darksiders… Franchement. Pose ton stylo. Réfléchis. Est-ce que tu vois un putain de cavalier de l’apocalypse comme un fringant jeune homme fluet?
Même Strife est plutôt dans le genre baraque, le problème c’est plus Fury aux courbes exacerbées sans raison. En revanche Uriel est assez loin de ce genre de clichés.
… Cela dit. Franchement. Atta. Les motivations de War, c’est blanchir son nom. Il est où le patriotisme? Le goût de la compétition? Honneur devoir?

Ensuite.
Metro 2033. Mais… Vache… Est-ce qu’on a joué au même jeu? Artyom? Assoir sa virilité? AAAAAAAAAAAH. Mais écoute sa voix de geek mélancolique, c’est pas possible, faut arrêter à un moment. Je sais pas. C’est viril de collectionner des cartes postales?

J’ai lu. Mes yeux se sont agrandis et j’ai eu un grand QUOI? incrédule.
Atta. On incarne le Master Chief mais on suit Samus dans ses aventures. Euh… Alors. Explique moi la différence entre Metroid Prime et Halo (Oui je sais Metroid est mieux, mais c’est une question d’opinion), Les deux sont des autistes, on les entend jamais. Ce sont des FPS. On avance et on tire sur des trucs. Ca change quoi qu’il y ait du XX ou du XY dans l’armure? Hint: RIEN.

A mon sens, si on veut commencer à fouiner dans le stéréotype masculin dans le jeu vidéo, il faut le chercher là où il n’a aucune raison d’être particulière, où ça ne correspond/participe pas à la construction d’un personnage à la persona développée. [ndlr: ???]

Vous avez saisi l’idée. Le tout forme un pavé destiné à prouver qui a la plus grosse qu’il en sait bien sûr plus long que Mar_Lard sur les jeux vidéo.

Bon sang, merci beaucoup de nous avoir mansplainé tout ça!

Pour en revenir au tweet cité plus haut, il s’agissait de mettre un pont final à une discussion en expliquant à une féministe qu’elle se fourvoyait, parce que lui savait ce que le « vrai combat du féminisme » devrait être. Il me l’a redit plus tard, ce n’est pas quelque chose qui lui a échappé: il est persuadé de savoir, mieux que nous, ce que doit être le féminisme, même s’il emploie indifféremment les mots « sexe » et « genre », et parle de « genre sexué », ce qui ne veut rien dire. Bref.

Qu’une chose soit bien claire. Comme je critiquais cette attitude, il m’a accusée de vouloir exclure les hommes du combat féministe. Loin de moi cette idée, les hommes sont indispensables à ce combat, puisque les féministes se battent pour l’égalité des genres. En revanche, je refuse qu’un homme m’explique comment, quand et pourquoi être féministe. De même, je me considère comme anti-raciste mais en tant que blanche, il est hors de question que je me substitue aux premier.es intéressé.es dans ce combat.

Le problème avec les femmes, c’est juste qu’elles ne comprennent pas le féminisme aussi bien que moi

Sophie a d’ailleurs gagné des points bonus: non seulement on lui expliquait, à elle, féministe, ce qu’est le féminisme, mais en plus elle aurait tort de percevoir ces stratégies marketing comme sexistes (« des points bonus s’il vous explique que vous avez tort de dire que quelque chose est sexiste! »). Là aussi, je le répète: tout le monde a voix au chapitre, mais en ce qui concerne le sexisme envers les femmes, la perception des femmes est plus légitime que celle des hommes. Et il est horripilant (pour rester polie) de s’entendre expliquer qu’on a tout faux et qu’on ne devrait pas voir les choses de cette manière.

Le coup du mansplainer qui explique à une féministe comment être féministe, c’est un classique. Un cliché. Une étape obligée. Tou.tes les féministes connaissent cela. C’est même une case dans le bingo féministe, qui répertorie toutes les réponses les plus communes destinées à clouer le bec aux féministes. Ces réponses peuvent être le fait d’hommes ou de femmes. Citons les incontournables « Moi, je vais te dire ce qui ne va pas dans le féminisme » et « Les féministes se plantent, c’est l’égalité qu’il nous faut ». Parce que j’avais réagi au tweet ci-dessus en qualifiant ce twitto de mansplainer, j’ai eu droit à cette réponse charmante, de la part d’une femme cette fois:

Ah, on progresse dans le bingo: je passe donc par la case « Tu donnes une mauvaise image des féministes ». Je gagne combien de points, dites? Qualifier une féministe de « harpie », là aussi, c’est d’un classique… mais je dois vous faire un aveu: c’est la première fois que ça m’arrive. Allez, j’ai bien droit à un bonus?

Non très chère, ce n’est pas ce que « mansplaining » veut dire

AC Husson

Plus sur le mansplaining: j’ai fait un pearltree rassemblant des articles sur la question.

EDIT 1: J’ai voulu rendre les tweets anonymes, cela marche sur Chrome mais pas sur tous les navigateurs apparemment. Mon intention n’était pas de désigner nommément ces personnes, j’essaie de régler le problème.

EDIT 2: Deux réponses à mon article, ici et . Je m’en suis déjà longuement expliquée dans les commentaires: ces articles essaient de me faire dire des choses que je n’ai pas dites. Il n’est pas question de censurer qui que ce soit, mais d’expliquer en quoi une attitude répandue est condamnable et, par là, assurer justement des conditions équilibrées et saines pour la discussion. Pas la peine donc de crier à l’atteinte à la liberté d’expression, à l’anti-républicanisme (cf. les commentaires de cet article) ou je ne sais quoi encore.

Genre et Jeu vidéo (1) : Pour le plaisir des yeux masculins

Cet article a été écrit par Mar_Lard, une hippie orangée mais sympa qui se fait remarquer à Sciences Po en attendant de décrocher son Master en marketing dans l’espoir de travailler dans l’industrie du jeu vidéo. Si vous aussi, vous êtes contre les fringues orange, vous pouvez aller le lui dire sur twitter.

Elle inaugure cette semaine une série d’articles sur le genre et les jeux vidéo.

EDIT DU 21/06/2012 : Il se trouve que The Movie Bob du site The Escapist a réalisé il y a quelque temps une excellente vidéo sur le sujet, résumant en 5 minutes la représentation des femmes dans les jeux vidéo et en quoi elle est problématique. Pour les anglophones, c’est à voir ici.

Quelle qu’en soit la raison, les jeux vidéos semblent avoir plus de difficultés à aborder le genre de manière mature que n’importe quel autre support, à l’exception peut-être des comics. Entre son exploitation intensive et peu subtile de fantasmes masculins, ses difficultés à mettre en scène un personnage féminin avec plus de profondeur que ses implants mammaires et ses représentations gamines de la sexualité, le média paraît empêtré dans une perpétuelle adolescence. Peut-être l’industrie entend-elle ainsi flatter ceux qu’elle imagine constituer son public ?(1)

En attendant que Feminist Frequency ait réalisé une série d’excellentes vidéos sur le sujet, je vous propose d’examiner et d’interroger quelques-unes des représentations du genre les plus répandues dans les jeux vidéos, parfois sexistes, parfois surprenantes, parfois amusantes, toujours instructives. Commençons par la plus évidente, commune à tous les médias visuels dans une certaine mesure mais élevée au rang d’art ici : le personnage féminin destiné à la titillation du joueur masculin.

Les Vieras (Final Fantasy XII) sont une race de lapines sexy.(2) A ma connaissance la seule espèce qui nécessite des talons-aiguilles pour tenir debout.

Naturellement le phénomène ne date pas d’hier; dès que les premières machines furent capables d’afficher deux pixels côte à côte, il y eut des développeurs pour tenter de leur donner des formes féminines. On trouve ainsi des jeux 8-bits sur Atari pour tenter l’érotisme voire la pornographie :

Beat’Em&Eat’em, un jeu pornographique sur Atari.
Pour le sexy, il vous reste la couverture…

Il fallut toutefois attendre l’amélioration des graphismes pour qu’émergent des sex-symbols vidéoludiques accessibles aux non-fétichistes des pixels. Je ne peux évidemment pas écrire cet article sans évoquer celle que vous connaissez tous:

Lara Croft, héroïne du jeu Tomb Raider (1996)

Si elle n’est pas la première(3), elle est certainement la plus connue. La légende veut qu’en modélisant sa poitrine, son créateur Toby Gard ait accidentellement effectué une augmentation de 150 % que le reste de l’équipe aurait décidé de conserver, donnant ainsi naissance aux célèbres polygones. Ce même Toby Gard expliqua ainsi ses raisons pour mettre une bimbo dans le rôle principal d’un jeu d’aventure à la troisième personne: « Si le joueur va regarder un cul pendant des heures et des heures, autant que ce soit un joli cul.»

D’aucuns vont jusqu’à suggérer que ce choix est à l’origine du succès planétaire du jeu, plus que son excellent gameplay ou ses environnements révolutionnaires. De très nombreux jeux à la troisième personne ont suivi son exemple depuis ; vous pouvez en trouver une liste à la page « Third Person Seductress » de TvTropes.

Evidemment, les jeux d’aventure sont loins d’être les seuls à employer cette tactique ; tous les genres vidéoludiques en sont coutumiers à divers degrés, mais les jeux de combat (communément appelés « jeux de baston ») sortent particulièrement du lot. Voici une petite galerie de personnages féminins issus de ce type de jeux :

Sonya Blade, Mortal Kombat

Mai Shiranui, The King of Fighters

Ivy, Soul Calibur

Jaycee, Tekken

Morrigan, Darkstalkers

L’écran de sélection d’un jeu de combat s’apparente beaucoup à un écran de sélection des fétiches, en ce qui concerne les personnages féminins. Observez donc le choix que nous propose la série Street Fighter :

De gauche à droite : Cammy, Chun-Li, Elena et Sakura

Vous préfèrez la militaire aux fesses bien cambrées, la chinoise cuissue, la nubile sauvageonne ou l’écolière genki ? Y’en a pour tous les goûts, mesdames et messieurs !

Les fétiches que les chara-designers n’arrivent pas à caser sur leurs personnages, ils les rattrapent ailleurs : je me souviens avec émotion d’un Soul Calibur où le menu Items était tenu par une jolie magasinière à petites lunettes en costume de maid, personnage soigneusement modélisé mais sans aucune autre utilité que de décorer.

Notez bien que les jeux de baston ne sont pas les seuls à pratiquer ces combos fétichistes ; assez incontestablement, le prix en la matière revient à Bayonetta, du jeu beat-them-all du même nom : sorcière aux jambes interminables et à la souplesse inégalée, elle manie ses deux gros flingues et ses talons-aiguilles-pistolets avant de vous lancer un regard sulfureux à travers ses petites lunettes de secrétaire/maîtresse d’école puis de vous achever façon dominatrix. Oh, et au début du jeu, c’est une nonne. (Je suis sûre que j’en oublie).

Pour en revenir aux jeux de combat, certains vont jusqu’à faire de l’ultrasexualisation des personnages leur principal argument de vente : c’est le cas par exemple de Rumble Roses, qui permet d’opposer des catcheuses peu vêtues dans des arènes boueuses…

…ou de la série Dead or Alive qui comporte des spin-offs où ses plantureuses héroïnes jouent au beach-volley et posent sur la plage.(4)

L’un des grands points forts des Dead or Alive ? L’animation des seins des personnages, qui disposent d’un moteur physique spécialement codé pour un maximum de rebondissements. Et ce ne sont pas les seuls jeux à faire de ce détail un argument marketing, comme le prouve cette incroyable publicité japonaise pour Ninja Gaiden 2 :

Même les jeux vous permettant de customiser votre personnage dans ses moindres détails n’échappent pas à la règle : bon courage pour créer une femme qui n’entre pas dans les canons de beauté traditionnels ou – hérésie – laide. (Pour les hommes par contre vous n’aurez généralement aucun souci, vous aurez même plutôt le problème inverse – mais on en reparlera…) Ainsi, le slider « Corpulence » limitera souvent vos choix à «  athlétique » ou « anorexique »…Dans Mass Effect, un jeu pourtant applaudi pour ses représentations non-sexistes, les cicatrices que vous pouvez donner à votre personnage varient selon son sexe : impossible de créer une femme défigurée, mais vous pouvez vous en donner à coeur joie sur les hommes.

Une même cicatrice sur un personnage féminin et masculin. Dans un cas, une égratignure au menton; dans l’autre un visage entièrement couturé.

Plus fort : Saints Row : The Third vous permet de régler la taille des seins de votre personnage féminin ou la taille du pénis de votre personnage masculin grâce à un slider nommé… « Sex Appeal ». Un raccourci particulièrement révélateur et problématique.

Et c’est sans parler des costumes. Dans l’immense majorité des jeux situés dans un univers fantasy et plus particulièrement dans les MMORPG (jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs), voici comment sont conçues les armures féminines(5) :

La différence est particulièrement frappante lorsque l’on compare une même armure équipée par un homme et une femme(6) :

Armure Élite de Druide dans Guild Wars

Tout récemment encore, le MMORPG Tera s’est exposé aux moqueries de l’Internet pour ses personnages féminins plus habillés sans armure qu’avec :

Ces costumes de bon goût sont généralement mis en valeur par des angles de caméras particulièrement subtils. Voici comment nous est présentée Shadee, une antagoniste dans Prince of Persia II – Warrior Within (c’est littéralement la première chose qu’on voit d’elle) :

En parlant d’armure, je ne peux conclure cet article sans évoquer un personnage incontournable lorsqu’on parle questions de genre dans les jeux vidéos, j’ai nommé Samus Aran (Metroid).

Samus est régulièrement citée comme contre-exemple à la sexualisation des personnages féminins car elle passe la majorité de ses jeux à défourailler de l’alien bien abritée par sa lourde armure – on ne découvrait son sexe qu’à la toute fin du premier Metroid, si on avait été assez rapide.(7)

Alors, aucune sexualisation possible pour un personnage en armure lourde ? Et pourtant…

Depuis qu’il a été révélé que Samus était une femme, les développeurs de Metroid se mettent en quatre pour nous le rappeler. Outre la subtile féminisation de son armure au fil de ses jeux (taille plus fine, poitrine soulignée), il est maintenant possible d’entrevoir le visage de l’héroïne et ce, même si le jeu est à la première personne, grâce au reflet de son viseur :

De manière générale, son viseur semble moins opaque qu’auparavant :

Et, en lieu de son mutisme de la première heure, on peut maintenant entendre l’héroïne crier lorsqu’elle encaisse un coup.

En soi, toutes ces petites attentions sont sympathiques et humanisent le personnage. Sauf qu’un personnage masculin équivalent comme Master Chief de Halo n’y a pas droit. Mais bon, je pinaille, ces détails ne suffisent pas à parler de sexualisation de Samus.

Oups, j’ai oublié de préciser qu’elle ressemble à ça sans son armure :(8)

Qu’un tel personnage en vienne à être utilisé comme contre-exemple à la sexualisation des femmes dans le jeu vidéo en dit long sur le niveau qu’a atteint l’industrie.

Mar_Lard

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1 Dans un prochain article, on examinera le mythe qui veut que les gamers soient en majorité des ados mâles hétéros frustrés. (^)


2 Avant qu’on ne me le fasse remarquer dans les commentaires : oui, officiellement il existe des Vieras mâles. Mais ils ne sont jamais apparus dans aucun Final Fantasy sorti à ce jour. (^)


3 La première serait sans doute Chun-Li de Street Fighter (1987), évoquée plus bas (^)


4 Lesdits spin-offs sont tellement plus connus que la série originale qu’avant d’écrire cet article, je croyais sincèrement que les Dead or Alive était seulement des jeux de beach-volley avec un nom étrange. Au vu de ce que donne une recherche Google Images, je pense mon erreur pardonnable. (^)


5 Dans cette vidéo, les « scientifiques » d’Immersion reconstituent dans la vraie vie un combat entre deux personnages féminins vêtus d’armures de jeux vidéo typiques. Le résultat est sans surprise… (^)


6 En recherchant des illustrations, je suis tombée sur une explication très sérieuse à ce phénomène : « Les armures féminines tendent à être moins couvrantes que les armures masculines. Beaucoup de gens pensent que c’est pour le fanservice, mais il y a de vraies raisons pratiques à cela. Tout d’abord, les femmes étant statistiquement moins fortes que les hommes, elles recourent plus à l’agilité et la ruse qu’à la force en combat : une armure légère est donc plus logique. De plus, un combattant masculin affrontant un personnage féminin à l’armure révélatrice tendra à hésiter et à laisser son regard traîner, conférant ainsi l’avantage. » Oui oui. On peut remercier le wiki World of Warcraft… (^)


7 On reparlera de Samus dans un prochain article, « Les femmes comme récompenses » (^)


8 A titre de comparaison, un artiste a dessiné Master Chief de la même façon. (^)